Chedli klibi parle de l'information et de la culture
Dans le cadre de l’hommage rendu par la capitale du Sud à la mémoire de son premier directeur, Abdelaziz Achiche, Radio Sfax a eu un long entretien avec M. Chédli Klibi dans lequel l'ancien ministre de Bourguiba a notamment traité de l’information et de la culture, dans la Tunisie d’avant et d’après la révolution.
I – L’information
L’information au lendemain de l’indépendance
«L’information est régie par les préoccupations de la société. Après la proclamation de l’indépendance, la société tunisienne était entièrement tournée vers le parachèvement de la souveraineté du pays. Il lui fallait, en même temps, soutenir la révolution algérienne, tout en se préparant à mener le combat pour sortir du sous-développement, jeter les bases de l’essor dans tous les domaines, lutter contre l’analphabétisme et créer les conditions d’émergence d’une culture nationale authentique.
Le Parti et les organisations nationales étaient unanimes à considérer que la réussite de cette vaste entreprise ne pouvait se faire qu’à travers la réalisation de l’unité nationale et la mobilisation de toutes les composantes de la société.
Le développement global avait pour objectif d’assurer la dignité de chaque Tunisien, en garantissant à chacun un emploi et un logement décents, et en étendant l’éducation et les soins de santé à toutes les régions du pays.
Le gouvernement avait placé ces questions au centre de ses préoccupations parce que c’était aussi la première préoccupation des citoyens. Il incombait dès lors à l’information d’apporter, de façon prioritaire, sa contribution à l’édification de l’unité nationale et à sensibiliser la population à la nécessité des réformes initiées par le gouvernement afin de promouvoir la société et d’instaurer en lieu et place des vieilles structures une nouvelle architecture pour construire le développement et faire entrer le pays dans la modernité.
L’information eut donc pour mission d’expliquer les raisons pour lesquelles le pays devait se mobiliser derrière « le parti de la nation » et « les organisations nationales » qui oeuvraient tous sur un même front. Le première obligation de la presse était de répondre à l’appel du devoir national, de défendre la politique de l’Etat qui était d’avancer par étapes vers le parachèvement de la souveraineté du pays et de planifier la marche vers le progrès, tout en s’impliquant de façon positive et pleine d’ardeur aux côtés de la révolution algérienne. Accélérer le passage de la Tunisie à l’étape de l’indépendance ne pouvait, en effet, que servir la cause de cette révolution en lui offrant un asile sûr sur le territoire tunisien ainsi que la pleine solidarité de nos concitoyens.
Il ne venait à l’esprit de personne, à cette époque, de revendiquer la liberté d’expression et d’opinion ou l’instauration d’un régime démocratique. Ces préoccupations sont venues plus tard. Elles sont le produit du développement, de l’éducation et de l’action culturelle, après que de nombreuses étapes ont été franchies au service de l’emploi, du logement et de l’implantation du système hospitalier à l’intérieur du pays.
L’information au lendemain de la révolution
La révolution est née de causes multiples et complexes que l’on résume généralement par deux mots : dignité et liberté. Elle a changé bien des réalités et ressuscité des aspirations qui étaient réduites au silence, dont la liberté de l’information écrite et audiovisuelle.
Il faut reconnaître que l’information est trop longtemps restée prisonnière des modalités qu’elle avait adoptées au lendemain de l’indépendance et qu’elle n’a pas su se mettre au diapason de cet éveil qui s’était étendu à l’ensemble du peuple, dans toutes les régions de la Tunisie. L’un des acquis de la révolution est qu’elle a levé l’hypothèque qui pesait sur l’information. Mais, une fois que l’ordre ancien a été renversé, il est nécessaire de s’engager dans l’étape de l’édification qui exige rationalité, retenue et équilibre.
Homme d’information, ayant entamé ma carrière publique en participant à l’émergence de la presse nationale, puis en dirigeant la radio, j’aimerais que mes collègues journalistes me permettent de formuler quelques suggestions.
Parmi les données fondamentales qui ne sauraient être sujettes à modification, quelle que soit la situation sociale :
1 – Donner la priorité à l’information la plus importante :
- pour le pays, en général, peuple et gouvernement ;
- pour l’opinion publique ;
- dans le respect de l’objectivité la plus totale.
2 – Assurer la plus large couverture aux nouvelles :
- du Grand Maghreb ;
- du Machreq arabe ;
- des autres pays islamiques ;
- des autres pays du monde (par ordre d’importance).
3 – Mettre en exergue l’information essentielle de sorte :
que le plus simple des citoyens pourra l’assimiler, en tant que telle et dans ses multiples implications.
4 – Il n’y a aucun mal à évoquer les rumeurs si elles sont importantes ou revêtent un caractère grave :
- tout en respectant les réserves qui s’imposent ;
- tout en évitant de susciter des réactions passionnelles pouvant générer des désordres.
5 – L’information a une responsabilité centrale dans la défense et l’illustration de la pureté de la langue :
- en prenant garde aux erreurs les plus répandues ;
- en évitant l’emploi de mots et expressions puisés dans les dialectes de certains pays arabes comme s’ils faisaient partie de l’arabe littéral ;
- c’est par le respect de ces règles intangibles que l’information sera considérée, à juste titre, comme un pouvoir en soi imposant à tous le respect.
II – La culture
La culture au lendemain de l’indépendance
Le pays souffrait, au sortir de la période coloniale, de nombreux maux dont :
1 – la priorité qui était donnée à la langue française dans les milieux cultivés ;
2 – le livre qui était appréhendé comme unique source de la culture ;
3 – l’Occident qui était perçu comme étant le meilleur pourvoyeur en culture ;
Il était nécessaire d’introduire de grands changements et d’initier des actions d’envergure, notamment :
- Œuvrer à ce que le public se sente fier de sa culture arabo-islamique ;
- Redonner sa place à cette culture, en tant qu’elle est partie de la civilisation universelle et en tant qu’elle est l’une des composantes de l’identité nationale ;
- Sortir la culture de la sphère du sérieux et de l’érudition, et l’inscrire dans des contextes de divertissement, tels ceux du théâtre, du cinéma, des arts plastiques, etc. ;
- Considérer les vestiges et le patrimoine architectural national – indépendamment des époques – comme propriété de la communauté nationale tunisienne ;
- La culture ne relève pas seulement du plaisir intellectuel réservé à une élite ;
- Tous les citoyens ont le droit d’accéder à une part de culture, chacun selon ses goûts et ses préférences, autant qu’ils ont le droit d’y apporter leur contribution ;
- La culture est acquise par le biais des programmes scolaires ;
- Mais d’autres moyens y conduisent également :
les bibliothèques permanentes et itinérantes ;
les salles de cinéma et les projections en plein air ;
les festivals, sous toutes les formes ;
les salles de théâtre et les représentations dans les lieux publics, et notamment sur les sites historiques ;
- La culture est plaisir et éducation pour chaque citoyen ;
mais la culture remplit également une mission sociale grâce au rôle de sensibilisation et de vigilance sociale qu’elle assume au service de la bataille pour le développement.
Grâce à ces dimensions multiples et complémentaires, la culture est capable de revivifier et d’enrichir l’identité nationale mais aussi d’en renouveler les acquis, loin de toute forme d’immobilisme ou d’intolérance.
La culture au lendemain de la révolution :
Le Ministère avait pour mission de servir la culture, dans ses différentes manifestations. C’est pourquoi il a été appelé, à sa création, « Ministère des affaires culturelles ».
Il y a là une claire affirmation du fait que le Ministère ne produit pas la culture, ce qui est du ressort des siens.
Mais le Ministère a pour devoir de fournir les moyens, de faciliter la publication, de lever les obstacles, etc. C’est par cela qu’il est au service de la culture.
Au lendemain de la révolution, il serait utile que l’action du Ministère s’accompagne de consultations périodiques, afin de permettre aux spécialistes de formuler leurs propositions, observations ou critiques.
Ce processus peut se dérouler dans le cadre de comités élus, dans les différents secteurs de la culture (théâtre, cinéma, littérature, publications…) C’est ainsi que la révolution pourra contribuer à jeter les bases d’un système pouvant être considéré comme une démocratie culturelle.
• Ces comités contribueront à
- Orienter l’action culturelle ;
- En renouveler les finalités ;
- Redéfinir les critères de subvention et d’encouragement ;
• Ces comités seront ouverts aux :
- Anciens Ministres de la culture ;
- Représentants des Ministères concernés et aux différentes institutions universitaires ;
- Ces comités tiendront, de façon périodique, une réunion commune qui pourrait s’appeler « Congrès général des affaires culturelles » ;
- Le Ministre assistera à ce Congrès, mais la présidence des travaux sera décidée par un vote ;
- Le Ministre pourrait, un jour, être amené à obtenir l’assentiment de ce Congrès ;
- Ainsi l’on aura graduellement avancé vers des formes d’organisation qui feront que la culture sera gouvernée par ceux qui en sont les producteurs et qui sont en droit de participer à ses structures organisationnelles.
Chedli klibi
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BRAVO Si Chedly; Nos Gouvernents et intellectuels devraient s'inspirer tout de suite de vos reflexions et propositions. De toute facon nous reconnaissons dans vos reflexions, le système d'éducation culturelle qui a été mis en place au lendemain del'indépendance et qui a disparu au fur et a mesure à partir des années 80 aussi bien sur les bancs de nos écoles et universités qu'auprès de l'administration... On voit bien qu'il n'y a aucune comparaison avec ce qui était et qui est mis en application par les dirigeants depuis les années 90.
J'ai connu Mr. Klibi dans les années 40 et j'ai connu l'intellectuel, le patriote et le défenseur de la raison. Une fois de plus il donne ici une leçon de franchise et de savoir faire. Je crois que les jeunes d'aujourd'hui ont bien besoin des conseils qu'il donne ici. Je voudrais pourtant lui demander de m'excuser et me permettre de lui formuler une question: pourquoi n'a-t-il pas crié dans le passé et bien fort ces idées de grande valeur fruits du savoir et de l'expérience? Mais il n'est jamais tard de bien faire. J'espère que les acteurs dans le secteur de l'information suivent ses conseils surtout le relatif au choix de l'information et surtout sa langue. Que nous le voulons ou pas l'arabe est notre langue, le miroir de notre identité.
Monsieur KLIBI vous êtes un homme de sagesse, et un politicien chevronné, pourquoi vous n'intervenez pas pour dénoncer les abus de ces obscurantistes, et par la même occasion vous rendez un grand service à la Tunisie, qui a bien besoin d'hommes comme vous.