Une arme pour contrer la dérive vers le terrorisme
Dans son interview d'aujourd'hui au micro de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, le leader d'Al-Joumhouri, Ahmed Néjib Chebbi, fait le diagnostic qu'il faut de la situation au pays et le risque sérieux que courent la Tunisie et toute la région du fait des menées des antennes tunisiennes de la nébuleuse terroriste internationale.
S'il précise à raison que ces antennes restent isolées et minoritaires, s'il ne sous-estime pas leur capacité de nuisance, appelant à l'aide internationale nécessaire au nom de l'intérêt général, il ne va toutefois pas au bout d'une logique pourtant imparable.
En effet, au lieu de louer la politique de la France, au lieu de se satisfaire des protestations purement verbales de soutien à la transition démocratique, M. Chebbi aurait dû appeler ses amis étrangers à s'impliquer de la seule manière qui puisse être aujourd'hui utile. Il s'agit de celle qui est de nature à vider les troupes terroristes de leurs munitions humaines, cette jeunesse désespérée, cherchant dans l'action violente, au nom de valeurs dévergondées par l'excès, un sort meilleur et ce quitte à mourir, méritant un paradis au ciel préféré à l'enfer terrestre.
Nous l'avons vu encore en ce dimanche terrible où le sang a malgré tout coulé, le terrorisme rigoriste s'alimente de l'arrogance et de la cécité occidentales, qui ne se soucient que de leur sécurité en cherchant, vainement, à cantonner dans des réserves — pourtant toujours poreuses — des jeunes qui, ne serait-ce que dufait de leur âge, doivent pouvoir bouger et circuler librement afin de voir le monde tel qu'il est et non tel qu'on le leur caricature et défigure.
Au-delà de ce droit qu'on ne peut leur dénier, il s'agit d'un antidote bien efficace pour ne pas se laisser aller au désespoir de haïr l'autre qui les exclut ou qui est perçu comme tel, n'ayant pas la possibilité de le côtoyer, cédant donc par trop facilement aux prêches le diabolisant.
De plus, il est malhonnête de la part d'un observateur objectif de ne voir dans les groupes terroristes que l'absurde rejet de son prochain et l'usage de la violence physique et verbale à son égard.Au vrai, ils ne font que réagir à une violence plus sophistiquée, directe ou indirecte, qui les stigmatise et les exclut, et dont ils souffrent au plus profond d'eux-mêmes. De fait, l'anathème toujours terrible, souvent sanguinaire, jeté sur l'autre — pourtant un autre soi-même — se réduit assez souvent à ce dépit amoureux capable de relever de la geste magnifiée par le héros biblique Samson. Les Arabes ne sont-ils pas que des Sémites, héritiers aussi de la tradition judéo-chrétienne récupérée par l'islam ?
C'est la politique occidentale de fermeture des frontières — que ne tempère point l'acceptation au compte-gouttes moyennant un système de visa sélectif et nullement productif — qui alimente les organisations criminelles de troupes toujours fraîches et continûment exaltées. En effet, toutes les études sociologiques sérieuses montrent que les recrues des rigoristes islamistes sont pour l'essentiel de pauvres hères, dont on manipule l'attachement légitime à un certain sens de la dignité au moyen de slogans sonnant vrai pour une bonne partie : arrogance occidentale, rejet de l'identité culturelle et violation du droit à la dignité. Or, pour un homme libre, le premier des droits inaliénables est celui de circuler librement !
J'ai déjà, à de multiples reprises, appelé à ce que nos dirigeants revendiquent officiellement le droit à la libre circulation pour le Tunisien dans le cadre d'un visa biométrique de circulation. Ils peuvent et doivent le faire au nom de la Révolution et de cette jeunesse éperdue et perdue, suivant aveuglément les extrémistes, se laissant volontairement aller à sa perte et celle d'autrui, car n'ayant plus rien à espérer de la vie.
Pourtant, il ne peut y avoir que du positif dans une libre circulation dont la réalisation n'altérera en rien la nécessaire sécurisation des entrées en Europe; bien au contraire, elle la renforcera davantage en asséchant les filières de la clandestinité, seules pourvoyeuses ou presque des kamikazes terroristes. C'est aussi barrer sérieusement la route à la dérive actuelle de nos jeunes désespérés vers les groupes extrémistes qui exploitent leur misère, se jouant de leurs sentiments et de leurs justes revendications à un traitement égal, qui soit similaire à celui de la jeunesse du monde démocratique. Or, la Tunisie se veut aujourd'hui de ce monde; et il faut donc l'aider à s'y ancrer par des actions réellement efficaces agissant aussi bien sur le conscient que l'inconscient.
Alors, à quand nos dirigeants, prétendus révolutionnaires, vont-ils continuer d'ignorer, au nom d'un conformisme suicidaire à une pratique politique périmée, ce qui est seul aujourd'hui de nature à désamorcer la crise et consolider sérieusement la transition démocratique au pays ?
Jusqu'à quand les partenaires et voisins occidentaux de la Tunisie vont-ils se laisser aller à jouer aux apprentis sorciers, prétendant lutter contre les dérives extrémistes en Tunisie alors qu'ils ne font que l'alimenter avec leur politique marquée par la cécité à leurs propres intérêts et la surdité aux revendications légitimes des jeunes des pays du Sud ?
Il est bien temps que les uns et les autres réalisent que nous sommes en postmodernité qui est, à la fois, l'âge des foules et des sens débridés qu'une revanche des valeurs d'un Sud trop longtemps ignoré et dédaigné en ce qu'il a de plus légitime à revendiquer : son droit à un traitement d'égal à égal.
Pareil traitement doit surtout concerner ce qui fait l'essence de cette partie du monde, sa jeunesse qui est la majorité de sa population, une formidable force pour son progrès quand elle est respectée et aidée à réaliser ses aspirations, mais une faiblesse et un facteur sérieux de trouble quand elle se révolte pour son légitime droit au rêve.
En Tunisie, contrairement à ce que dit M. Chebbi et que pense encore une classe politique de plus en plus coupée de ses bases populaires les plus remuantes, la réussite de la transition démocratique ne se résout pas seulement dans la tenue d'élections libres le plus tôt possible; elle consiste hic et nunc à apporter urgemment une réponse aux attentes les plus légitimesde sa jeunesse, dont le droit à la dignité est une manifestation majeure et que la libre circulation symbolise à merveille.
L'ouverture des frontières, avec non seulement cette forte charge symbolique, mais aussi toutes ses retombées économiques positives, est tout bénéfice en donnant par exemple un coup de fouet aux multiples projets novateurs portés par les jeunes et que la fermeture des frontières empêche de se concrétiser.
Il n'est d'ailleurs pas étonnant que la forte minorité de jeunes clandestins en Europe, et au-delà la sensibilité d'ensemble de la communauté expatriée des Tunisiens, penchent de plus en plus vers les partis et mouvements religieux, y compris extrémistes. C'est qu'ils se reconnaissent dans leur discours centré sur l'identité arabe islamique et la nécessité de son respect par un Occident perçu comme arrogant et anti-islamique.
Que l'Europe donc, puisqu'elle est aussi concernée par la réussite de la démocratie en Tunisie, réalise enfin qu'elle possède la solution afind'enrayer pour le moins la dérive de notre pays vers l'extrémisme. Qu'elle barre la route aux jeunes tentés par l'extrémisme religieux en leur donnant d'autres terrains pour vivre leurs rêves à la dignité, celui d'assumer un bien meilleur défi plus paisible de conquête d'une vie meilleure ici sur une terre sans frontières de nature àbrimer leurs talents.
Ce serait aussi de sa part, sans langue de bois inutile, saluer vraiment la réalisation révolutionnaire majeure du passage exemplaire en Tunisie de la dictature à la démocratie. Ce serait aussi reconnaître la maturité de son peuple et le caractère globalement pacifique d'une communauté réduite en nombre, autorisant l'expérimentation d'une politique migratoire originale au bénéfice de tout le monde, l'Europe en premier, car sa sécurité dépend aujourd'hui de celle de la Tunisie.
Surtout, que nos dirigeants, les premiers concernés, dépassent leurs blocages dictés par une bienpensance héritée d'un ordre saturé ! Qu'ils osent faire coïncider le pays légal, devenu presque illégitime chez nombre de leurs concitoyens, au pays réel en relayant fidèlement ses revendications légitimes ! Qu'ils osent enfin — et il n'est que temps avant qu'il ne soit trop tard — faire du droit à la libre circulation sous visa biométrique un motif de lutte contre le terrorisme et de réussite de la transition démocratique.
C'est là une arme efficace, carrément magique, la seule capable de changer la donne du tout au tout, et qui soit aujourd'hui entre les mains des décideurs du bassin méditerranéen. Que la sagesse l'emporte donc pour le bien de ce pays qui le mérite amplement et pour la paix en Méditerranée qui sera sérieusement et durablement compromise si la Tunisie basculait dans le chaos intégriste.
Farhat Othman
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C´est un sujet exrêmement compliqué que vous traitez là. Curieusement les extremes se touchent ici.En Occident on parle de fantôme islamiste ou islam, mais là personne ný croit vraiment, en tour cas pas pour les cinquantes prochaines années. personne ne se sente en danger, à part bien sûr ceux qui manipulent et qui vivent de la manipulation. C´est un fantôme c´est tout. Mais en Tunisie , on le présente comme un fleau. De la region ou je suis, le nord de l´Europe,les problems sont ailleurs: la capacité de concurrence les produits des pays émergeants,´empêcher les firmes de deménager dans ces pays, voilà c ést tout.Certe on parle du printemps arabe mais trés superficiellement. Je coís plutôt que la Tunisie pouurais surmonter ses diffilcultés et s´engager dans la democratie et le développement social et économique. Soucenez-vous de comment Hannibal a vaincu les Romains à Cannae.