Islamisme : la résistible ascension
Quand les commentateurs sont unanimes, c'est qu'ils se trompent. Après l'enthousiasme initial, les éditorialistes diagnostiquaient presque tous l'irrésistible confiscation des révolutions arabes par les partis religieux, dans des sociétés depuis longtemps « réislamisées ». Les naïfs et les candides de la démocratie devaient se faire une raison: au « printemps arabe » succéderait inéluctablement l'hiver islamiste.
Certains gardaient en tête les révolutions communistes, quand les partis staliniens installaient à l'Est leur hégémonie par l'infiltration systématique des appareils d'Etat. Nous sommes passés de Marx à Mahomet, expliquait-on, mais le mécanisme est le même. D'autres réalistes autoproclamés, à la manière d'Henri Guaino, professaient le pessimisme de ceux à qui on ne la fait pas, pour jeter sur ces peuples nouvellement émancipés - mais pas encore « entrés dans l'Histoire », selon une expression fameuse - un regard chargé de condescendance. D'autres enfin, quoi qu'ils en disent, avaient adopté les thèses apocalyptiques de Samuel Huntington sur l'inévitable « choc » entre la civilisation islamique et la civilisation chrétienne, si prisées au sein de la « droite décomplexée ».
Comme il arrive souvent aux oracles péremptoires, les événements égyptiens les ont cruellement démentis. Le pouvoir des Frères musulmans, prétendument irrésistible, s'est délité en un an. Incapables de gérer l'économie égyptienne, promoteurs d'une Constitution en partie inspirée de la charia, acharnés à noyauter l'administration du pays, voués à l'intimidation des médias et à l'oppression des minorités coptes ou chiites, les Frères musulmans ont très vite perdu le soutien de la majorité de la population. Leur politique à la fois grotesque et terrifiante les avait même conduits - détail éloquent - à nommer comme gouverneur de la région de Louxor un des chefs du groupe terroriste qui avait organisé en 1997, dans la même ville, le massacre des quelque 60 personnes au temple d'Hatshepsout... En un mot, les Egyptiens, vieux peuple tolérant, avaient vite compris que le régime instauré progressivement par le parti Liberté et Justice, façade électorale des Frères musulmans, ne serait ni libre ni juste. Des millions d'Egyptiens se sont soulevés contre cette dictature religieuse en gestation, formant les plus grandes manifestations jamais vues dans l'histoire du pays. C'est à la suite de cette insurrection massive que l'armée égyptienne est intervenue avec brutalité en déposant le président
Morsi et en réprimant par la force l'opposition prévisible des Frères. Etat dans l'Etat égyptien, seule puissance vraiment organisée, tutrice autoproclamée de la vie politique, bien assise sur ses privilèges et sa force économique, l'armée continue à jouer son rôle de deus ex machina de la vie égyptienne, déterminée à ne rien céder de sa situation prospère et enviable. L'acte II de la révolution égyptienne, démocratique à l'origine, peut ainsi basculer à tout moment dans l'horreur de la guerre civile. Le massacre de plus de 50 partisans de Mohamed Morsi - président certes hautement critiquable mais régulièrement élu - fait craindre l'irruption catastrophique d'un processus à l'algérienne, quand les généraux du FLN avaient annulé les élections gagnées par les islamistes du FIS et déclenché une guerre civile aussi féroce qu'interminable.
On se gardera donc ici de toute prévision sur l'avenir de la révolution. Les militaires ont prêté main-forte aux civils pour les débarrasser de la menace islamiste. Mais cette tutelle peut conduire au pire, c'est-à-dire à la restauration sous des formes nouvelles de l'ancien système Moubarak, corrompu, monolithique et tortionnaire. Les démocrates des pays arabes sont encore trop faibles pour maîtriser leur propre révolution, tant ils sont acharnés, en dépit de toute sagesse, à se morceler en organisations concurrentes et cacophoniques. Eux aussi portent une responsabilité dans les difficultés du processus de démocratisation des pays musulmans.
Il reste de cet épisode confus une leçon très claire: l'instauration de régimes islamistes dans les pays des révolutions arabes n'a rien d'inéluctable. Contrairement à toutes les attentes, il existe dans ces pays des forces sinon laïques, du moins opposées à la dictature théocratique, capables de mobiliser une partie importante de la société et de faire échec aux entreprises pernicieuses des partis islamistes à façade légale. Des forces qui préfèrent la liberté à la charia et qui rejettent tout autant le sabre que le goupillon. Leur action ne débouche pas forcément sur la démocratie. L'hostilité des camps en présence est telle que le conflit risque à tout moment de déraper dans la violence. C'est la deuxième leçon égyptienne: la principale menace sur la paix dans ces régions, ce n'est pas l'improbable conflit entre les musulmans et les Occidentaux qu'on agite en France pour stigmatiser la minorité issue de l'immigration. C'est la guerre des musulmans entre eux.
Laurent Joffrin
Le Nouvel Observateur
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Ce qu'on devrait retenir est que Morsi a été élu démocratiquement; la constitution a été approuvée par plus de 60% de la population; et le parlement égyptien élu a été dissous par l'armée. Morsi était peut-être inepte. Mais qu'on le veuille ou non, le peuple (pas la foule) a voulu donner une chance aux islamistes. L'"opposition", (avec l'appui de l'armée et le soutien financier venant de l'étranger), a tout fait (et réussi) à renverser l'ordre qui avait été décidé par le biais des urnes. On reprochait aux islamistes de ne pas jouer le jeu démocratique, or ce sont les "démocrates" et autres libéraux, avec les vestiges tentaculaires de vieux régime, qui se moquent complètement des règles démocratiques. De plus, ils essaient de justifier l'injustifiable. Nous avons en Tunisie des gens comme Béji C.E. (ancien ministre de l'intérieur sous Bourguiba, entre autres) qui soutiennent le coup d'état en Égypte. Ces gens me font peur et non pas les islamistes.
Je pense que ce qui manque aujourd'hui aux mouvements politiques faisant référence à l'islam (et au pouvoir depuis les révolutions de 2011) est le pragmatisme qui ferait d'eux des hommes d'état et non pas des leaders réligieux utilisant le discours réligieux pour arriver au pouvoir. Certes, il y l'usure du pouvoir (en si peu de temps!), mais il est temps pour ces partis réligieux de faire leur auto-critique. Il faudrait qu'ils cherchent à rassembler sur ce qui unit le peuple, et non pas diviser pour mieux régner. Ce que vit aujourd'hui l'Egypte et peut-être le témoin du difficile mélange de genre entre le politique et le réligieux. Au fond, est-ce que les mouvements islamistes embrassent l'esprit des révolutions (libertés, justice et dignité à travers le travail et le développement économique)? Politiquement et historiquement, les mouvements des révolutions sont ancrés à gauche, alors que la droite et l'extrême-droite cristallisent le conservatisme et l'immobilisme. Ce qui s'est passé en Egypte est peut-être une correction de la trajectoire du processus révolutionnaire? Il ne faut pas oublier, que dans la tête des peuples arabo-musulmans, il y a l'idéal de l'Islam qui gouverne d'une façon parfaite, et ce qui a poussé la plupart à voter pour les partis islamistes.
@Observateur : Et bien moi, ce sont des gens comme toi qui me font peur...Morsi était en train de détruire son pays plus profondément qu'aucune armée d'occupation, qu'aucune catastrophe naturelle, qu'aucune épidémie n'aurait pu le faire. Et tout ça, pour obéir à un agenda qataro-sioniste, ou sioniste-qatari, on ne sait plus ; tout ça pour faire plaisir au mufti de l'OTAN, Qardaoui. Gagner une élection ne veut pas dire se comporter en tyran après ! Quand on gagne une élection de justesse, on doit séduire ses opposants, et non pas récompenser ses partisans, ou plutôt, se partager le butin (el ghanima). La confrérie des frères est une secte dont l'unique but est de détruire les nations arabes, afin de former un khalifat musulman aux ordres de Washington et d'Israël. Ils sont prêt à tout pour cela. Ils détestent les nations arabes, ils détestent leur dialecte, leur langue maternelle, ils détestent leur drapeau, ils détestent leurs traditions, ils détestent l'Etat, ils détestent l'administration, ils détestent les impôts, ils détestent la loi, ils détestent les femmes. Mais ils aiment l'argent, les drogues et les Etats-Unis. Dieu merci ! Dieu merci ils sont partis !
L'islamisme n'est pas une solution pour nous sorti du sous développement et de l'archaïsme dans lequel le pays est englue ! Ennahda a pris le pouvoir sans veritable programme et a échoué sur toute la ligne et le scenario égyptien qu'elle le veuille ou non est un signal et qu'il est grand temps de commencer a preparer la transition a un parti d'union national qui vont laisser la religion la ou il aurait du toujours rester: dans les coeurs !
Excellent article plein de lucidité et de vision réaliste et objective. L'Egypte "OUM EDDOUNIA" donne "la leçon" aux autres sociétés arabes. Un immense courage, une fabuleuse détermination à refuser la folie islamiste, son incompétence et son arrogance. Je suis très confiant dans cette société égyptienne qui n'acceptera plus jamais l'autoritarisme, qu'il soit militaire ou ce lui de la bondieuserie. Elle veut réinventer son avenir, son bien-être et sa liberté d'exister !!