Vivons-nous les prémices d'une désintégration de l'Etat ?
Indécence signifie selon l’entendement : grossièreté, impertinence, impolitesse, impudence, impudeur, incongruité, inconvenance, incorrection, obscénité. Ce chapelet de mots se disperse, inonde « l’actu », pollue le ciel qui nous tombe sur la tête chaque jour en cette Tunisie qui ne sait plus à quel saint (e) se vouer. A chaque jour suffit sa peine ! Le mausolée de Saida Mannoubia a été incendié par des encagoulés partis à la chasse des hérétiques. Le patrimoine part en fumée, le présent hésite, l’avenir s’obscurcit, le passé se croyant à l’abri, se consume. Et la mémoire collective pardi ! Il pleut dru sur cette Tunisie automnale : "Ghassalit Ennwedir", comme on dit chez nous. Orage. « Ô rage, Ô désespoir, Ô vieillesse ennemie !»
L’indécence en politique, faits, discours, posture ou, position a une autre résonnance lorsqu’elle s’adresse à une société qui tremble dans l’œil du cyclone. La parole machiavélique décline ses variations sur le thème de l’indécence lorsqu’elle s’affranchit de l’éthique, adoptant le principe immoral selon lequel la fin justifie les moyens, y compris le crime. Nous vivons des moments où le texte et le contexte fusionnent, contournent le hiatus, hurlent de concert, que le temps est mauvais !
Quels liens entre les noyés de Lampedusa et les morts du vendredi noir du 14 septembre ? A priori aucun.
A réfléchir ; il se profilait derrière l’écran de fumée qui s’envolait au-dessus l’ambassade américaine et, du mausolée de Saida Mannoubia, des cris muets des feus-les « Harragas » portés disparus, la braise qui couve sous le laxisme sécuritaire. Chercher des responsabilités pour distinguer les pompiers des pyromanes exige de se départir définitivement de la théorie du complot, servie, réchauffée, resservie jusqu’à la nausée. Il a bon dos cet accusé polymorphe, présumé coupable, tantôt ex « RCDiste» rebuts de l’ex régime, orphelin de Bourguiba ; tantôt laïc francophone d’obédience maçonnique. Est-il aussi coupable de vandalisme, de pillage, d’incendie d’ambassade et de mausolées, de viol d’une jeune fille par des policiers, de torture ayant donné la mort à un détenu, de naufrage de jeunes despérados au large de Lampedusa, de recel de vidéo dont les propos d’un haut responsable politique ont été sortis de leur contexte? Que fait la police ?
Des policiers qui violent une femme sous prétexte qu’elle était en compagnie de son fiancé en posture attentatoire aux mœurs – aux dires des violeurs témoins, juges de la décence et, partie ( !) – n’auraient pas commis cet acte odieux si d’autres interpellations musclées de « couples non légitimes » eussent ému un tant soit peu, le ministre de l’intérieur. Le silence qui suivit ces exactions valait encouragement tacite, ils pensaient avoir droit de cuissage, ils en usèrent et abusèrent: une fille avec un garçon dans un véhicule présuppose sa petite vertu, elle méritait donc d’être traitée comme un « sabya ». La justice transactionnelle transita honteuse pour poursuivre la victime d’un viol pour atteinte à la pudeur. Ainsi soit-il !
Les policiers qui se permettent d’humilier des manifestants, qui profèrent des mots grossiers, surtout à l’encontre des femmes qui n’eurent la bonne idée de s’abriter sous un Niqab, ne se sentiraient autorisés à commettre des actes illégaux que parce que les instructions ont été données pour ménager les uns et ; maltraiter les autres, l’ostensible piété fera la différence, Dieu reconnaitra les siens. L’arrogance érigée en méthode de gouvernement, doublée de l’inconscience des responsables creuse le lit de l’arbitraire suggérée par la force publique, ainsi s’autorise une frange du « public » à faire fi du respect de la loi parce que ceux qui sont censés la faire respecter la piétinent devant lui. L’exemple vient d’en haut. L’Ethique, la déontologie sont flexibles pour celui qui dispose de la loi du plus fort. Qu’est-ce qu’est obscène, le viol ou « l’illégitimité » d’un couple ?
Sur une chaine de la télévision nationale, à une heure de grande écoute, un haut responsable de la myriade islamiste fit l’éloge de la pédophilie, trouvant des vertus au mariage d’une fille de 13 ans, « ça répondrait à ses pulsions et apaiserait sa frustration » dit-il sans ambages, lui bien épanoui sexuellement. L’adulte mâle, mûr et, vacciné qui se payerait une gamine ne commettrait pas cet acte pour assouvir des pulsions de bas instincts, il ne fera que se conformer au dogme de haute teneur exégétique ! Entre temps, une petite fille de 13 ans, est morte au Yémen d'une hémorragie, des suites d’un viol " Charîa compatible », perpétré par un lascar de 24 ans qui convola avec elle en injustes noces. Obscénité.
Un mort sous la torture, c’est inacceptable. De l’aveu du ministre de l’intérieur lui-même, qui en connait un rayon, lui qui a son corps défendant croupissait dans les geôles de Ben Ali, compte désormais sous son autorité le premier décédé entre les mains de collaborateurs tortionnaires. Diligentons une enquête pour enterrer le mort deux fois !
Un rafiot affrété par des passeurs sans scrupules s’échoue aux larges de Lampedusa avec ses naufragés rescapés qui ont perdu des compagnons au cours d’une expédition suicidaire. Nous avions vu les images terrifiantes de ceux qui s’immolaient par le feu, devrions nous nous habituer au « spectacle » macabre de ceux qui se suicideraient « en buvant l’eau de mer » ? Ainsi le recommanda avec arrogance à ses contradicteurs une ministre de ce gouvernement ! Impudeur.
Un constat attristant qui pointe du doigt l’énergie du désespoir qu’est devenu le crédo de tunisiens de foi musulmane ayant perdu la foi en l’avenir. Le soir même, alors que les journaux télévisés européens meublaient « l’info » par l’échouage du énième « boat people » repêché avec ses « infortunés de la mer » entre formage et dessert, d’éminents ministres d’Ennahdha fêtaient en grande pompe un mariage collectif à la baqlawa et aux boissons fraiches. Alors que des mères tunisiennes pleuraient leurs fils, des représentants de l’Etat arboraient des sourires satisfaits sous les youyous dans un happening kitch digne du grand guignol. Indécence !
Un piètre cinéaste amateur du grotesque, islamophobe nourri à la haine de l’autre, commet une œuvre affligeante de médiocrité, réussit à produire l’émotion qu’il attendait dans des pays musulmans où règnent des dictatures établies ou « naissantes( !) ». Des Tunisiens chatouilleux à fleur de peau se sentirent blessés, ils décidèrent de réagir en allant protester devant l’ambassade des USA le vendredi 14 septembre. Ce qu’ont fait « les frères » libyens méritait un écho chez nous, se dirent les dépositaires exclusifs, auto proclamés de la défense du prophète. L’image horrible de l’ambassadeur américain exécuté par des salafistes libyens fit le tour du monde, elle susciterait le dégout à n’importe quel être humain normalement constitué. Elle était aussi ignoble que celle qui exposa le cadavre de Gueddafi se faisant empaler par les « néo démocrates » libyens. On avait dit : « Jamais ça chez nous ! », en Tunisie, berceau des civilisations. Les autorités tunisiennes étaient donc prévenues. Pourtant attendue, la razzia « Ghazoua » des salafistes sur l’ambassade américaine à Tunis ne rencontra qu’une résistance molle. Un vendredi qui sera marqué d’une pierre noire : des morts, des blessés, une police en déroute, vandalisme, pillage, incendies, lors d’une épopée honteuse ou se mêlèrent salafistes exaltés à d’authentiques voyous qui saisirent l’aubaine pour s’enrichir de butins « Ghanima ». Chacun savait que cette journée était à hauts risques, qu’il fallait sécuriser les lieux. Une ambassade est un territoire étranger qu’un Etat qui se respecte se devait de le savoir. Une horde d’hurluberlus arrivèrent par centaines, à bord de bus affrétés de sociétés de transport ayant pignon sur rue, eurent le temps de se rassembler, à un jet de pierre de l’ambassade, de donner l’assaut, de bruler, de pénétrer l’enceinte, de monter sur les toits, de hisser leur drapeau noir sans que la police ne puisse – ou ne veuille- intervenir. Le ministre de l’intérieur s’en était défendu : « on a été surpris, ils nous ont pris par derrière alors qu’on les attendait devant ». Il est interdit de rire, c’est tout simplement : grossier !
Aucun barrage de police n’a été organisé pour empêcher les hors la loi de commettre le prévisible et l’irréparable de l’aveu de R Ghannouchi, en personne : « on a laissé faire » dit-il. Qui les a laissé faire ? Incompétence, complicité ou les deux à la fois ?
Certains y sont allés de leur interprétation, ce serait un dommage collatéral de la guerre fratricide qui divise désormais les aspirant-émirs d’Ennahdha ! Voilà que l’un des chefs radicaux « grand frère » de ces « enfants gâtés », Abu Yadh, celui-là-même qui incitait les siens à venger par le sang l’atteinte à l’image du prophète ; annonce que les salafistes n’y étaient pour rien. Il est allé deux jours après aux funérailles d’un de ses disciples sacrifié sur le champ de la Ghazoua. A l’image du « tueur qui marche dans le cortège funèbre de celui qu’il vient d’assassiner » dit un proverbe tunisien ; Abu Yadh n’a pas froid aux yeux. Impudent.
Le drame était comme de bien entendu l’œuvre des nostalgiques du régime, comme à Bizerte lors d’une manifestation pro palestinienne, comme à El Ebdellia pour cause d’exposition d’œuvres blasphématoires, comme à Sidi Bouzid où un hôtel a été saccagé parce qu’il servait de l’alcool, comme à Menzel Bourguiba pour interdire le spectacle de l’humoriste Lotfi Abdelli…Les salafistes sont hors de cause, quelques arrestations pour donner le change qui précèdent des libérations. Non-lieu pour des centaines de cas isolés !
Si quelques milliers d’illuminés détenant le monopole de l’ignorance infuse s’arrogent le droit de bafouer la loi, de piétiner les symboles républicains, de profaner les mausolées des saints, du fondateur de la république (Bourguiba) la fleur au fusil, il y a une volonté délibérée de saper le pacte social qui tint bon "cahin-caha" en dépit des soubresauts qui ont ébranlé la Tunisie à plusieurs reprises. Notre identité tunisienne « El Hawia » est construite depuis des siècles par les mains invisibles de nos figures mythiques, légendaires, symboliques ; s’y attaquer c’est décider d’anéantir ce qui nous rassemble, ce qui nous ressemble ; ce qui fait de nos individualités élémentaires éparses, un « Nous » signifiant qui nous survivra.
Ces énergumènes qui veulent réinventer notre histoire, qui ont fait de la terreur un argument de leur dialectique logorrhéique ne viennent pas de Mars, ni d’un autre temps. Ils ne viennent pas de si loin, ils résident bien dans ce pays, on sait les trouver quand on a besoin d’un « soutien spontané » au « plus fort gouvernement depuis cinquante ans ». M.Ghannouchi déplora malgré tout, - malgré lui-, tant de laxisme de la force publique face à la violence de ceux qu’il considère encore comme « nos enfants, qui ne viennent pas de la lune, il faudra les écouter, le dialogue est la seule solution ». Allez dialoguer avec ceux qui viennent armés de cocktail Molotov, de gourdins, de sabres, qui pillent, saccagent les biens publics sous les « Takbirs » entonnés en cœur. Le « Takbir » est-il un visa pour commettre impunément des délits, et des crimes ?
M. Abbou congressiste républicain, qui cueillit la primeur démocratique, ancien militant des droits de l’homme rappelle à ceux qui s’aviseraient de vouloir renverser le gouvernement le 23 octobre que la sanction serait la peine de mort. Monsieur Abbou légifère et exécute, si ce n’est pas une dictature, cela y ressemble tristement. Pour un congressiste, c’est pour le moins incongru.
Une vidéo venue d’ailleurs, présente le projet politique de R. Ghannouchi et apporte la preuve irréfutable de la duplicité de son discours. La caméra « cachée » dévoile la fragilité de la relation entre démocrates islamistes et adeptes inconditionnels de la Charia. Si ces derniers voulaient mettre R. Ghannouchi face à ses tergiversations et ses calculs politiciens, en prenant l’opinion publique à témoin, ils ont bien trouvé la méthode : « Cheikh Ghannouchi, vous êtes des nôtres ou, contre nous, à vous choisir !». R. Ghannouchi fut bien sommé de se positionner clairement, soit en tant que démocrate convaincu du choix du peuple, soit un autocrate qui se doit de changer les rapports de forces au sein de la société pour mener jusqu’au bout le projet Califal. Il choisit de composer avec les salafistes. Il dit : « La police ne nous est pas acquise, le soutien de l’armée n’est pas certain, préparons la société à notre projet ». Il ne pouvait être plus clair, l’alignement de l’appareil sécuritaire est indispensable pour boulonner définitivement Ennahdha au pouvoir. S’éloigne ainsi la neutralité de la police républicaine, -on en a vu quelques manifestations-, et s’en va ainsi l’esprit de la république. A qui profite la diffusion de la vidéo ? aux salafistes qui veulent expurger le gouvernement des nahdhaouis mollassons, aux laïcs qui peuvent désormais disposer de la preuve que Ghannouchi ne conçoit le processus démocratique que comme une étape tactique pour assoir un régime autocrate et théocratique. R. Ghannouchi est désormais pris entre deux contradictions, la sienne et, celle que lui renvoient les siens plus ou moins démocrates. Il est en face d’une équation à deux inconnues, sa capacité à se passer de l’appareil nahdhaoui « pur jus » et son potentiel de rassembler autour de lui les plus ultras, alors qu’il a besoin des deux protagonistes. Dilemme cornélien. Il ne pourra resservir le même os aux deux turbulents alliés, « manger de l’ex Rcediste ». Il n’a que le choix de l’hésitation, de la manœuvre politicienne, pour gagner du temps, le temps d’assoir les relais policiers, militaires, médiatiques, administratifs. Gagner du temps en le perdant en même temps, parce qu’il n’est pas seulement attaqué par les laïcs, il est désormais en difficulté avec ses alliances stratégiques. Il risque de tout perdre, sa gauche et sa droite, à force de courir deux lièvres à la fois, on perd les deux ; certains de ses supposés supporters se verraient bien Calife à la place du Calife, il sait trop bien. Le démenti de R. Ghannouchi tomba mou, sans conviction, « Mes paroles dans cette vidéo sont sorties de leur contexte » dit-il. Au contraire, des preuves font l’écho au quotidien de ses « sages recommandations », dans les mairies, les gouvernorats, les écoles maternelles illégales, jusqu’aux chambres d’hôtels où des policiers zélés s’échinent à débusquer les amours interdites dans des lits adultérins. Entre temps, les Tunisiens perdent patience, le pays craint pour sa liberté fraichement acquise et à la paix sociale qui l’épargne de la « somalisation ».
La Tunisie est en train de vivre les prémices d’une désintégration de l’Etat, lorsque n’importe quel drapé de Qamis se croit autorisé à émettre des fatwas appelant au meurtre, quand un élu promet la peine de mort à ceux qui lui demanderait de se conformer à l’éthique républicaine et de quitter l’ANC le 23 octobre. La république se disloque lorsque l’Etat laisse prospérer à ses côtés des factions qui lui disputent le monopole de la violence « légale », que ces groupes se reconnaissent dans la pègre ou dans des sectes théocratiques -parfois les vases communiquent- la conséquence est la même : déliquescence. L’Etat a comme pour première mission d’assurer la sécurité de ces citoyens comme de toutes autres personnes étrangères sur son sol, il y est soumis à une obligation de résultat. Il règne en Tunisie aujourd’hui bien plus que l’insécurité proprement dite, un sentiment diffus de peur qui ajoute au mal vivre, une expression d’angoisse, les derniers « exploits » d’agents de l’ordre ne font qu’accentuer ce malaise. Le prix que paye la nation est exorbitant, des morts, des blessés, la peur, une image désastreuse de la Tunisie désormais classée pays à risque où le terrorisme a pris racine. La sécurité est le fondement du contrat social, elle est actuellement plus que menacée par l’impunité dont bénéficient outrageusement, indument « ses enfants qui ne viennent pas de la lune », des agités du bocal qui nous promettent un enfer sur terre pour qu’ils aillent eux, au paradis. Cette terre tunisienne qui respirait la tolérance, est aujourd’hui en apnée. La Tunisie suffoque !
Mohedine Bejaoui
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bravo si el bejaoui s'il y avait un mot clef a retenir c'est bien la somalisation :somalisation qui transparait a travers l'etablissement de cadres de l'etat au foi de leur appartenance partisane(discutable quand on connait le gout pour retournement de veste des opportunistes de tout poil) pourquoi ne pas pousser un peu et assayer de voir les causes de cet etat de fait dans l'illetrisme au sens stricte mais aussi au sens figuré des citoyens du pays qui a commencé par l'emputation de lenseignement secondaire de la seule composante nocive a l'brutissement genrale a savoir la phylo dans une deuxieme etape vient l'etablissement d'une radio coranique autour de la quelle cristalliserait toute forme d'opposition qui du coup prendrait une couleur verte(je vois difficilement ben ali ou matri pieux)
J’adore, Monsieur, votre article qui est un rappel de ses qualités et souffrances vécues… d’un mort bien-aimé. Ce défunt s’appelle «la république tunisienne». Depuis… l'UGTT et l’opposition proposent des plans de paix, mais l‘équipe islamique y met une condition de guerre. Le contexte est schizophrénique. Le journal français "Le monde" évoque une Tunisie au bord de la guerre civile. Et notre économie est exsangue. La mobilisation civile, qui tient éveillé tout le pays depuis les meurtres d’hommes politiques et militaires, invalide -de fait- le suffrage universel qui a amené cette équipe au pouvoir. Faudra-t-il que le pays plonge dans le vide pour qu'elle comprenne et se destitue ?