L'économie tunisienne : Etat des lieux et Plan pour une sortie de crise
Se départissant de sa discrétion habituelle, face à la détérioration rapide de la situation économique, l'UTICA monte au créneau. Son Conseil national vient d'adoper une motion où il lance un véritable SOS : "Il en appelle à toutes les forces vives de la Nation pour prendre conscience que la situation économique est telle que, si rien n’est fait de façon urgente, la Tunisie va tout droit vers de grandes difficultés économiques, sociales et financières, voire une situation de banqueroute telle qu’il faudrait probablement une dizaine d’années de travail acharné pour redresser la situation". Le texte, rédigé par un groupe d'experts et de chefs d'entreprise sous la houlette de Hichem Elloumi, ne s'arrête pas au diagnostic. Il propose un plan détaillé de sortie de crise.
Préambule
Il y a presque une année, l’UTICA annonçait sa vision 2020, affirmant aussi bien sa confiance dans l’avenir de l’économie Tunisienne, que l’engagement du secteur privé à s’inscrire pleinement dans la construction d’une Tunisie nouvelle engagée sur la voie de la démocratie et d'une meilleure gouvernance des affaires publiques conformément aux revendications du peuple lors de sa révolution de Janvier 2011.
L'irruption sur la scène nationale de l'assassinat politique mais aussi du terrorisme, l'instabilité institutionnelle et politique qui en a résulté ont dégradé le climat des affaires et ont amené l'UTICA à convoquer en mai 2013 les États généraux de l'économie, dans une tentative de faire prendre conscience à l'ensemble des parties prenantes l'urgence de donner au dossier économique la priorité qu'il mérite.
L'UTICA a alors allié l'approche à court terme à celle à moyen et long terme, en proposant un plan et des modalités de sortie de la crise économique.
Le message de l’UTICA n’a pas été bien compris par les partis politiques. La situation sécuritaire s’est dégradée, la situation politique s’est bloquée et tous les indicateurs économiques ont viré au rouge. L’UTICA se retrouve dans l’obligation de tirer à nouveau la sonnette d’alarme et de manière très forte pour éviter à l’économie tunisienne des dommages irréparables.
L’UTICA en appelle à toutes les forces vives de la Nation pour prendre conscience que la situation économique est telle que, si rien n’est fait de façon urgente, la Tunisie va tout droit vers de grandes difficultés économiques, sociales et financières, voire une situation de banqueroute telle qu’il faudrait probablement une dizaine d’années de travail acharné pour redresser la situation.
Un plan d’urgence pour éviter l'effondrement annoncé de la situation économique s’impose. Il est encore temps d’agir, mais nous n’avons plus de marge.
Cette note dresse dans une première partie l’état des lieux de notre économie et propose un plan de sortie de crise dans une seconde partie.
Première Partie: Etat des lieux
1. Où en est-on en termes de croissance ?
Avant la révolution, le taux de croissance du PIB se situait autour de 5% l'an, un taux qui ne permettait pas de créer suffisamment d’emplois ni d’inclure toutes les régions dans le processus de développement. Le déséquilibre régional et le chômage des diplômés ont contribué largement aux revendications de la révolution de 2011.
Au mois d’Aout 2013, et au même où moment où l’INS annonce un taux de croissance de 3%, pour le premier semestre 2013, Standard & Poor's dégrade la note souveraine de la Tunisie de deux crans.
En fait, le taux de croissance réalisé, tout en restant insuffisant pour résoudre les vrais problèmes du pays, n’a été obtenu que moyennant une dégradation dramatique des équilibres fondamentaux du pays, dégradation qui explique l’abaissement de deux crans de la note de la Tunisie.
De plus la structure de cette croissance est malsaine. Elle résulte essentiellement d’un recrutement massif dans l'administration, de l'augmentation des salaires de la fonction publique et d’une mette augmentation des transferts sociaux. C’est l’augmentation de la masse salariale de l'administration et celle des dépenses des programmes sociaux qui donnent une impression de croissance. Les secteurs productifs ont réalisé des résultats mitigés puisque les taux enregistrés ont été négatifs pour la plupart des agrégats économiques, aussi bien en 2011, 2012 qu’en 2013.
2. Où en est-on en termes d'emploi ?
Les données relatives à l’emploi rendues publiques souffrent d’incohérences flagrantes. Les objectifs et les souhaits s’y mélangent avec les résultats donnés par des simulations de modèles macroéconomiques, non pertinents pour le contexte économique actuel.
Dans tous les cas de figure, et même en intégrant les recrutements massifs dans la fonction publique, la situation en 2013 en termes de création d’emploi est pire que celle de 2010, jugée largement non satisfaisante.
3. Où en est-on en termes d’inflation ?
On assiste à une accentuation des tensions inflationnistes. La hausse des prix a atteint, en glissement annuel, 6,2% en juillet 2013, malgré une intervention très forte du système de compensation des prix qui met à mal le budget de l’Etat et sans laquelle le taux d’inflation aurait été beaucoup plus élevé.
L’Etat a été amené à céder des augmentations salariales non productives qui sont sources d’inflation, de déficit budgétaire et de baisse de compétitivité. La Tunisie est entrée dans une spirale inflationniste dangereuse pour l’économie
4.Où en est-on en termes d’exportation ?
L'industrie tunisienne a su faire preuve de résilience en résistant au choc de la révolution et en réalisant en 2011 une croissance des exportations comparée à 2010. Mais l’année 2012 a enregistré un fléchissement des exportations, tendance confirmée par les résultats su 1er semestre 2013.
Le grand danger pour l’avenir est le risque de la perte de confiance dans le site Tunisie de nos partenaires et clients étrangers. Nos exportations seront alors menacées.
5. Où en est-on en termes d’investissement ?
Un Recul des investissements. Pour les 7 mois de 2013, les IDE aussi bien dans l’industrie que dans les services ont enregistré une baisse de 14 % par rapport à la même période 2012.
6. Où en est-on en termes de finances publiques ?
6.1. Une explosion des dépenses courantes et un tassement des dépenses d’investissement
Le poste « rémunérations publiques » a explosé, passant de 6,8 milliards de dinars en 2010 à 7,7 milliards en 2011, et est estimé à 10.0 milliards en 2013, soit une augmentation de 47% en trois ans. Ce poste représenterait aujourd'hui 53% du budget courant de l’Etat.
Les dépenses au titre des transferts et subventions ont également explosé, passant de 2,3 milliards de dinars en 2010 à 3,9 milliards en 2011, 4,9 milliards en 2012, 5,7 milliards prévus et 7.8 milliards estimés en 2013. Une augmentation de près de 100% en deux ans.
Les dépenses d’investissement sont restées stationnaires au niveau déjà atteint en 2010, soit entre 4 et 5 milliards de dinars, c'est à dire qu'elles restent largement en deçà des besoins des régions intérieures et des exigences exprimées par la Révolution.
6.2. Une gestion budgétaire en manque de rigueur
Au cours du 1er semestre 2013, les dépenses budgétaires, hors remboursement de la dette, ont augmenté de 13,5 % par rapport à la même période de 2012 alors que les recettes ne se sont accrues que de 7,5%, Le solde budgétaire à fin Juin 2013 est négatif pour un montant de 143 MD contre un solde positif de 444 MD à la même date de l’année passée. Le taux de déficit budgétaire prévu pour 2013, déjà énorme, risque d’être dépassé.
De plus l’augmentation des recettes fiscales n’est due qu’à l’augmentation de l’impôt sur le revenu faisant suite aux augmentations salariales et au recrutement massif dans la fonction publique, l’apport de la TVA et de l’impôt sur les sociétés de l’économie formelle ayant baissé du fait de la concurrence déloyale qu’elles subissent de la part d’un secteur informel connaissant un élargissement sans précédent aussi bien en termes géographiques, de secteur d’activité que de capacité financière.
6.3. Un double déficit qui explose
Le déficit commercial explose. Il passe de 12% du PIB en 2011 à 16% du PIB en 2012. Ce déficit se conjugue avec une baisse des recettes touristiques et de service et met à mal la balance de paiement.
Le déficit budgétaire explose aussi. Il passe de 1% en 2010 à 5,3% en 2012 et il est attendu qu’il dépasse 7% à la fin de l’année 2013, malgré la réduction de la part des investissements dans le budget de l’Etat et surtout la non réalisation des investissements inscrits au budget. A la fin du 1er semestre 2013, la réalisation des dépenses d’investissement n’a pas dépassé le ¼ de ce qui programmé pour l’année.
6.4. Un endettement de plus en plus prononcé
L’accroissement des dépenses de l’Etat et le creusement du déficit budgétaire qui en a résulté ont eu pour conséquence un gonflement de la dette publique qui atteindrait 46.8% du PIB à fin 2013, contre 40.3% du PIB en 2010, soit une dérive de +44% en volume en trois ans!
6.5. Une dépréciation vertigineuse du Dinar
Les deux déficits précités associés aux tensions inflationnistes ont eu pour conséquence logique une dépréciation du dinar de 10% en une année.
6.6. Une mobilisation de financement extérieur de plus en plus difficile
Le financement du budget de l'Etat pour 2013 nécessite la mobilisation de 6,8 milliards de dinars, dont 5 milliards en devises.
L’essentiel des ressources potentiellement mobilisables (que ce soit auprès de la BM, la BAD, le FMI et les Sukuks) est loin d'être acquis et pose différents problèmes, liés notamment à la non réalisation des réformes convenues.
Les multiples dégradations du rating de la Tunisie ne faciliteront pas les choses.
Le financement du budget de l'Etat, mais aussi la situation des réserves de change risquent d'être problématiques sur les prochaines semaines si des solutions appropriées ne sont pas trouvées de manière urgente.
6.7. Une dégradation continue de la notation souveraine de la Tunisie
La multiple dégradation de la note souveraine de la Tunisie depuis la Révolution accroît la perception du risque par les investisseurs extérieurs et les bailleurs de fonds privés mais également multilatéraux, soucieux de préserver la qualité de leur portefeuille et leurs notations.
La double dégradation récente de la note souveraine de la Tunisie par S&P et la mise du risque Tunisie sous observation négative, outre le fait qu'il va compliquer et renchérir tout recours à des ressources privées, va installer le pays durablement dans la catégorie du risque spéculatif.
Il va impacter négativement les entreprises tunisiennes et plus particulièrement celles orientées vers l'international. Les financements de leurs activités à l'international seront plus rares. Les cautions bancaires émises en leur faveur par des banques internationales vont être plus chères et plus rares, les confirmations de lettres de crédit vont être plus coûteuses. Les fournisseurs vont exiger de plus en plus des paiements d'avance. Le coût de réassurance des risques situés en Tunisie sera plus élevé et les entreprises notées par des agences de notation internationales seront dégradées dans le sillon de la dégradation du risque souverain.
7. Peut-on redresser rapidement la situation?
La crise n’a pas encore atteint les fondamentaux micro-économiques. Les entreprises ont conservé leur capacité de production, leur marché à l’export et surtout leur capital humain. La Tunisie est encore le premier exportateur par tête d’habitant au sud de la méditerranée.
Un déclic psychologique est à même de renverser la tendance. Il s’agit de redonner confiance à la fois aux entreprises, aux employés, aux demandeurs d’emploi, aux citoyens en tant que consommateur, aux régions, aux fonctionnaires, aux investisseurs nationaux et étrangers ainsi qu’aux bailleurs de fonds et organismes financiers internationaux, et c’est encore possible.
Un programme de redressement, mené par un nouveau gouvernement qui part avec un préjugé favorable, doit s’adresser à tous les acteurs concernés par l’activité économique de manière à leur donner des signaux positifs et crédibles à même de provoquer leur adhésion au programme de relance urgente de l’économie.
Chacun de ces acteurs doit percevoir, à travers ce programme, un signal le concernant, suffisamment fort, d’une volonté de changer les choses en mieux, même si les résultats escomptés ne seront obtenus que graduellement.
Deuxième Partie : Propositions d’un plan pour une sortie de crise
1. Un préalable
La solution politique à mettre en œuvre doit permettre une reprise économique rapide, sans quoi toute solution serait inutile. Il s’agit de donner des signaux positifs, clairs et décidés aussi bien vis-à-vis des acteurs économiques nationaux que vis-à-vis de nos partenaires étrangers.
Cette solution ne peut prendre que la forme d’un Gouvernement composé de personnalités indépendantes des partis politiques, compétentes, opérationnelles et reconnues dans leurs domaines.
2. Des propositions
Le programme de ce gouvernement s’articulera autour des propositions suivantes, présentées sommairement :
1. Communiquer, de manière professionnelle, sur le plan national et international sur l’état réel et objectif de l’économie tunisienne et sur ses capacités à opérer une reprise rapide.
2. Rassurer les bailleurs de fonds sur la capacité du pays à maitriser la situation et à tenir ses engagements financiers et à mener les réformes nécessaires.
3. Demander à la classe politique de tenir un discours responsable tenant compte de l’état réel de l’économie, de l’ampleur des défis et de la nécessité de la contribution de tous à l’effort de redressement économique.
4. Mobiliser les acteurs nationaux autour du défi du repositionnement du travail comme valeur sociale.
5. Garantir par l’Etat la continuité et la fluidité logistique sur tout le territoire national.
6. Obtenir un consensus sur une paix sociale au moins jusqu’à fin 2014.
7. Rétablir l’ordre et la sécurité et lutter efficacement contre le terrorisme pour rétablir la confiance.
8. Augmenter le pouvoir d’achat et réduire l’inflation par une baisse des taux des taxes. Cette réduction des taux pourrait même augmenter les recettes de l’Etat.
9. Tranquilliser les fonctionnaires et rétablir la gestion de carrière par les compétences.
10. Rétablir l’autorité dans les structures en charge des services publics
11. Annoncer de manière claire les investissements à réaliser en moins d’un an dans chaque région et leur désigner des Chefs de projet qui soient ordonnateurs du budget et responsables des résultats.
12. Mobilisation d’un Fonds de 1000 millions de Dinars pour financer à taux zéro les projets d’investissements productifs dans les régions.
13. Accorder des avantages spécifiques aux investisseurs privés qui réalisent des investissements immédiats dans certaines régions.
14. Accorder des avantages spécifiques aux entreprises qui créent des emplois supplémentaires durables en moins d’un an.
15. Accorder une indemnité de mobilité (déplacement et hébergement) pour les demandeurs d’emploi qui trouvent du travail hors de la zone de résidence de la famille.
16. Réajuster les Droits et Taxes excessifs pour certains produits pour lutter contre la contre bande et engager une politique d’intégration des opérateurs informels dans le secteur organisé.
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Le texte en question est bon mais quand j´en arrive à la proposition d´un "gouvernement reconnu dans son domaine" je reste à ma faim.Je pense qu´on tourne en rond. Même le président Français trouve nécessaire de rappeler aux Tunisiens d´aller vers des élections. En effet les élections pourraient nous montrer si la classe politique est prête à accepter les résultats des élections et de se mettre au travail. Autrement il ne fallait pas s´attendre qu´ils laisseraient le gouvernement que vous proposez de travailler. C e que j´appelle tourner en rond. On peut toujours critiquer l´action du gouvernement au cours de son mandat
Cette note est quasiment un copier-coller de la récente initiative de Madame Bouchamaoui, Présidente de l'UTICA...! Où étiez-vous M. Loumi, quand Ben Ali et consorts... sévissaient en Tunisie? Si vous critiquez la situation économique actuelle en Tunisie, pourquoi n'aviez-vous pas critiqué les sit-in et les grèves sauvages d'après révolution, entre autres, dans le bassin minier des phosphates au Sud Tunisien, et qui sont à l'origine du saignement de l'économie tunisienne (perte sèche de plusieurs milliards de dinars, rien que dans le secteur des phosphates)...!? Par ailleurs, votre groupe dispose de plusieurs entreprises à l'étranger (Portugal, Egypte, Maroc,..), où sont les nouveaux investissements postrévolutionnaires de votre groupe en Tunisie!? En politique, il faut apprendre à s’autocritiquer, car la critique est aisée, mais l’art est difficile!!
Où vont ces dépenses d'investissement? Où sont ils?
une autre remarque, il est cité que le terrorisme, alors pourquoi dans ces quelques propositions , l'utica omet de citer la corruption, les fraudes fiscales et les détournements de fonds publics. ...
Décevant. L'UTICA demande tout aux autres et n'offre rien. Il faudrait à mona vis ajouter un 16 point dans le plan qu'elle propose: payer les hommes d'affaires à faire leur travail par le gouvernement car c'est tout ce qu'elle n'a pas demandé au gouvernement (quel qu'il soit d'ailleurs). Allons donc, soyons sérieux, messieurs les hommes d'affaires faites votre boulot et cesser d'exiger des autres. PS: Est-ce que ce sont les exportations qui ont baissé ou aussi est-ce que les devises ont été conservées à l'étranger par les hommes d'affaires?
Une explication pour les points:12,13 & 14.
A part une toute petite minorité très infime, les hommes d’affaires tunisiens ont toujours compté sur leurs propres moyens financiers pour investir et créer des emplois durables, en payant tous leurs impôts et la CNSS de leurs employés et pas uniquement dans le secteur du bâtiment... ! D’ailleurs, même chose aussi pour les hommes d’affaires tunisiens qui ont déjà investi à l’étranger et qui disposent là bas de plusieurs entreprises et de quelques milliers d’emplois dans des pays frères et amis : ils rapatrient leurs bénéfices et ils paient les impôts ! Ils n’ont jamais développé un réflex d’assistanat vis-à-vis de l’Etat ou du gouvernement. C’était toujours le cas, depuis l’indépendance de la Tunisie en 1956. Mais aujourd’hui, l’Etat Tunisien doit aider tous ses enfants y compris les hommes d’affaires et mettre à leur disposition, comme le propose M. Hichem Loumi, vice-président de l’UTICA, 1000 milliards pour les inciter à investir et « financer à taux zéro les projets d’investissements productifs dans les régions ». Tandis que M. Ridha Saiidi, conseiller économique de M. Le Premier Ministre, il a annoncé tout récemment que le « gouvernement demanderait à l’UGTT de reporter les négociations salariales pour après 2014 ». Cette initiative permettrait une relance de l’économie et aux hommes d’affaires tunisiens de créer des emplois nouveaux et durables et sauver ainsi l’économie tunisienne !!
cet article est bien écrit et très pertinent.