Le monde invisible de Mohamed Ben Soltane

Mohamed Ben Soltane nous propose des travaux inclassables, par rapport à une logique d’amateurs d’art, et qui échappent à toute catégorisation. Un choix de présentation est pourtant orienté vers le traitement de l’image sous différentes coutures : tirages encadrés, défilé de photographies à travers un écran, projection sur le mur et une série de Dessins ? Peintures ? En fait, un ensemble de « stations » que l’auteur désigne comme « projets ». Outrepassant le bien-être du convenu, ces projets s’engagent dans la voie du doute et de la rigueur qui n’ont d’égal que le Poétique.

Tout ce que nous présente Mohamed Ben Soltane est riche de sens, consistant en matière, et se propose parfois de nous dé-voiler le monde invisible du quotidien pour mettre en valeur ce qui passe inaperçu. N’est ce pas là le propos de l’art et un point de vue, un « objectif », un « encadrement-engagement », de la part du photographe.

C’est le sens à chercher à travers les inscriptions anonymes, défilé de graffitis-surprises et qui en dit long sur l’interdit à travers la rue tunisienne.

Dans les projets « photo-peintures » et « Les murs s’animent », la matérialité des supports –très différents- des médiums qui n’en sont pas, l’âpreté des couleurs et des textures jouent à cache-cache avec les ourlets de l’ombre et de la lumière. Un grand jeu sensuel. Les tâches s’animent en portraits qui s’expriment devant nos yeux dans un élan presque surréaliste.

Le regard de l’auteur s’est amusé à « décaper » des évènements visuels rencontrés par hasard pour les rendre présents à nos yeux. C’est à se poser la question : qu’est ce que la peinture ? Si ce n’est ce qu’elle porte comme sens en elle-même !

Quant au projet Dessin ? Peinture ? L’interrogation porte sa propre éloquence avec une pointe d’humour. En effet, peu importe la signification quand la figure s’amuse à émerger d’une certaine tache de café sur le papier ; que le portrait naît de la transparence presque imperceptible ; que le mot danse avec la ligne-dessin et que le hasard orchestre les destins. Peu importe la technique quand l’encre, jouant au lavis, se joue de la vie et que le dessin s’engage à danser avec ses rêves fous mais limpides et purs.
Ainsi dansait Zarathoustra…

Mohamed Ben Soltane semble déterminé à tourner le dos à la séduction préférant suivre les chemins de « traverses », unique voie de la découverte et du « gai savoir », comme tout artiste qui se respecte.

Merci à la galerie Kanvas d’ouvrir ses portes aux jeunes talents tunisiens et d’être témoin, en ce début de saison, de la naissance d’un artiste dont le « regard » ne peut développer sa pénétration que pour revendiquer le « terrible » et dont la simplicité et la pudeur nous incitent à la méditation…

Aziza Mrabet,

Ancienne Professeur à l’ISBAT.