Opinions - 02.01.2014

Quelques commentaires sur le budget 2014

Les discussions sur la loi de finances complémentaire pour l’année 2013 et le budget de l’Etat pour la nouvelle année 2014 ont permis de recentrer le débat public sur les questions économiques. C’est l’un des rares moments de l’année où l’économie a eu droit de cité. En effet, les questions politiques ont dominé l’espace public et ont monopolisé la parole. Une situation qui s’explique par l’impasse qu’a connue le processus de transition au cours de l’année en cours. Les assassinats lâches de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi et d’autres militants politiques, les attentats qui ont visé les forces de sécurité et l’avènement de la violence terroriste ont plongé le pays dans une grave crise politique avec le retrait des députés de l’opposition de l’Assemblée nationale constituante et le blocage des travaux de la constitution. Cette crise politique et les fortes mobilisations lors de l’été 2013 ont été à l’origine du lancement du dialogue national sous la houlette du quartet qui a cherché à dénouer l’impasse politique et à ouvrir une nouvelle phase dans le processus de transition.

Cette impasse politique et les risques de dérive face à la menace terroriste ont été à l’origine d’une exacerbation des débats politiques. Ils ont également marginalisé les autres questions, notamment les questions économiques et sociales, qui ont pourtant porté la contestation au moment des révoltes de décembre 2011 et ont mis la question de l’inclusion sociale au centre du débat. Cet enfermement du débat public et du dialogue national dans un échange politique, perçu pour beaucoup comme politicien et déconnecté des préoccupations immédiates des gens, et l’incapacité des différents gouvernements à apporter des débuts de réponse aux questions du chômage et à la marginalité des régions de l’intérieur ont été à l’origine d’un désenchantement du politique et d’un désintérêt grandissant de la chose publique.

La problématique du développement au cœur du débat public

Les débats budgétaires ont fourni l’occasion à la classe politique et aux experts de remettre les questions économiques et la problématique de développement et de l’inclusion au cœur du débat public. Mais, même cette opportunité pourrait bien devenir une occasion manquée tellement le débat s’est enfermé dans un échange technique sans aucune profondeur stratégique et sans une vision globale sur les perspectives d’avenir de notre économie. Car, rappelons-le, dans tous les pays démocratiques les discussions budgétaires, au-delà des simples questions techniques, sont avant tout un moment de réflexion stratégique de toute la nation sur sa vision de l’avenir et les moyens de contribuer par le biais du budget et de l’action publique à nourrir et à préparer les pays à la construction d’un nouveau modèle de développement et un projet de société. 

Toute la question est de savoir si nous avons réussi à donner au débat économique sa profondeur stratégique? Il s’agit de savoir si le débat et l’action économique ont réussi à mettre les questions de l’inclusion, de la transparence et de la bonne gouvernance non seulement au centre de nos débats mais également au cœur de l’action publique? Avons-nous réfléchi sur les gains des printemps arabes et des transitions en cours dans le domaine économique? Avons-nous entamé un échange sur les canaux qui vont nous permettre à nos économies de tirer les dividendes des transitions en cours ? Avons-nous commencé une réflexion sur les institutions à mettre en place afin de capitaliser les dividendes et les bénéfices de la fin de l’autoritarisme, de la corruption et du népotisme ? Avons-identifié les gains qui pourraient provenir d’une plus grande égalité des chances et des politiques plus stables et crédibles ? Avons-nous pris la mesure des facteurs qui pourraient remettre en cause cette transition et nous empêcheraient de bénéficier de ses dividendes? Avons-nous déterminé les réformes à mettre en place et avons-nous réussi à mobiliser les alliances nécessaires à leur mise en œuvre ? Mais, surtout avons-nous été en mesure de définir les contours des questions de l’inclusion et de la durabilité qui doivent être au cœur de notre nouveau modèle de développement? Enfin, comment intégrer ces dimensions dans de nouvelles politiques économiques de rupture avec celles qui nous ont enfermés dans un modèle de développement dépassé?    

Or, force est de constater que le débat économique post-révolution n’a pas réussi à parvenir à la hauteur des défis ouverts par la période de transition et cette quête sans précédent de liberté et d’inclusion. La réflexion économique est restée prisonnière de deux discours économiques convenus. Le premier est l’héritier de la tradition orthodoxe qui cherche à poursuivre les politiques d’antan et qui ont montré leurs limites en Tunisie comme ailleurs conduisant à l’impasse et en mettant l’accent sur les grands équilibres macroéconomiques faisant l’alpha et l’oméga de toutes les stratégies de développement. Ces politiques ont nourri l’exclusion et les inégalités qui seront à l’origine des contestations et des printemps arabes. L’autre discours est celui de la contestation et du rejet des modèles passés. Il s’agit d’un discours qui était au cœur des mobilisations sociales et qui éprouve aujourd’hui les plus grandes difficultés à se traduire dans des politiques crédibles et capables de sortir le pays de sa crise et de lui ouvrir de nouvelles perspectives de développement.

Ainsi, le débat économique post-révolution semble enfermé entre la poursuite de schémas dépassés et la contestation de l’ordre établi. Cet enfermement explique la pauvreté du débat économique aujourd’hui dans notre pays. Les rares conversations économiques portent sur des questions ponctuelles imposées par l’actualité pressante. Ainsi, en est-il pour la question de l’inflation lorsque les prix ont commencé à monter en flèche. Il en est aussi du débat sur le taux de change lorsque le dinar a commencé à chuter inexorablement vis-à-vis des devises étrangères avec ses effets en termes d’inflation importée ou de l’accroissement du fardeau de la compensation avec l’augmentation des prix de nos importations en énergie ou pour certaines denrées alimentaires. C’est aussi le cas du débat sur la compensation lorsque les ressources qui lui sont consacrés dans le budget de l’Etat ont explosé réduisant de manière forte l’espace fiscal de l’Etat et sa capacité à augmenter ses dépenses d’investissement en faveur des régions de l’intérieur.

Sortir des sentiers battus

Parallèlement à l’actualité, l’ordre du jour du débat économique est fixé par les rumeurs qui, faut-il le dire, se sont multipliées ces derniers mois. Elles ont porté sur la faillite imminente des banques, d’une compagnie nationale ou l’incapacité de l’Etat à assurer ses obligations et notamment le paiement des salaires. Ces rumeurs sont nourries par des informations erronées et parfois même par nos messieurs Doom ou Catastrophe et autres spécialistes des mauvaises nouvelles. Ce contexte conduit certains organismes publics à multiplier les communiqués de presse pour rassurer une population au bord de la crise de nerfs face aux progrès limités dans la lutte contre l’exclusion et la construction de nouveaux modèles de développement.

Le débat et la réflexion économique paraissent aujourd’hui courir derrière l’actualité politique, économique et sociale ou se battre contre les rumeurs et les fausses nouvelles. Ils ne sont pas encore inscrits dans une démarche positive qui leur permet de mettre au cœur du débat public les questions stratégiques liées à l’avenir de notre économie. La question du nouveau modèle de développement, par exemple, est évoquée par bribes dans différentes réunions ou dans des contributions journalistiques sans que nous puissions en saisir les enjeux ni en déterminer les contours. La question de l’avenir de la compensation des produits de l’énergie et des produits de base reste circonscrite aux grandes incantations sur la nécessité de mieux cibler cet appui afin qu’il bénéficie à ceux qui en ont besoin.     

A qui revient la responsabilité de cette pauvreté et misère de la réflexion économique post-révolution ? Il n’est nullement dans notre intention de faire assumer cette responsabilité au gouvernement ou aux autres institutions de la transition seules. Cette responsabilité est de notre avis collective. Elle est portée par tous les acteurs économiques, politiques et sociaux. Au préalable, cette responsabilité revient aux économistes et aux experts de tout bord qui n’ont pas réussi à structurer un espace de débat et de réflexion sur les questions économiques comme a réussi à le faire la communauté des juristes à propos de la Constitution. Les économistes doivent se mobiliser plus dans le cadre de leurs associations, de nouveaux think tanks et des différents lieux disponibles afin d’encadrer le débat sur les questions de développement, en fixer les règles pour lui procurer la rigueur et la précision nécessaire et l’orienter également vers l’action afin qu’il éclaire les choix et les prises de décision publique. Les autres institutions comme les partis politiques, les syndicats ou les associations de la société civile peuvent contribuer à l’enrichissement du débat et de la réflexion économique en lui ouvrant leurs espaces et en mettant ces questions au cœur de leurs activités.

La sortie des limites du débat économique et son enrichissement sont d’autant plus importants que les périodes de crise sont toujours des moments de grande inventivité dans la réflexion économique. En effet, les développements majeurs, les nouvelles constructions théoriques ou les innovations des politiques économiques sont nées dans les moments de grande instabilité. Ainsi, la théorie générale et les enseignements du maître de Cambridge, le grand économiste John Maynard Keynes, a pris forme dans le grand tsunami que l’économie mondiale a connu durant la grande dépression de 1929. A cette occasion, le maître de Cambridge a mis à l’ordre du jour les limites des marchés dans la régulation de l’ordre marchand. Cette grande nouveauté théorique pour l’époque a été à l’origine d’un développement majeur de la politique économique et fera des politiques de demande et de relance les piliers des Trente Glorieuses que le monde occidental connaîtra après la seconde guerre mondiale.

Dans les moments de rupture et de remise en cause de l’ordre économique établi, les penseurs redoublent de créativité et d’inventivité pour comprendre les racines du mal et surtout suggérer les stratégies et les politiques pour mettre les économies sur la voie d’une croissance durable. Comme les grandes crises dans les pays développés, les printemps arabes constituent une rupture majeure dans les cycles et les trajectoires économiques de nos contrées. Cette rupture a exacerbé l’essoufflement des modèles de développement économiques et l’incertitude ambiante. Elle exige des réponses nouvelles pour sortir de la dépression et renverser le cycle économique et offrir une nouveau modèle de développement. C’est au débat, à un échange économique et à une réflexion qui sort des sentiers battus d’apporter des réponses ambitieuses aux défis du moment.  

Hakim Ben Hammouda.

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4 Commentaires
Les Commentaires
Mohamed Obey - 02-01-2014 17:14

La Misère de la pensée économique post-révolution. Oui! ça fait partie de la misère générale. Il faut un modèle économique neuf qui se démarque du vieux modèle qui a démontré sa faillite. Mais il faut un modèle qui récompense le travail, l'originalité, le savoir et la créativité_ non un modèle qui punit les travailleurs et récompense les paresseux et les cancres, les fraudeurs.

bouzaiane Mohamed - 04-01-2014 08:30

Le temps est à l'innovation et à la création dans tous les secteurs économiques, financiers,techniques et énergétiques. En effet énergétique, car ce terme repose sur la puissance intellectuelle de chacun de nous et du mis au travail en utilisant cette puissance. Les futurs managements de notre pays auront pour tache de mieux utiliser les ressources humaines disponibles et bien orienter celles qui sont en formation.Les politiciens avides de pouvoir dont certains sont portés par de grands ego, ont maladroitement gaspillé notre énergie intellectuelle en opposant les puissances les unes aux autres et en perdant un temps considérable et irremplaçable.Les banques, les médias, les économistes, les chercheurs de tout bord doivent orienter les jeunes et moins jeunes à créer, à innover et à compter sur eux même (individuellement ou en petit groupes)et non sur l'administration déjà étouffée. Sachez qu'on peut actuellement donner vie au Sahara tout en lui arrosant par de l'eau ayant subi un dessalement par de l'énergie solaire et au moindre coût. Sachez que l'avenir énergétique de notre pays peut se baser essentiellement sur les énergies renouvelables. Nos bâtiments peuvent être construits avec beaucoup moins de ciments et d'acier tout en assurant un confort thermique acceptable. Nous pouvons réduire la consommation de l'énergies et espérer augmenter la productivités des poulaillers et des bâtiments destinés à recevoir des animaux.En effet le potentiel humain disponible doit être animé par de l'optimisme réaliste et non par la peur souvent accentuée par les médias mal avertis. notre jeunesse a droit à une politique moins hypocrite et moins collante aux chaises. Oui à l’espoir et à la lumière qui nous viendra du coté de nos équipes nationales pratiquant le sport, la recherche, la sécurité, l'information, l'économie. Le miracle viendra de la bonne et judicieuse utilisation de nos puissances intellectuelles à coté des autres puissances matérielles disponibles. Pas de panique notre potentiel est réellement opérationnel à condition de ne pas l'envenimer par la politique déchirante et surtout mal intentionnée.

el khlifi mokhtar - 04-01-2014 12:09

"A qui revient la responsabilité de cette pauvreté et misère de la réflexion économique post-révolution ?...cette responsabilité revient aux économistes et aux experts de tout bord qui n’ont pas réussi à structurer un espace de débat et de réflexion sur les questions économiques comme a réussi à le faire la communauté des juristes à propos de la Constitution.C'est une idée fondamentale que j'ai toujours défendue bien que je sois pas économiste.Ne restons donc pas au stade des idées.Que les économistes et les experts, mus par le désir de se rendre utiles au nouveau Gouvernement et au pays, se réunissent pour dresser,d'abord, un bilan de la situation à partir de chiffres incontestables, puis proposer un modéle de développemnt qui permette une croissance de plus de 5% au moins.

FBF - 05-01-2014 01:46

Et si on posait aux économistes quel modèle suit actuellement la Tunisie, la réponse résoudra une grande partie du problème.

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