Le Système d'Enseignent Supérieur tunisien: vers l'autonomie des Universités
Le système d'enseignement supérieur public tunisien compte aujourd’hui, selon le site officiel du Ministère, plus de 316 000 étudiants et 22 000 enseignants répartis sur 13 Universités et 198 établissements, dont 25 Instituts Technologiques relevant de la Direction Générale Ldes Etudes Technologiques.
L'évaluation de cette organisation suscite quelques éclaircissements. Ceux qui connaissent mal notre système d'enseignement supérieur, peuvent penser que les 211 institutions sont tout à fait indépendantes.
Contrairement à la plupart des universités dans le monde où les étudiants et les enseignants y sont directement affectés, l’université tunisienne se présente plutôt comme un consortium d’établissements. En Tunisie, les universités ont été historiquement conçues comme des annexes administratives du Ministère, comme une représentation régionale en quelque sorte, assurant la coordination administrative entre le ministère et les institutions qui lui sont affectées. Il était donc logique que le Ministre choisisse ses représentants régionaux. Les Présidents des universités étaient donc nommés par le Président de la République sur proposition du Ministre. Après la révolution de Janvier 2011, le système a subi un léger changement au niveau de la gouvernance.
Répondant aux aspirations des universitaires et aux revendications de leur syndicat historique, des projets de réformes ont vu le jour, permettant d’améliorer en partie la gouvernance des universités. Ils ont permis de procéder à l’élection de tous les responsables des institutions et des universités. Les représentants régionaux du Ministère sont désormais élus par un conseil de l’Université qui est lui- même élu démocratiquement. Ce nouveau mode de désignation a rendu les élus directement responsables devant leurs électeurs.
Mais les réformes n’ont pas pu aboutir en l’absence d’un cadre juridique adéquat et cohérent. Le système a continué à fonctionner d’une manière centralisée, créant des situations paradoxales. En effet, le Président élu est redevable à ses électeurs, mais dépend entièrement de l’administration centrale obéissant à d’autres impératifs. Ce Président, doit rendre des comptes à ses pairs, alors qu’il se trouve sous la dépendance des textes qui le lient directement aux différents services centraux des ministères: premier ministère, ministère des finances, ministère des domaines de l’Etat, ministère des équipements, ministère de tutelle.
Dotée du statut d’Etablissement Public à caractère administratif, l’Université est régie par le code du marché public et elle est soumise au contrôle préalable des dépenses publiques à travers un dispositif complexe remontant jusqu’au premier ministère. La conséquence de ce système est un état de paralysie ressenti par les universitaires quant à la gestion des fonds, paralysie engendrée également par la complexité des procédures d’achat et des modalités d’application du code de marché public. L’Université est dotée d’un conseil de l’Université qui est délibératif d’après les textes, mais dont aucune décision ne peut être appliquée en pratique sans le recours à la hiérarchie administrative. La décision relève du Ministère pour tout ce qui concerne la création, la suppression et l’évaluation du parcours de formation et des structures de recherche. Les capacités d’accueil des étudiants sont également gérées au niveau central.
Le personnel administratif et le personnel enseignant dont les contractuels sont ainsi recrutés directement par le Ministère. Nombreuses sont les décisions qui doivent être prises exclusivement au niveau du Ministère de tutelle et qui réduisent en peau de chagrin la marge d’initiative des universités.
La recherche scientifique se trouve terriblement handicapée par ces contraintes administratives. Les procédures d’achat d’équipements et de mise en place des missions constituent le parcours du combattant du chercheur.
Toute ces difficultés, sur un fond de tensions sociales, venant s’ajouter à tous les autres problèmes inhérents à cette période de transition démocratique de notre pays, exigent que des solutions contextuelles soient trouvées.
Le contexte actuel de l’enseignement supérieur rend la tâche très difficile quant à l'élaboration sérieuse et efficiente d’une réforme. Plusieurs problèmes structurels et conjoncturels freinent cet élan. Comme partout dans le monde et dans les pays du sud d’une manière particulière, notre système souffre d’un problème crucial de massification. Il s’agit d’un problème conjoncturel qui ira, certes, en s’estompant dans les années à venir, mais qui doit être correctement géré aujourd’hui pour préserver la qualité de la formation et des produits engendrés. Cette massification, due à un manque flagrant de communication entre les universités et leur environnement socio-économique, a généré un problème de qualification des diplômes.
Pour poser clairement la problématique , nous devons revenir un peu en arrière et nous interroger sur les réformes qui avaient été engagées dans le cadre de ce système depuis 2006, dans le sillage de la dynamique générée en Europe par le processus de Bologne. Cette réforme qui a été financée par des prêts étrangers, Banque mondiale et communauté européenne, avait pour objectif la mise à niveau de notre système d’enseignement supérieur et la reconnaissance de ses diplômes à l’étranger et en Europe en particulier.
Ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est beaucoup moins les textes qui sont nés de cette réforme que leur mise en application et les moyens employés à cet effet. Beaucoup de lois et de décrets sont restés lettre morte, particulièrement ceux relatifs à la gouvernance. Les lois et décrets de 2008, proposaient en effet d’attribuer au statut des établissements d’enseignement supérieur une plus grande autonomie pour une meilleure gouvernance. Il manquait la volonté politique et la mobilisation effective des parties concernées pour mettre en application les propositions que portait l’esprit de ces textes.
Muni d’une nouvelle constitution, notre pays peut revendiquer une meilleure gouvernance du système d’enseignement supérieur. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour nous inciter à avancer à pas sûr dans la voie d’une véritable réforme universitaire.
Lassaad El Asmi,
Président de l’Université de Carthage
Président de la Conférence Maghrébine
des Responsables des Établissements
d'Enseignement Supérieur
membres de l'AUF
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Oui certainement, il est absolument nécessaire de lancer une nouvelle réforme de l’enseignement supérieur. Il s’agit de rénover les systèmes d’enseignement supérieur, souvent calqués sur les modèles européens au sens large. Ils se trouvent face aux mêmes obstacles : académisme, faible adaptabilité des cursus et des contenus, inaptitude à former suffisamment d’étudiants adaptés aux demandes des employeurs publics comme privés. Cette réforme doit être basées sur de nouveaux concepts : assurance-qualité, professionnalisation, évaluation, gouvernance, etc
L'autonomie c'est plus de libertés et de « responsabilités » pour les universités. Elle donne plus d’énergie et de conformité. L’autonomie peut bâtir un projet d'établissement, faire des choix stratégiques, mener une véritable politique de recrutement, gérer un budget global,... Malheureusement, lorsqu’il s’agit d’un responsable qui est incapable de choisir ses collaborateurs et qui s’appuie sur la légitimité des élus, même s’il est incompétent, les conséquences seraient lourdes à supporter par le Ministère. Je dirais que l’autonomie des universités renforce l’abu de pouvoir et démuni le contrôle sur les dépenses de l’université.
l'autonomie c'est plus de responsabilité oui et si à cette ère nous pensons encore que l'autonomie de l'université induit à un abus de pouvoir en se basant sur des faux jugements ou des rivalités maladives notre université et par là la recherche scientifique serait vraiment caduque !!!
Oui Patriote, le premier commentaire sur les avantages de l'autonomie est excellent, dommage que ça ne soit pas dans un esprit constructif.
PATRIOTE : Excellent commentaire, malheureusement exprimé dans un esprit de destruction.
merci
Article intéressant. A mon avis, il faut s'inspirer des modèles existant. Bon courage.
Merci
Article très instructif, qui montre qu'il y a du travail sur la planche
C'est vrai que la recherche est paralysée. Je peux témoigner que pour arriver à obtenir la prise en charge d'une mission, il faut fournir plus d'énergie que pour la mission elle même.
Le contrôle des dépenses, c'est vraiment notre bête noire.
L'obtention de l'autonomie passe par des audits très strits des institutions. Il faut aussi bien discuter les différents points qui feront l'objet de cette autonomie : financière, académique, etc ... Peut-on allez jusqu'à la gestion à l'échelle de l'Université de la masse salariale?
J'imagine que ceux qui commentent cet article font partie le plus probablement de la comunauté des universitaires enseignants-chercheurs en exercice. Je suis étonné qu'ils interviennent le moins qu'on puisse dire en niquabés et ce n'est pas une métaphore!!!!! puisque leur nom n'autorisent aucune identification et heureusement qu'ils ne soient pas trop nombreux; j'espère ne pas me tromper: un détail révélateur sur le mental qui règne chez les universitaires de tunisie et à chacun de tirer sa conclusion.
Si les dotations de l'Etat ne couvrent pas l'augmentation quasi mécanique des dépenses, qu’elle solution proposez-vous ? Surtout que les universités n’ont aucune culture de la gouvernance opérationnelle, de la gestion prospective et du pilotage budgétaire et financier.
Je m'excuse de vous faire remarquer que votre analyse quand elle ne laisse pas de côté les vrais maux de l'enseignement supérieur, elle se trompe dans la détermination de leurs causes . Par exemple, j'aime bien que vous écriviez un autre article dans lequel vous développez votre affirmation que la massification de l'enseignement supérieur est due à un manque flagrant de communication entre les universités et leur environnement socio-économique affirmation plus que bizarre. .Comment une meilleure communication va t-elle permettre de réduire le nombre des étudiants? quand le diagnostic n'est pas bon, les solutions suggérées le sont nécessairement. Les problèmes de l'université tunisienne sont beaucoup plus profonds que votre analyse.
Je remercie tous les commentateurs pour leurs remarques pertinentes et constructives. J’aimerais d’abords commenter la remarque de Ghaubi qui porte sur la forme. Effectivement, le fait que les commentateurs ne se présentent pas sous leur véritable identité est sûrement révélateur de quelque chose que je m’aventurerai pas à expliquer. En écrivant cet article, je n’avais aucune prétention à part lancer le débat sur une question qui tient à cœur à tous les universitaires aujourd’hui. Il n’est pas possible de procéder à un quelconque changement sans que la problématique soit discutée à grande échelle. Il est très important que tous les acteurs donnent leur avis dans ce sens. Et ça serait encore mieux si chacun se présentait par sa vraie identité et qualité. Pour la remarque de la personne se présentant sous le pseudonyme « étonnant ». Effectivement, le terme « due » s’est maladroitement inséré à la place de « conjuguée ». J’avais envoyé une version qui corrigeait cela bien avant la parution de l’article. J’espère que le rédacteur en chef du journal voudrait bien procéder au remplacement que nous avions demandé. Je dis que le problème de massification est une réalité qui était inévitable et qui n’est pas propre à notre pays, ni aux pays du sud. Mais, je dis aussi que le problème de qualification des diplômes est dû non seulement à ce problème de massification, mais aussi au manque de coordination dans la construction des parcours de formation entre l’université et le monde socio-économique. D’ailleurs, de nouvelles expériences commencent à voir le jour, comme les parcours co-construits et les thèses de type mobidocs, qu’il faut encourager et généraliser. Si le problème de massification était inévitable le problème de qualification des diplômes pouvait être évité et peut toujours être résolu. Les problèmes de l’enseignement supérieur sont sûrement beaucoup plus profonds que cette analyse d’une page. Je n’ai parlé que d’une petite partie des problèmes. « Ben Ahmed » exprime ses doutes quant à la capacité des universitaires à relever le défi de l’auto-gestion des fonds. C’est une très bonne question qui se pose d’une manière naturelle. Nous ne prétendons pas vouloir faire ce que nous ne savons pas faire. Il s’agit de procéder à une véritable décentralisation du pouvoir. Mettre en place à l’échelle de chaque université, tous les mécanismes nécessaires à la bonne gouvernance. Il ne s’agit pas de réinventer la roue. Les expériences existent et il faut simplement adopter celles qui conviennent le mieux à notre environnement.
Rien d’étonnant, puis que tout le monde reconnaît le rôle joué par l’université dans le développement du progrès scientifique et technique. C’est l’un des lieux où se préparent les projets de vie où s’acquiert la connaissance, à travers la science, la recherche, et la pédagogie. L'université est avant tout une institution et, en ce sens, elle se définit par la nature de ses finalités, et non par les moyens mis en œuvre pour les réaliser plus ou moins efficacement.
L’autonomie est bien. C’est un principe à défendre. SEULEMENT, si elle se fait maintenant l’Université ou les Universités Tunisiennes seraient des COSA NOSTRA. Deux étapes avant l’AUTONOMIE : Le vote direct pour mettre fin aux clans et aux lobbies, l’Unification des corps et la mise en place d’un système d’audits et de suivi.
Bravo Monsieur, vous avez toute notre confiance. Les obstacles vont tomber, il faut persévérer.
Bonsoir, Article intéressant... Bonne lecture