Scénario utopique: Les tunisiens sans Etat!

« Long, long et sinueux est le chemin de la paix! Tu rageras, tu baisseras les bras pour sauter plus haut… pour hurler plus fort! Tu apprendras petit à petit que réellement l'enfer est pavé de bonnes intentions: hier beaucoup de symboliques sont venues nous rappeler combien l'histoire est têtue et combien l'homme est amnésique! ».

Au lendemain de la révolution, les tunisiens se sont réveillés sans police dans la rue, alors ils ont décidé d’être la police et de protéger leur familles et leur quartiers. Si demain nous nous réveillons sans Etat, sommes-nous capables de nous autogouverner? De gérer nous-même tous les aspects de la vie courante? Je pense que oui et je vais expliquer comment ! Si ces idées vous inspirent, vous pouvez rajouter vos suggestions dans la section : « commentaires » afin que ce scenario-fiction soit le plus proche de la réalité possible.

Il bien entendu que loin de moi l’idée de critiquer le gouvernement actuel, qui je suis sure, fait de son mieux pour nous sortir de ce long tunnel. Cependant, comme je n’ai pas vu de films depuis ces 3 dernières années, j’ai décidé d’écrire ce scenario science-fiction. J’espère que vous aurez autant de plaisir à le lire que moi j’ai eu à l’écrire

Avant de commencer, je voudrai rassurer certains de mes commentateurs que je suis plus que jamais convaincue que la priorité numéro une en Tunisie demeure l’emploi et je vais continuer, dans cet article, à y consacrer toute ma réflexion et mon énergie. Au risque de décevoir certains autres commentateurs: je ne suis pas intéressée d’intégrer aucun gouvernement, ni aucun parti politique, car mon père m’a appris un principe très important que j’ai toujours suivi dans ma vie: « Entrer les maisons par leur porte  » et une de mes valeurs clefs est le respect des peuples et de leur volonté.

En effet, je suis convaincue qu’avant d’appartenir à quelconque gouvernement ou se présenter à n’importe quelle élection, nous devons prendre le temps d’expliquer notre vision et quel programme nous défendons. Entre les gouvernants et les gouvernés, existe un contrat et comme n’importe quel contrat, il est impératif que chacun sache à quoi il s’est engagé pour ensuite honorer son engagement.

Gandhi nous dit: “The difference between what we do and what we are capable of doing would suffice to solve most of the world’s problems”. “La différence entre ce que nous faisons et ce que nous sommes capables de faire suffirait à résoudre la majorité des problèmes de ce monde ”.

Je vais commencer par énoncer deux principes de base sur lesquels cette gestion collective va s’effectuer avant de décrire brièvement comment elle va se faire.

1^erPrincipe: La Décentralisation: Comme le dit souvent Si Mohamed Ridha Kamoun : « Décentraliser jusqu’à la cellule ! ». Donc la décentralisation pour moi ne veut pas dire au niveau des régions, gouvernorats ou municipalité. Mon unité de base est le quartier (ou petit village) c’est-à-dire chaque communauté de 2500 à 5000 habitants. Chaque quartier va choisir 50 à 70 volontaires qui bénévolement vont accepter de gérer les affaires communes de la communauté. Ils seront de préférence des retraités, car ceux-ci ont trois atouts majeurs: le temps, l’expérience et la sagesse. De plus ils peuvent généreusement donner deux ou trois heures par jour de leur temps.  Ce Conseil des Sages sera en charge de gérer tous les centres qui vont exister dans chaque quartier.

2^eme Principe: 100% solidarité avec les membres de la communauté : Le modèle que je propose ne fonctionnera que si chacun d’entre nous se sente responsable du bonheur de son prochain. La solidarité dont je parle a toujours existé dans la culture profonde de chaque tunisien. Nous l’avons reçu dans le lait maternel et elle fait partie de nos gènes. A l’heure où on nous apprend que ce sera un miracle de pouvoir payer les salaires et les retraites, les familles doivent se préparer à s’entraider au cas où il y aurait cessation de paiement. Plus que jamais nous aurons besoin de notre communauté de tunisiens à l’étranger.
Les entités que je rêve de voir dans chaque quartier :

1. Coopératives d’achat

Quand j’ai passé deux ans au Kuwait, j’ai découvert un genre de supermarché assez particulier que les koweitiens appellent : ‘Jamyaa’ (association). En fait c’est un genre de coopérative d’achat qui existe dans chaque quartier. Les habitants d’un même quartier contribuent tous à l’établissement de ce supermarché, dont les gérants font tout pour acheter les produits au moindre coût. Comme les clients sont aussi les propriétaires, ils ne font leurs courses que dans ce supermarché qui les récompense pour leur fidélité par des points leur donnant droit à des remises. Dès que le prix d’un produit augmente, les gérants le boycottent et expliquent aux clients pourquoi ils l’ont échangé par un produit équivalent mais moins cher. A la fin de l’année, les habitants du quartier, actionnaires de cette coopérative d’achat ont le choix de recevoir les dividendes en forme de bons d’achat ou de réinvestir leurs gains et accroitre leurs actions. Ce genre de projet est créateur de beaucoup d’emploi et priorité peut être donnée aux jeunes du quartier.

2. Art et sport

Chaque quartier aura un grand centre social récréatif pour tous les membres de la communauté. Jeunes et moins jeunes y trouveront leur bonheur et pourront partager des tournois sportifs, des spectacles de théâtre, de musique, dance… La plupart des activités seront gratuites et basées sur le troc. Par exemple une femme au foyer pourra apprendre la cuisine et en échange recevra des cours de yoga. J’ai personnellement vu ce genre de troc à Auroville en Inde. Une prof d’anglais par exemple donnant des cours en échange de soins médicaux d’un médecin qui veut apprendre l’anglais. Ce centre aura aussi des cafés, restaurants et autres lieux, à bas prix (car ils s’approvisionneront de la coopérative d’achat de leur quartier), où les voisins pourront se réunir. Des tournois sportifs et échanges culturels pourront s’organiser entre différent quartiers. Ce genre de projet créera une variété incroyable d’emplois pour les jeunes diplômés de ce quartier en fonction de leurs spécialités : Gérant, comptable, prof de sport, musique, dance, dessin, cuisinier, décorateur, jardinier, embellisseur de citées….

3. Education

Chaque quartier organisera des cours d’aide scolaire gratuits que donneront bénévolement tous les maitres et professeurs à la retraite. Ils s’assureront qu’il n’y ait aucun illettré dans leur quartier. Ils pourront aussi aider les jeunes à la recherche d’un emploi à combler la moindre lacune dans n’importe quelle matière, langue ou informatique. Les entrepreneurs/secteur privé du quartier aideront ces jeunes en leur offrant un stage non rémunéré dans leurs entreprises afin de leur donner une première expérience qui va les aider à décrocher plus tard leur premier emploi. En contrepartie, ces jeunes pourront offrir, durant le weekend, des services tels que: (arrosage de jardin, payement de factures, badigeonnage, babysitting courses du supermarché, soutien scolaire…) à ces entrepreneurs qui leur ont offert ce stage.

4. Sponsoriser les jeunes

Dans chaque quartier, il y a un certain nombre de jeunes qui ont besoin d’un accompagnement particulier avant de pouvoir commencer leur vie professionnelle. Il y a aussi des familles aisées, dont les enfants ont probablement déjà trouvé du travail et ont quitté la maison familiale. Ces familles peuvent offrir des chances similaires à celles qu’ils ont offertes  à leurs enfants, à d’autres jeunes qui n’ont pas eu les mêmes chances. Un devoir de solidarité incombe aux membres d’une même communauté afin d’offrir les mêmes opportunités en sponsorisant ces jeunes qui parfois n’ont besoin que d’un coup de pouce pour voler de leur propre ailes.

5. Embellir la citée, planter des arbres et protéger les animaux

Chaque village ou quartier a la responsabilité de contribuer à embellir son environnement. Si chacun des 5000 habitants que constitue le quartier ou village plantait un arbre, la Tunisie retrouverait son adjectif légendaire de « Tounes Al-Khadhra ». Chaque quartier pourra mettre en place un espace vert ou les enfants apprendront dès leur jeune âge à protéger les animaux. Chaque nation est jugée à la manière dont elle traite ses animaux. Ma fille Yasmine vient de m’apprendre que le droit français vient, cette semaine, de changer la manière de traiter les animaux qui étaient considérés des « biens meubles » en « êtres vivants doués de sensibilité ». Le droit tunisien gagnerait à opérer le même changement mais surtout à le mettre en pratique.

6. Du producteur vers le consommateur

Chaque quartier aménagera un espace où, une fois par semaine, des agriculteurs et autres viendront offrir des produits frais et à bas prix pour toute la communauté. Cette idée pourrait contribuer à encourager les jeunes vivant dans des villages à revenir à l’exploitation des terres de leur ancêtres car ils seront assurés d’avoir des marchés où ils pourront vendre leur produits. Ils pourront aussi alimenter les coopératives d’achat de leurs produits frais et écologiques.

7. Service civil de 12 mois obligatoire, mixte et sans sursis

La description de ce programme mériterait à elle seule un article entier. Cette idée a été proposée par un des commentateurs de mon 3eme article et appréciée par d’autres lecteurs. En bref, avant d’entamer leur vie professionnelle et personnelle d’adulte, les jeunes gagneraient à bénéficier d’une année d’orientation sur une grande variété de sujets. Les matinées seraient consacrées à cet apprentissage théorique et l’après-midi, ils donneront 4 heures de bénévolat pour la communauté couvrant la majorité des besoins gratuitement. Cette idée peut engendrer plus de possibilités d’embauche, moins de risque de licenciements, de divorces et d’usage de drogue…

8. Un conseil des sages pour résoudre 80% des conflits

La majorité des conflits familiaux ou de voisinage peuvent être résolus dès leur apparition s’ils sont présentés à un Comité composé de 3 à 5 médiateurs de quartier élus. Ces médiateurs seront de préférence des juges, avocats, psychologues… à la retraite prêts à utiliser leur savoir-faire et leur sagesse bénévolement pour résoudre les conflits conjugaux, de voisinage ou d’héritage.

L’apport de ce Comité des médiateurs peut contribuer à désengorger les postes de police, les tribunaux et les prisons et contribuera grandement à la paix sociale dans les familles et toute la communauté. Les institutions officielles de résolution des conflits pourront se concentrer sur les 20% de conflits restant.

9. Radio, télévision, journaux

Les jeunes qui ont une formation dans les medias et avant d’être recrutés, peuvent  créer un centre médiatique dans leur quartier ou village.  Dans ce domaine, les jeunes, bénéficieront du support de d’artistes et media/journalistes à la retraite pour créer les meilleurs produits médiatiques.

10. Centre social

En fonction des besoins, le quartier choisira de s’occuper d’enfants abandonnés, réhabilitation pour drogués, centre de santé, infirmerie… ou abriter ce genre de centre et servir 5 à 10 autres quartiers.
Je pense que si on commence dans un quartier de chaque ville, d’autres quartiers pourront suivre l’exemple et apprendre de cette expérience.

J’avais déjà dis dans mes articles précédents: « Plus dangereux que le terrorisme est la bureaucratie qui étouffe la majorité des initiatives ». Le modèle que je propose a au moins le mérite d’atténuer les méfaits du monstre que l’Etat moderne a créé et dont il va être très difficile de se débarrasser. 

Après ces trois années, je pense que le temps est venu d’arrêter d’attendre le salut d’ailleurs. Il n’y aura pas de miracle et personne ne va venir à notre secours ! Nous devons prendre notre destin en main et commencer à innover et inventer toutes les solutions possibles et imaginables pour nous en sortir collectivement et solidairement. Nous sommes dans le même bateau et il est temps de choisir si nous voulons naviguer ensemble ou couler les uns après les autres. A vous la parole chers commentateurs !

Khadija T. Moalla, PhD.