Hamma Hammami : Pragmatique mais critique
Un immeuble niché sur les hauteurs d’El Manar. C’est là que réside depuis des années, dans un petit appartement, le couple le plus populaire de la gauche tunisienne, Hamma Hammami et Radhia Nasraoui. Dans le parc alentour, des agents de sécurité en civil sont aux aguets.
Il y a à peine quatre ans, Hamma était l’ennemi public n°1 et toutes les polices du pays étaient à ses trousses. Aujourd’hui, il bénéficie d’une protection policière après avoir reçu des menaces de mort. Une scène surréaliste qui laisse sans voix le visiteur. Lui-même n’en revient pas encore. Mais elle donne la mesure des changements qui se sont produits dans le pays depuis la révolution.
C’est un Hamma Hammami en verve, combatif qui nous accueille. Comme à son habitude, il s’est bien préparé, étayant ses propos par des chiffres et des citations de Marx, bien sûr, mais aussi des prophètes du libéralisme économique, comme Ricardo ou Adam Smith, sans oublier… Confucius, le maître de la sagesse orientale. Comme tous les vrais militants, il évite de parler de son long combat pour la liberté, tout juste a-t-il une pensée émue pour ses anciens compagnons de cellule, y compris les prisonniers de droit commun. Il préfère se projeter dans l’avenir. Car pour le moment, c’est ce qui le préoccupe le plus. On s’attendait à une charge contre Ennahdha, histoire de donner le ton à l’entretien. Mais l’impétuosité et la fougue du révolutionnaire ont cédé le pas à la nuance et à la retenue. Certes, il ne ménage pas ses critiques à Ennahdha. «Elle a lamentablement échoué», affirme-t-il, mais sans pour autant l’accabler. «Ce sont des adversaires politiques et non des ennemis», concède-t-il. L’âge et son corollaire, l’expérience, y sont pour beaucoup, mais aussi «les bonnes fréquentations» de Hamma.
De toute évidence, le rapprochement avec Nidaa Tounès l’a transfiguré.
Après l’assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février 2013, l’idée avait commencé à germer dans son esprit, mais les réticences dans son camp étaient trop fortes. Lorsque Mohamed Brahmi a été abattu devant son domicile, le 25 juillet de la même année, il a décidé de sauter le pas. Ce sera la naissance du Front du salut. Cette alliance entre l’extrême gauche et le centre-droit va bouleverser la donne politique et acculer Ennahdha à quitter le pouvoir. La religion de Hamma Hammami est faite désormais, malgré les tentatives désespérées du parti islamiste de l’en dissuader, «allant jusqu’à recourir à la vulgate marxiste», d’autant plus qu’il s’est découvert des atomes crochus avec Béji Caïd Essebsi. Il ne tarit pas d’éloges sur le fondateur de Nidaa Tounès, sur «son incomparable expérience», «sa clairvoyance», et «sa capacité d’analyse».
A posteriori, on saisit l’importance de cette entente entre le révolutionnaire pur et dur et le vieux briscard de la politique. Elle a donné des résultats inespérés. Par contre, Hamma Hammami n’hésite pas à se démarquer de son vieux compagnon de lutte, Néjib Chebbi, en excluant toute transaction entre Caïd Essebsi et Ghannouchi. La discussion roule sur les principaux sujets de l’heure, le gouvernement Jomaa, la situation économique, pour finalement arriver aux élections. Il sera candidat à la présidentielle «si les camarades veulent bien». Quant aux législatives, le Front populaire ira au charbon pour «gagner et non pour faire de la figuration». L’extrême-gauche a fait sa mue. «Nous avons vocation à gouverner», affirme avec force Hamma avant d’ajouter : «Nous serons la surprise du scrutin».
Aucun Tunisien ne peut contester que Hamma Hammami est un militant. Un militant authentique qui est resté toute sa vie sur la même ligne et que ce n’est pas maintenant qu’il va changer. Ni les geôles de Bourguiba qui n’aimait guère la gauche et les gauchistes, ni les harcèlements de Ben Ali qui s’en méfiait comme de la peste, n’ont eu prise sur l’engagement de l’homme. Même s’il a dû «mettre de l’eau dans son thé», il n’a pas modifié ses convictions d’un iota. «Je suis un marxiste», l’entend-on dire sans que cette information ne porte à conséquence. Mais un marxisme mâtiné de tunisianité et cela fait toute la différence.
Car si la justice sociale, le credo préféré chez Hamma, est la voie qu’il recherche, tant pis s’il faut faire des concessions et accepter le capital à la double condition qu’il soit national et productif. Hamma communiste, qui peut ne pas le croire, mais un communiste tunisien arabe et musulman et cela fait toute la différence. Comme on lui demande que font ensemble un communiste forcément internationaliste et un baathiste par la force des choses panarabiste, il balaie la question d’un revers de main. Communistes, baathistes et nationalistes arabes ont mené ensemble un combat pour la survie. Divisés, ils ne valaient pas grand-chose. Ensemble, ils peuvent peser sur la scène politique. Bien qu’ils sachent que leurs idées peuvent paraître utopiques et quelque peu en déphasage avec la réalité, lui fait-on remarquer.
L’Union fait la force
Le Front populaire est le fruit de ce constat. Onze partis et deux organisations en font partie. Un grand nombre d’indépendants aussi. Le nombre de ces derniers est devenu si important qu’on pense à leur accorder deux places au sein du Conseil des secrétaires, l’instance exécutive. Hamma Hammami n’est que le porte-parole de cette alliance qui agit comme un parti unique. Et qui va peut-être le devenir. Toutes les prises de position sont concertées. Une réunion hebdomadaire de ce Conseil se tient à l’effet de coordonner les positions. Mais quand des développements nécessitent des réactions rapides ou instantanées, il suffit de trois lignes sur le mail adressées à qui de droit pour que l’attitude à prendre soit définie sans tarder.
Hamma Hammami explique qu’au lendemain des élections du 23 octobre 2011, un examen approfondi des résultats a permis à l’ensemble des partis formant la Jebha de se rendre compte que s’ils avaient été ensemble, ils auraient gagné plus de trente sièges, alors qu’ils n’en ont récolté que sept. C’est à la lumière de cette donne qu’il a été convenu de mettre en commun des partis qui paraissaient plutôt concurrents puisqu’ils s’adressaient à un même électorat.
Réelle complicité avec BCE
Quand on lui fait savoir que c’est la même démarche qui a amené Béji Caïd Essebsi à constituer Nidaa Tounes, la remarque n’a point eu l’air de l’embarrasser. Voilà un point commun avec BCE pour qui il n’a que considération en louant sa sagesse, sa capacité de synthèse et son aptitude à faire profiter le pays de sa longue expérience. Hamma Hammami semble partager avec Béji Caïd Essebsi une réelle complicité. Ils ont l’air de se téléphoner souvent. BCE l’avait mis au courant de son intention de rencontrer Rached Ghannouchi à Paris avant même d’en parler avec les dirigeants de son parti. Il l’avait informé dans le détail des sujets évoqués de sorte qu’il peut dire, sans le moindre doute, qu’il n’y avait pas eu le moindre «marché» entre les deux hommes. Quand on lui dit que pour BCE, son intention n’était pas la bipolarisation de la scène politique, car aux côtés d’Ennahdha et de Nidaa, il y a eu l’émergence de la «Jebha Chaabia», il acquiesce. Pas trois mais quatre, estime-t-il, en comptant les autres qui peuvent se coaliser s’ils le voulaient.
Ennahdha n’est pas l’ennemi juré
A première vue, le parti islamiste Ennahdha n’est pas l’ennemi juré. C’est un adversaire politique. Des années de braise, sous la dictature balayée par la révolution, il conserve le souvenir d’un combat commun mené la main dans la main. «Cela laisse des traces. Quand nous nous rencontrons, nous tombons dans les bras l’un de l’autre. Mais la politique a ses lois et il faut faire avec». Cela ne l’empêche pas de dire que la révolution, ce ne sont pas les islamistes qui l’ont menée. Ils en ont seulement profité. Non pour le bien du pays et des jeunes, des chômeurs et des régions défavorisées qui l’ont déclenchée, mais à leur propre compte. Quand on ajoute l’incompétence à l’opportunisme politique, on en arrive à cette gestion cafouilleuse qui aurait pu mener le pays à la banqueroute.
Jebha Chaabia s’est-elle opposée aux résultats des élections du 23 octobre 2011, au lendemain du scrutin comme le parti islamiste le lui reproche? Hamma Hammami s’en défend. «D’abord, le Front populaire n’a vu le jour qu’un an après les élections en octobre 2012. C’est à l’usage que la radicalisation s’est installée petit à petit. D’abord il y a eu le sixième califat, puis la revendication de la charia et les choses se sont ensuite enchaînées. Les assassinats des hommes politiques mais aussi de nos soldats et de nos forces de sécurité ont aggravé la situation».
Pragmatisme électoral
Le Front du salut regroupant Jebha Chaabia et l’Union pour la Tunisie rassemblée autour de Nidaa Tounes, avec des organisations de la société civile, a fait du bon travail, estime Hamma Hammami, qui est un de ses principaux animateurs. Même s’il ne se réunit pas assez souvent à son goût, ce front reste indispensable. Comme on lui fait observer que le «courant passe bien» entre lui et Béji Caïd Essebsi, les deux moteurs de ce front, ce qui explique son succès, il en convient quand bien même la question ne lui aurait pas traversé l’esprit. Mais pour lui, c’est tant mieux si c’est dans l’intérêt du pays. Par nature, il n’est pas adepte des réunions qui ne sont pas préalablement préparées entre des forces politiques différentes, car ces réunions peuvent être instrumentalisées par la partie en situation de demande, mais il n’en est pas un adversaire déclaré. Encore une fois le pragmatisme prend le pas sur le dogmatisme. Une relation de confiance semble s’établir au sein du Front du salut. Sera-t-il reconverti en front électoral. Hamma a bien préparé sa réponse. «Pour les législatives, s’il s’avère dans une circonscription donnée que les chances des «jebhaouis» sont minces et qu’une autre composante du Front du salut est en meilleure position, nous pourrons faire liste commune. D’ailleurs si l’intention de la Jebha Chaabia est de présenter des listes dans toutes les circonscriptions, nous jugerons, au cas par cas. Si dans une région donnée nous trouvons qu’un indépendant peut mener une liste mieux qu’un jebhaoui, nous n’hésiterons pas à le choisir. Pour la présidentielle, c’est plus simple. Comme le scrutin est à deux tours, au second le mieux placé parmi les candidats du bloc démocratique, c’est forcément du Front du salut, sera soutenu sans problèmes et sans états d’âme».
Le candidat naturel
Hamma Hammami est considéré par ses camarades du Front populaire comme leur candidat naturel à l’élection présidentielle ? Le choix lui fait plaisir bien sûr même si la décision idoine sera prise en temps opportun. Est-il prêt à gouverner, lui demande-t-on? La réponse fuse sans qu’il y réfléchisse : «Bien sûr que nous voulons gouverner», comme s’il s’agissait d’une évidence. Il ne se satisfait pas du statut d’éternel opposant. Il sait que ce sera en alliance avec d’autres partis ou mouvements. Mais ce sera sur «un programme de gouvernement» pas sur un partage des postes, allusion à la période qui a précédé la constitution du premier gouvernement de la Troïka. Si c’est pour être utile au pays, oui sinon ce n’est pas la peine.
Un nouveau modèle économique
C’est d’ailleurs dans ce souci que la Jebha Chaabia a préparé un budget alternatif qu’elle a remis au gouvernement de compétences. Nos experts ont étudié en profondeur l’état des finances publiques et nous ont concocté ce projet alternatif basé sur un moratoire de trois ans sur les dettes, comme beaucoup de pays l’ont fait, et la recherche de niches pour, d’une part, réduire les dépenses et, d’autre part, assurer plus de rentrées d’argent à l’Etat en luttant contre l’évasion fiscale principalement. Les recettes du FMI et de la Banque mondiale basées sur la suppression des subventions, l’austérité dans les dépenses sociales, le licenciement des travailleurs et la baisse ou le gel des salaires ont partout échoué et conduit à des émeutes là où elles ont été expérimentées, dit-il avec assurance. Il faut trouver autre chose et surtout un nouveau modèle de développement, celui mis en œuvre jusqu’ici ayant montré ses limites.
Critique envers le gouvernement Jomaa
Que pense-t-il du gouvernement de Mehdi Jomaa ? N’ayant pas soutenu sa candidature au Dialogue national, le Front populaire est à l’aise pour le juger. Hamma Hammami aurait bien aimé dire qu’il le soutenait. Mais les mesures prises jusqu’ici comme la tendance manifestée ne plaident pas dans cette direction. Au niveau des nominations partisanes, il ne suffit pas de nommer de nouveaux gouverneurs pour dire que le changement est fait. Concernant les ligues de protection de la révolution qui appartiennent, tient-il à préciser, à Ennahdha et au CPR, on veut se cacher derrière les tribunaux, alors qu’il s’agit de prendre une décision politique. Pour la «neutralisation» des mosquées, «la question ne concerne pas, selon lui, seulement les quelque 149 mosquées restées en dehors de la tutelle du ministère des Affaires religieuses; mais toutes les autres aussi car qui peut me garantir que les imams dont la plupart sont proches du parti islamiste n’appelleront pas le jour J à voter pour le parti des musulmans contre le parti des mécréants (suivez mon regard)», dit-il . La Jebha est plutôt «critique» envers le gouvernement, répond-il quand on lui demande de préciser sa pensée. A la dernière réunion du Dialogue national qui a signé sa reprise, Hamma Hammami a demandé d’inviter le chef du gouvernement à venir présenter un état de l’application de la «feuille de route» sur la base de laquelle son gouvernement a été constitué. Que lui diriez-vous? «Il doit sortir de l’ombre d’Ennahdha et faire montre de plus d’audace», résume-t-il.
Les élections au plus vite, voire!
Sur sa demande, le président de l’Isie, Chafik Sarsar, viendra aussi devant le «Dialogue national» pour dire où en sont les préparatifs pour les élections. Tout le monde veut que les élections se tiennent au plus vite mais, remarque-t-il, sur le terrain tout est fait pour en retarder l’organisation. Du moins au niveau des législateurs de l’ANC qui doivent approuver la loi électorale. Les points de divergence seront transférés au Comité des consensus au niveau de l’Assemblée et à défaut au Dialogue national pour que les questions en suspens soient tranchées. Pour lui, il ne fait pas de doute que certaines parties, Ennahdha et ses satellites pour ne pas les nommer, tiennent à ce que les deux scrutins aient lieu en même temps, c’est pourquoi ils retardent l’échéance jusqu’à qu’il n’y ait plus d’alternative à ce scénario. Selon lui, les deux scrutins doivent avoir lieu à des dates séparées avec en premier l’élection présidentielle, car c’est le président qui nommera le chef de gouvernement issu de la majorité parlementaire.
En véritable homme politique et en militant authentique comme il y en a peu, Hamma Hammami a réponse à tout. Avec assurance et conviction. C’est l’expérience qui le veut et cette pratique longue et patiente de la Tunisie, des profondeurs de laquelle il est issu ; et des Tunisiens, ses semblables avec qui il partage tant de choses. Hamma Hammami communiste, voire ? Qui peut dire en quoi il est différent des socio-démocrates que sont la majorité des Tunisiens. Si peu de choses…
R.B.R.
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On dirait que le programme de Hamma Hammami, comme beaucoup dans l'opposition, est juste de critiquer Ennahdha. Hammami ferait mieux d'utliser tous ces espaces mediatiques mis à sa disposition pour présenter un eventuel programme credible qui pourrait resoudre les problemes du pays au lieu de passer son temps à dénigrer ses adversaires politiques. Il faut voir le temps d'antenne, à la télévision, dont il a bénéficié durant cette periode transitoire alors que son parti n'avait récolté qu'environ 1.5% aux elections du 23 octobre 2011. Sachant que des partis arrivés en tete n'ont pas bénéficiés autant de temps de passage dans les medias et notamment publiques financées, il faut le rappeler, par les tunisiens sous forme de redevance radio-télé. C'est indigne d'une démocratie. Sur le plan des idées Hammami est allié avec Marx, Adam Smith,... loin de les maitriser et cela se voit dans ses discours creux. Il defend l'idée et son contraire. Juste une remarque : Hammami defend l'idée que la Tunisie ne doit pas payer ses dettes exterieures surtout celles contractée par la dictature. Tout le monde que c'est un suicide pour le pays et ses interets si Hammami met en pratique cette mesure une fois au pouvoir pourquoi ?. Tout simplement, la petite Tunisie ne peut defier un systeme mondial de commerce basé sur le systeme de crédit tout simplement sans y etre mise au pilori. Ses amis de Staline à Ceausescu ont échoué dans cette entreprise. Donc Hammami fait du populisme loin de participer positivent pour que les choses avancent dans ce pays, il rame à contre-sens. Pourquoi Hammami et des politiciens sont tellement médiatisés , pour qui roule t il ? That's the question.