May Telmissany, A cappella
Née au Caire en 1965 May Telmissany vit actuellement au Canada. Elle a à son actif, outre des nouvelles et des romans, de nombreux articles scientifiques ainsi que des traductions vers l’arabe. Parmi ses romans, citons les deux ouvragesdéjà publiés par Actes Sud, Doniazade en2000 et Héliopolis en 2002
Tel père, telle fille. May est la fille du réalisateur égyptien Abdel-Kader Telmissany (1924-2003). Elle s’intéresse, elle aussi, au 7e art.Professeur à l’Université d’Ottawa,elle y enseigne non seulement la culture arabe mais aussi le cinéma. Sa dernière contribution en ce domaine s’intitulée “La Hara dans le Cinéma Égyptien. Quartier Populaire et Identité Nationale“. Doit-on s’en étonner? Son nouveau roman A capella que les Actes Sud viennent juste de publier commence ainsi:
«Dans la pièce qui me sert de bureau il y a des affiches, grandes et petites, de films que j’ai déjà vus ou que je me promets de voir un jour. Quand une affiche me plaît, je l’achète, même si je n’ai pas vu le film. Je l’accroche au mur, elle y reste quelques semaines; quand je m’en lasse, je la remplace par une autre…. Il y a une affiche noire dont les deux tiers environ sont occupés par une potence faite de cordes solidement tressées, d’où se détachent des brins de paille que l’objectif de l’appareil photo a saisis et grossis plusieurs fois». (pp.9-10).
Disons-le tout de suite : bien que les références au cinéma ne manquent pas dans ce roman, l’histoire n’a que des liens subjectifs avec cet art. En effet, l’insistance de la narratrice, Mahi, sur la potence de l’affiche et ses reflets dans son bureau ne présage rien de bon. Cette potence rappelle étrangement le’ memento mori’ théâtral, le cadavre de la victime dans une tragédie antique, gisant à l’arrière-scène.
Et effectivement,des souvenirs refoulés commencent alors à resurgir. Aïda, son amie vient de mourir subitement, à l’âge de quarante ans. Issue d’une famille modeste, Aïda avait quitté son village natal pour s’installer dans la capitale et s’adonner à la peinture. Bientôt un cercle restreint d’amis fidèles se forma autour d’elle :Leo, son premier mari et confident, Hossam, un ami d’enfance, Karim, un écrivain, et Adel, un médecin.Un jour, la narratrice qui fait partie de ce cercle, tomba sur un des carnets intimes d’Aîda et le subtilisa:
«Du moment où j’ai trouvé le premier carnet, j’ai décidé que je serais la gardienne du journal d’Aïda, et ce rôle que j’ai été la seule à assumer dans le cercle de ses amis, s’est confirmé après qu’elle a rompu avec moi, et plus encore après son décès;» (p.27)
Grâce à ce procédé, symboliquement, la progression du récit va se dérouler à deux voix, celle de la narratrice et celle d’Aïda, venue comme d’outre-tombe, se mêlant et se confondant pour ne constituer, en fin de compte, qu’une seule et unique voix.
Et c’est ainsi que le lecteur finira par apprendre petit à petit d’abord que la narratrice, Mahi, portée sur l’introspection, est subjuguée par la forte personnalité d’Aïda:
«Avant de rencontrer Aïda, je me voyais comme une femme ouverte et honnête dans les limites du sens commun ; découvrant soudain à quel point cette représentation était naïve et superficielle, je reniais le sens commun, il m’apparaissait dans toute sa lâcheté et son hypocrisie». (p.46).
Il apprendra ensuite que cette femme était portée vers certaines dérives comme la kleptomanie, le mensonge, et le refus des conventions sociales.En fait, elle souffrait d’une étrange maladie, une sorte de dédoublement de la personnalité.
Et le roman de prendre alors l’allure d’un vrai diagnostic médical, dans la mesure où la romancière s’efforce habilement de mettre en évidence les différents symptômes de ce trouble psychique. Ainsi la première manifestation de cette maladie mystérieuse, que le jargon médical désigne par le terme ‘dissociation’ est liée à un souvenir d’enfance longtemps enfoui dans la mémoire de la patiente:
«Ce jour-là, quand j’ai dit à ma tante que le serpent avait mordu ma sœur à la plante du pied, elle m’a répondu:»Ta sœur, quelle sœur? Tu veux qu’on dise qu’Aïda est folle?» (p.139)
Toute la trame narrative de ce roman intimiste s’appuie habilement sur ce trouble psychiatrique.La romancière prend néanmoins soin de préciser que ce trouble n’a pas de lien avec la schizophrénie, cette totale désagrégation de la personnalité:
«Je sens que je suis deux. J’écris sur moi parfois au pluriel, non parce que je serais atteinte de schizophrénie mais parce que j’aime me contempler de l’intérieur, comme quand j’étais jeune et passais des heures devant le miroir. » p.138
Cette pathologie n’est pas non plus un dédoublement de la personnalité multiple. Aïda était persuadée, depuis qu’un serpent a failli la mordre un jour, dans son enfance, non pas d'être tour à tour telle ou telle personne, mais d’avoir une sœur jumelle, née de son imagination, comme elle l’avoue candidement, un «être à la croissance inachevée qui s’est collé à moi et m’a accompagnée jusqu’aux endroits les plus intimes.» p.138
Cette étape, dite la «transformation» est supposée justifier, voire disculper les errements de Aïda:
«Une fois adulte, elle était devenue comme une jument rétive que je ne pouvais maîtriser, et encore moins diriger ou soigner. Elle a commencé à parler de son désir de sortir dans le monde sans moi, de sa peur de devoir affronter la vie seule. Je l’ai convaincue que le monde ne la connaissait et qu’elle ne le connaissait que par mon intermédiaire. J’ai dit que personne ne reconnaissait son existence et qu’à cause d’elle, je subissais la vengeance de tous» ( p.139)
Malheureusement, et comme le lecteur peut le deviner dès le début du roman, la guérison, l’étape finale ou «l'intégration», n’aura pas lieu. La fin du romanne sera pas une surprise mais une suite logique, un dénouement sous forme d’un hymne chanté à la gloire de l’amitié, sans tambour ni musique, à capella, simplement.
May Telmissany, A cappella, roman traduit de l’arabe (Egypte) par Richard Jacquemond, Sindbad/Actes Sud, 164 pages.
RafikDarragi
www.rafikdarragi@overblog.com
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