Les îles Kneïes, paradis des oiseaux hivernants
A mi-chemin entre Mahrès et Skhira et à 1,5 km du continent, s’étendent les cinq îles qui forment l’archipel des îles Kneïes avec 5 850 ha. Cette superficie atteint les 22 000 ha en marée basse quand des hauts fonds émergent et deviennent à sec.
Cette variation entre la marée haute et la marée basse offre à la zone limitrophe, connue pour les hauts fonds et riche en prairies de Posidonie, les plus importantes en Méditerranée, une alimentation très riche et variée en éléments nutritifs, source de nourrissage des petits poissons puisque le site est le berceau du plus du tiers des poissons de la Méditerranée.
L'archipel comprend l’île El Bessila, la plus grande, puis l'île El Hjar ou île Sidi Salah, du nom du marabout visité par quelques familles de la région, principalement de la tribu des Smeala, sur cet épointement rocheux dominé par une falaise de 2 m de haut. Au centre de la réserve, se trouve Dziret El Laboua ou île du monastère de Saint Fulgence qui occupait les lieux au VIe siècle. Et tout à fait au Sud, les deux îlots quasiment collés l’un à l’autre : Dzira El Ouesta et Dzira El Gharbia constitués de grès fin dont les côtes sont fortement marquées par l’érosion marine due aux mouvements de la houle.
La grande île se situe en face du village de Khaouala sur le continent où les pêcheurs de la région débarquent du point dit El Gataya avant la création dans les années 80 du port de Zabbouza, mais les petites embarcations à voile ou équipées de hors-bord profitent de l’embarcadère construit par l’Apal avec les ONG locales.
Les îles Kneïes sont classées réserve naturelle, ce qui leur confère le statut de protection privilégiée, réglementée par le code forestier et confiant sa sauvegarde à la DGF, la Direction générale des forêts du ministère de l’Agriculture.
Les îles Kneïes constituent une aire spécialement protégée d’importance méditerranéenne selon la convention de Barcelone.Toutes les îles sont plates et basses et sont bordées de plages vaseuses et sablonneuses où apparaissent par endroits des roches et des galets.
L’île Bessila, entourée d’une zone intertidale, se distingue par sa flore adaptée aux sols salés, formée par une végétation de graminées et légumineuses qui constituent ainsi un refuge idéal pour l’abri des vents et surtout pour la nidification des oiseaux, principalement les sternes et les goélands.
De vastes étendues vasières sur 14 500 ha contournent les îles, constitués par la forte sédimentation lors des crues des oueds Ouadran et Smara, où vit une importante faune macro benthique d’une densité qui peut atteindre 528 individus au m2, ce qui est révélateur d'une abondante alimentation pour les oiseaux marins.
En effet, la réserve des îles Kneïes est le paradis des oiseaux hivernants de renommée mondiale où plus que 300 000 oiseaux de plus de 50 espèces viennent de la région paléarctique au cours de l’année. Les migrateurs précoces commencent à arriver à partir de la mi-août- mais ne sont de passage que pour deux ou trois semaines- et se nourrissent convenablement pour récupérer la graisse qui leur donne de l’énergie pour continuer le voyage aux pays du sud du Sahara, principalement aux abords du fleuve Niger et au Lac Tchad. Mais les hivernants mettent du temps pour arriver par groupes jusqu’au mois de novembre et se dispersent sur plus de 35 000 ha, y compris la partie terrestre marécageuse dans des endroits en face des îles.
Le régime alimentaire varié ne constitue pas une compétition pour les oiseaux, principalement les limicoles, car parmi eux il y a ceux qui s’alimentent à la surface comme les pluviers, les bécasseaux et les gravelots, ceux qui se nourrissent des mollusques comme les huîtriers pies et les tourne-pierres, ceux qui plongent dans l’eau comme les grèbes, ceux qui ont de longs becs comme les courlis et les chevaliers, qui cherchent les larves et les vers à plusieurs centimètres dans la vase au moment de la marée basse et ceux qui filtrent de l’eau pour extraire le plancton et le phytoplancton comme les spatules blanches et les flamants roses.
Les scientifiques et les ornithologues trouvent dans cette réserve un grand laboratoire naturel pour approfondir les études et les recherches sur le statut de l’avifaune en général et marine en particulier.
La réserve des îles Kneïes, comme dans les côtes du golfe de Gabès, connaît une activité socioéconomique pratiquée par la population côtière paysanne, essentiellement les femmes, à savoir la pêche à pied aux palourdes, ce coquillage qui vit enfoui dans le sable et filtre l’eau pour en tirer les substances nutritives ; cette eau qui passe à travers ses deux siphons (inhalant et exhalant) crée deux trous dans le sable permettant ainsi sa localisation aux marques qu’elles laissent à la surface.
Plus de 300 femmes pratiquent cette activité 2 à 3 semaines par mois, hors la période de la mer morte dans le cycle du marnage durant le mois lunaire qui est de deux fois six jours, et hors des journées venteuses et pluvieuses, généralement un total d’une moyenne de 55 jours de travail effectif, période suffisante pour garantir un revenu supplémentaire pour le foyer. Une activité pénible, dos courbé dans le froid de l’hiver et l’humidité. La plupart des palourdes pêchées sont destinées à l’exportation pour Europe.
La nouvelle zone industrielle dans la région de Skhira, la Siape 2 et la Tiferte qui sont légèrement en face des îles Kneïes et à moins de 4 km, commence à perturber l’équilibre écologique de la réserve naturelle marine par le déversement non contrôlé des eaux de refroidissement des usines chargées de produits chimiques. La zone connaît actuellement une prolifération d'algues qui n’existaient pas avant et qui gagnent plusieurs espaces, y compris les fonds marins, à plusieurs kilomètres à la ronde et autour des îlots, pouvant étouffer la faune et la flore marines.
Un autre problème de taille menace le golfe de Gabès en général et les îles Kneïes en particulier : l’utilisation des méthodes de pêche interdites par la loi no 15 de 1994 qui est le petit chalut appelé localement kiss. En effet, cette activité a repris après la révolution. Lors de ma tournée de juillet et août 2013 dans 17 ports de Jdaria à Zarzis jusqu’à la Chebba, en passant par Djerba, Zarat (les seuls à avoir interdit aux braconniers du kiss de ne pas accoster dans leur port), Skhira, les îles Kneïes, Mahrès, Sfax, les îles Kerkennah, Sidi Mansour, Ellouza… 3 020 embarcations pratiquent la pêche en violation de la loi au vu et au su de toutes les autorités, et le paradoxe est qu'elles continuent à bénéficier des subventions pour le carburant !
La gravité du kiss, c’est qu’il racle par de grosses chaînes lourdes le fond marin, contribuant ainsi à l’arrachage de la flore marine et des prairies de Posidonie où se nourrissent, se reproduisent et se cachent les poissons. Aussi puisque ce braconnage se fait la nuit en groupes alignés, tous les poissons sont ramassés. Une fois triés sur le pont, les grands poissons sont rangés dans les caisses et les petits, qui n’ont pas une valeur commerciales, sont jetés à la mer, vite récupérés par les goélands.
Les îles Kneïes restent malgré tout un paradis aux multiples richesses, peu exploitées et connues des Tunisiens. Ses valeurs écotouristiques, ses chenaux profonds qui entourent les îlots, ses plages qui émergent en marée basse dignes d’une beauté hawaïenne aux eaux turquoises et ses milliers d’oiseaux hivernants … un potentiel et une richesse à valoriser pour que les îles Kneïes deviennent une destination de choix pour le tourisme et les explorations.
Abdelmajid Dabbar
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