A 500 millions de Km……du palais de carthage ?

Correspondance spéciale pour Leaders - A 16h35,  ce mercredi 12 novembre 2014, un évènement exceptionnel, un exploit sans précédent dans la conquête spatiale a eu lieu. Après un voyage de 10 ans et 45 ans  après une célèbre marche sur la Lune, le robot Philae s’est posé sur la comète Tchouri***.  Cette performance –qui a coûté 1,4 milliard d’euros- est due à l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Le déroulement de cette journée  exceptionnelle a mobilisé  la Cité des Sciences de Paris et a été suivi grâce aux experts et aux instruments de l’ESA de Toulouse, d’Amsterdam et de Darmstadt.

Un exploit européen et non américain

Il s’agit en fait d’une énorme victoire pour l’Union Européenne car ses scientifiques ont mis en œuvre une énorme technicité (calcul de la trajectoire, précision des navigateurs, télémétrie, panneaux solaires, photographie...) En dépit de ses difficultés actuelles, le Président François Hollande – accompagné de quelques ministres- a trouvé le temps pour aller à la Cité des Sciences de Paris assister au positionnement du robot sur la comète– en fait un petit laboratoire embarqué de 100 kg-  qui s’est  détaché, 7 heures plus tôt, de sa mère porteuse Rosetta pour une chute libre, en absence de gravité. Le Président a déclaré que ce succès spatial européen «est une victoire pour la Science, pour le progrès et pour l’humanité».

Rosetta a été lancée il y a dix ans de Kourou en Guyane mais le projet a été initié il y a une trentaine  d’années. Il a mobilisé plusieurs centaines de scientifiques européens.

Ce laboratoire va analyser la composition chimique de la matière de cette comète âgée de 4,6 milliards d’années et formée à 80% d’eau. Les informations en provenance de la comète mettent 28 minutes pour nous parvenir – à la vitesse de la lumière,  300 000 km/s,  dans le vide.

Les analyses nous renseigneront sur les origines du système solaire -car les comètes sont les «gravats » ou les «briques» de ce  système  à sa formation - et sur les nôtres propres. En effet, si les composés organiques (contenant du carbone) analysés de  la comète sont dextrogyres (D) ou lévogyres (L), on aura des indices relativement à la possibilité de la Vie ailleurs dans l’espace. Sur terre, ce sont les composés lévogyres qui signent la Vie. On retiendra que les composés organiques des comètes ont été congelés il y a 4,6 milliards d’années et  n’ont subi aucune altération contrairement à d’autres corps célestes soumis aux  radiations solaires, à l’impact des météorites….Jusqu’ici, on a pu analyser la matière en dehors et autour des comètes mais jamais dans la matière même de celles-ci. Rappelons qu’une comète est un astre présentant un noyau brillant (la tête) et une traînée gazeuse (chevelure ou queue) qui décrit une orbite parabolique.

Le laboratoire Philae fournira,  durant les soixante heures de sa vie sur Tchouri,  des informations sur la matière originelle de l’Univers, sur l’eau universelle (dont l’hydrogène vient du Big Bang et l’oxygène des étoiles), sur la mer, sur les acides aminés qui forment les protéines des êtres vivants. Philae permettra ainsi de comprendre la genèse de la Vie. Les astronomes pensent que les comètes sont à l’origine de nos océans et l’analyse de l’eau de la comète donnera de précieux renseignements à cet égard.

A l’heure où la Tunisie va élire son président, il est à espérer que Rosetta inspire le futur locataire de Carthage pour qu’il donne un nouvel élan à la Science dans le pays. Il faut espérer qu’il accorde une plus grande importance à l’enseignement et à la recherche scientifiques indispensables pour le développement de notre pays dans tous les domaines.  Nos jeunes doivent réaliser que tout ce qu’on leur inculque en mathématiques, en physique, en chimie, en informatique…. ne sert pas seulement à passer des examens et à décrocher des peaux d’âne. La science a d’abord des applications destinées à améliorer nos conditions de vie et à comprendre ensuite le monde et l’Univers autour de nous. A l’heure où certains essaient de pervertir ces jeunes avec des concepts d’un autre âge et des idées rétrogrades, Rosetta – via la Science- ouvre des horizons illimités pour ceux qui veulent construire et donner un sens à leur vie.

Des pays hier sous-développés ont aujourd’hui des activités spatiales importantes comme la Chine et l’Inde. Ils n’y sont parvenus que par un enseignement scientifique de qualité lequel bien entendu a eu d’abord des retombées dans bien des domaines comme l’économie, la santé, l’agriculture….

Ce succès scientifique et technique de l’Union Européenne prouve une fois de plus que «l’union fait la force».

Puisse le monde arabe et sa Ligue en prendre de la graine ! Admirable, prophétique, encyclopédique, le regretté Salah Garmadi écrivait, dans la revue Alif, un excellent article avec ce titre : «Aujourd’hui, c’est dur, c’est très dur d’être arabe» : «L’Arabe, ressurgi, veut aussi du présent. Il ne veut plus seulement ses ancêtres, mais aussi ses contemporains. Il veut les quanta, les isotopes, les transfusions, les vitamines, les turbines, les électrons et les élections. Il veut la gravitation et la transmutation. Il veut la lune…Il veut les spoutniks, les luniks et les surveyors».

Pour toutes ces raisons, la Science et ses applications doivent être proches des Tunisiens, de leur gouvernement  et de leur Président. Elle doit graviter autour de Carthage….mais à une distance – non astronomique- qui permette au pays d’en pleinement profiter et de prendre son envol vers un avenir meilleur. Les rêves doivent devenir réalité car Adonis chante :
«Le groupe écrit l’Histoire
Mais c’est l’individu qui la lit
…………………………………………..
L’obscurité naît paralysée
La lumière voyage dès sa naissance».
(in Célébrations,  Editions de la Différence, Paris, 1991)

Mohamed Larbi Bouguerra

*** Abréviation du nom des découvreurs,  en 1969,  de cette comète :  Klim Tchourioumov et Svetlana Guérassimenko, astronomes soviétiques à l’observatoire d’Alma Ata au Kazakhstan.