Femme et langage : Vers une sémantique féminisée…
Longtemps le langage a été investi et conquis par l’homme. Il a formaté la langue fixant les paramètres syntaxiques, le style et la stylistique .Dans le récit oral et la littérature arabe écrite, la femme s’est retrouvée sous l’emprise du male ; dépossédée –par procuration -de son identité éthologique et romanesque. Quelques pionnières ont osé ,toutefois ,d’aller au charbon et de réinvestir le champ linguistique en vue de renverser la tendance et faire émerger une écriture féminine dans un univers dépourvu d’archétypes au style « démasculinisé » .
« La femme et le Langage » , est un essai du chercheur Abdallah Mohamed Al Ghadhami .Il y tente de répondre à une lancinante interrogation : Dégagée des lamentations poétiques anté-islamiques et du prosaïque conte du harem qu’illustre l’œuvre anonyme « Mille et une nuit » dont l’héroïne espiègle n’est autre que Chahrazed et accédant à l’écriture subjective, l’écrivaine d’expression arabe en particulier et celle d’ailleurs a-t-elle réussi à faire émerger une production littéraire marquée du sceau d’une féminité libérée ?
L’étude dont la bibliographie fournie( 69 références en arabe et 27 en anglais) s’articule autour de la double thématique objective de la thèse et de l’antithèse .L’auteur n’hésite pas à relever « l’usurpation » de l’identité de la femme par » l’histoire et la civilisation » universelles dominantes, faisant d’elle une « entité culturelle » stéréotypée et aliénée. Et ce nonobstant la digne place que les « religions révélées » lui ont conférée, selon les témoignages cités d’auteures d’expression arabe.
Mais qu’à cela ne tienne, après de douloureuses tentatives des May Zieda, Ghadat Assamman, Amel Mokhtar et bien d’autres …,l’écriture féminine s’est frayée un chemin propre consacré par le roman « La mémoire du corps » d’Ahlam Mostaghanmi ou « L’angle plat » d’Oumayma Al Khamis .Dans ces deux écrits, la plume féminine est parvenue à manier la double entrée du langage -signifié et signifiant - par une déconstruction de la « virilisation » de la langue et la construction féconde de sa « féminisation » consciente.
Sans ambiguïté biographique ; Ahlam est à la fois auteure et héroïne de « la mémoire du corps » ; un roman trans-réaliste paru en 1993 et dont les péripéties se déroulent –curieusement -entre Tunis et Paris sur fond de trahison par un homme d’une Révolution (Algérienne).Sémantiquement binaire ; ce prénom –morphème connote –pour le lecteur arabophone –et le rêve et la souffrance .Et qu’est ce en définitive la littérature sinon la gestation de l’alchimie du rêve et de la souffrance ?!
Sans être féministes -tendance occidentale - ni « she-male » (androgynes ),ces écrivaines ont réussi à transcender « l’angoisse existentielle » ressentie par Nawal Essaadawi dont la révolte langagière était essentiellement dirigée contre de penseurs arabophones rétrogrades (à l’égard de son gender ) tels que Al Jahedh , Ibn Jouniey ou Ibn kaiem al Jawzia …
Remise à plat , la langue s’humanise .Et retrouvant son essence , elle s’élance à transcrire l’existence.
Paradoxalement, la formelle différence entre les genres d’écriture s’émousse pour établir un pont : celui de la fondamentale égalité. C ‘est qu’en la matière, l’auteur(e) se trouve coincé entre deux oppositions auto-émotives et rationnelles aimantes. Il semble ainsi que le langage apprêté du cérébral (esprit) n’élude pas la nudité du langage physique (corps) .Et vice versa.
Il va de soi également que tout œuvre porte en soi sa limite. L’écriture comprise. Le langage n’étant –au demeurant - qu’un phénomène universel humain et social. Occultant sciemment l’apport des travaux de linguistes comme Rached Hamzaoui, De Saussure ou Chomsky, l’auteur a contourné –et c’est compréhensible- le terrain miné du feu profane et du sacré divin.
Femme Et Langage- de Abdallah Mohamed Al Ghadhami
245 Pages –édité par le Centre culturel Arabe-Beyrouth-Prix :8,700 DT
Habib Ofakhri
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