Quatre appellations et onze présidents: Des moyens encore rudimentaires et une transformation impérative
Depuis la première Assemblée constituante en 1956, le Parlement tunisien a connu quatre appellations successives: Assemblée constituante, Assemblée nationale, Chambre des députés, Assemblée nationale constituante (2011) et Assemblée des représentants du peuple. Un seul trait commun, en dehors du Palais du Bardo qui en abrite le siège (avec son extension en 1994) : la modestie des moyens humains et financiers.
Les 217 élus de la nation ne sont servis que par 383 agents (dont 12 contractuels), toutes catégories confondues, et ne disposent que d’un budget de 21.714 MD pour l’année 2015. Les crédits de fonctionnement qui s’élèvent à 20.784 MD, ne laissant aux investissements que 0.930 MD, sont absorbés à hauteur de 17.499 par les dépenses de rémunération. Les députés y ponctionnent 10 MD pour leurs indemnités, le reste ira essentiellement au personnel (7.160 MD), aux membres du cabinet (0.186 MD) et aux agents temporaires (0.153MD).
A quoi peuvent subvenir les maigres ressources affectées aux frais de fonctionnement ? Tout est à la compression, qu’il s’agisse des crédits de réceptions, de missions à l’étranger, d’informatisation et autres.
Une organisation spécifique
L’organigramme de l’Assemblée des représentants du peuple est atypique par rapport à l’administration tunisienne, se rapprochant en fait plus avec celui des parlements occidentaux. C’est Mustapha Ben Jaafar qui, par arrêté du 6 novembre 2012, en a fixé la nouvelle architecture, abrogeant l’ancien organigramme édicté par l’arrêté du 14 février 2007 et suivants, jusqu’à celui du 19 août 2009. Le fonctionnement de l’Assemblée est assuré par trois entités différentes censées être complémentaires: le cabinet, le secrétariat général et l’instance générale des services communs.
Le secrétariat général, à la différence de l’organigramme des ministères ou de la présidence de la République, ne coiffe en fait que la partie «technique» des travaux. Il assure la liaison avec la Présidence et le gouvernement, veille à la bonne organisation matérielle des travaux en plénière et en commissions et au respect du règlement intérieur, apporte le soutien logistique, juridique et documentaire aux commissions, élabore le contenu du journal des débats parlementaires et en assure la publication, tient les archives législatives et assure le bon fonctionnement du système d’information. Il s’appuie sur neuf unités opérationnelles spécialisées chacune dans des attributions précises. Quant au cabinet, il assure des fonctions politiques et techniques, tant personnelles pour le président de l’Assemblée, qu’institutionnelles. C’est en fait l’organe central pour tout ce qui concerne l’Assemblée et son président, en dehors des travaux eux-mêmes. Il chapeaute notamment les services des relations extérieures, du protocole, de l’information, des relations avec le citoyen et la société civile, la gestion des documents administratifs et le bureau d’ordre central. L’ensemble des services communs pour la gestion administrative et financière sont regroupés dans une instance générale qui s’occupe de l’intendance et de la logistique. Son périmètre commence par l’unité en charge des affaires des élus et se boucle avec les services d’accueil et de sécurité, en passant par les services généraux, les bâtiments, les ressources humaines et les affaires financières. A voir de très près la répartition des attributions et le système de rattachements des différentes unités à l’un ou l’autre des trois pôles, on retrouve clairement les empreintes des partis formant l’ancienne Troïka. En fonction de personnes et d’intérêts, des arbitrages hâtifs et partisans sont perceptibles.
Une vie rythmée
La session parlementaire s’ouvre habituellement en octobre pour se clôturer généralement à la veille du 25 juillet. Les deux mois de vacances profitent surtout aux élus, le personnel n’a droit qu’à un mois seulement. Au quotidien, la vie au Bardo s’en trouve rythmée, alternant journées de séances plénières et journées moins chargées de travaux en commissions. Jusqu’à la révolution, c’est surtout le mardi qui est réservé, en dehors des débats budgétaires marqués par des séances de nuit, aux plénières. Le reste de la semaine était occupé par les commissions, sauf le samedi. Mais, sous la deuxième constituante, l’emploi du temps des élus et du personnel est devenu surchargé. On a même vu l’ANC fonctionner parfois les dimanches et jours fériés. Si les députés ne reçoivent aucune prime supplémentaire, le personnel a droit à des indemnités pour les heures supplémentaires et le travail de nuit. Le budget de l’année 2015 y a prévu un montant de 79 000 DT.
Une impérative transformation totale
Une nouvelle page parlementaire s’ouvre aujourd’hui en Tunisie avec l’entrée en fonction de l’Assemblée des représentants du peuple. L’institution a alors plus que jamais besoin d’une refonte organisationnelle et logistique totale avec plus de budget et mieux de compétences qui viennent renforcer l’existant. Paralysée au lendemain de la révolution, elle n’a pu reprendre son fonctionnement qu’en novembre 2011, avec les contraintes du provisoire qu’on connaît et l’espoir de trouver rapidement son rythme de croisière avec l’élection de la nouvelle Assemblée. Système d’information performant avec base de données à jour, espace privé et au moins un assistant pour chaque élu, dotation spécifique pour frais d’étude, et des chargés de mission à la disposition des élus constituent les premières priorités. Les conditions de travail sont à revoir et améliorer pour tous, élus et personnel, avec plus de salons pour recevoir des invités, d’aires de repos, de salles à manger, des bureaux fonctionnels pour l’administration, etc.
Et une meilleure communication en renforçant le staff actuel, très réduit, en le dotant des équipements informatiques et audiovisuels nécessaires et en lui donnant les moyens pour déployer des systèmes intranet, de nouveaux médias interactifs et des applications mobiles.
Du côté des élus, les améliorations à introduire sont nombreuses. Forte de son expérience acquise tout au long des 3 ans d’observation des travaux de l’Assemblée nationale constituante à travers son projet majles.marsad.tn, l’ONG Al Bawsala a récemment présenté une série de recommandations. «Nous avons voulu aider à éviter les défaillances ayant eu un effet négatif sur le travail et le rendement de l’Assemblée nationale constituante», indique sa présidente Amira Yahyaoui. Elle pointe du doigt les retards dans les réunions des commissions et des séances plénières, les absences des élus aux travaux de l’Assemblée et la non-publication des P.-V. des réunions des commissions et les détails des résultats des votes. «Ces défaillances, souligne-t-elle, ont compliqué par ailleurs l’accès de citoyens à l’information, ne leur permettant pas ainsi d’évaluer les travaux de l’Assemblée nationale constituante et contribuant à donner une image négative de l’Assemblée et ses travaux».
Au titre de l’impératif de transparence, Al Bawsala recommande particulièrement:
- la consécration effective du principe de la gouvernance ouverte et le droit d’accès à l’information assuré par la garantie du caractère public des séances plénières et des réunions des commissions, le maintien de la retransmission télévisée et la publication proactive de la part de l’Assemblée de tous les documents relatifs à ses travaux,
- La lutte contre les absences des élus lors des réunions des commissions et les séances plénières par l’instauration de sanctions automatiques si la limite permise est dépassée,
- La participation des citoyens et de la société civile au processus législatif,
- L’amélioration de l’organisation des travaux de l’Assemblée des représentants du peuple pour permettre aux élus de mener à bien leur mission législative.
Beaucoup de travail attend donc l’ARP.
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