Le facteur déterminant de la sécurité alimentaire!
L’insuffisance d’alimentation se traduit par la faim dont les premiers signaux sont, un gargouillis du ventre, une vue brouillée, une sensation de fatigue et de froid, etc., ces facteurs signalent une baisse du niveau de sucre dans le sang. L’individu ayant faim n’est plus en mesure d’accomplir des tâches physiques et/ou intellectuelles par insuffisance d’énergie. En conséquence, la sécurité physique ne peut pas être assurée en l’absence de la satisfaction des besoins alimentaires « ventre creux, tête vide ». L’histoire contemporaine témoigne d'une pléiade de mouvements sociaux provoqués, le plus souvent, par des difficultés d’accès à la nourriture (manifestation « du pain » en Tunisie).
La sécurité alimentaire a été définie lors du sommet de Rome en 1996 comme suit: « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. ». A partir de cette définition, il en découle les notions de disponibilité des aliments en quantités suffisantes et en qualités appropriées (à travers la production nationale, les importations, et/ou les dons éventuels…), d'accès physique (les réseaux et infrastructures de distribution) et économique (le pouvoir d’achat du citoyen), d'utilisation (la salubrité, la diversité et la distribution équitable à l’intérieur des ménages) et de stabilité (climatique, socio-économique et politique). La sécurité alimentaire est caractérisée par une dimension temporelle, elle peut être conjoncturelle (les crises et les famines) ou structurelle (la pauvreté chronique). Plusieurs facteurs peuvent constituer des obstacles à l’atteinte de la sécurité alimentaire, ces facteurs sont les inefficacités dans les systèmes de production et de commercialisation des produits alimentaires, les faibles revenus des consommateurs, le manque d’éducation nutritionnelle et les faibles capacités d’anticipation des besoins des planificateurs.
Dès lors, la sécurité alimentaire devient un concept à quatre dimensions.
- La disponibilité de la nourriture, en quantité suffisante et en qualité appropriée, sur tout le territoire indépendamment de sa provenance
- L’accès de toute personne aux ressources indispensables pour acquérir les aliments nécessaires à un régime alimentaire équilibré (ressource financières et/ou possibilité d’accès à la production alimentaire).
- L’accès à la nourriture ne peut pas être entravé par une instabilité quelconque naturelle, sociopolitique et/ou économique.
- L’utilisation saine de la nourriture (salubrité des aliments).
La sécurité alimentaire, pour un pays, est le pouvoir de ce dernier de produire, d’importer, ou de bénéficier d’un don de produits alimentaires. La production des denrées alimentaires est dépendante des facteurs tels que l’eau, le sol, la main d’œuvre et les ressources financières qui sont rarement réunis. Les pays industrialisés et/ou pétroliers ont un pouvoir financier important d’importation de la nourriture, bien que certains d’entre eux ne possèdent pas les facteurs rudimentaires de production, ils sont, toutefois, bien classés sur le plan sécurité alimentaire, en témoigne la figure 1, reportant les données de 2011.
Figure No. 1 : Facteur d’insécurité alimentaire
Source : Beyond the Arab Awakening : Février 2012 Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires
En Tunisie, le taux de couverture de la balance économique alimentaire (un indicateur du niveau de la sécurité alimentaire du pays (figure 2) dépend en grande partie de la production céréalière. Ce taux est en moyenne de 75%, c'est-à-dire que le pays est en mesure de couvrir ses besoins alimentaires à hauteur de 75% en moyenne, toutefois certaines variations aux amplitudes assez larges sont constatées selon que l’année soit sèche ou pluvieuse.
Figure No. 2 : Taux de couverture de la balance économique alimentaire de la Tunisie
Faisant référence à la définition de la sécurité alimentaire (ou plutôt insécurité alimentaire : c’est le cas du verre à moitié plein ou à moitié vide), une méthode proposée par la FAO et qui tient compte de la nature et les sources de nourriture, l’apport des céréales dans le régime alimentaire, la nature des protéines, les calories disponibles, le pourcentage de mortalité des enfants, le pourcentage d’enfants mal nourris et chétifs, la mortalité des enfants à la naissance etc… ainsi que les moyens logistiques de distribution des produits alimentaires, les routes goudronnées, les voix ferrées , les ports et les aéroports etc.…. Dans ce travail, nous avons opté à l’évaluation du pouvoir d’un pays quelconque de se procurer de la nourriture nécessaire à sa population. Cette méthode est relativement simple et les paramètres employés pour l’évaluation sont limités en nombre et relativement plus accessibles. Le facteur d’insécurité alimentaire est le rapport de la part au PIB des importations totales des produits alimentaires (humain et animal) à la somme des contributions des exportations totales (biens et services) et des rémittences nettes de monnaies étrangères au PIB. Pour une valeur proche de zéro, les importations alimentaires sont réduites, dans ce cas, le pays compte uniquement sur ses propres moyens de production alimentaire ou possède des moyens financiers importants d’importation des aliments, mais dès que ce chiffre devient important, l’importation des denrées alimentaires augmente par rapport aux exportations et aux transferts du pays et constitue ainsi un indicateur de dépendance de ce dernier des productions alimentaires étrangères.
En se basant sur cette méthode de calcul de l’insécurité alimentaire, la figure 3 est obtenue et montre une allure sinueuse, elle est la plus faible en 2006 autour de 6.98%, alors qu’elle soit d’environ 10.2% en 2002 et 8.29% en 2010 (à titre comparatif ce chiffre permet à la Tunisie de se classer au même niveau que les pays pétroliers (entre 9 et 9.6% pour 2011) (figure 1).
Figure No. 3 : Taux d’insécurité alimentaire tunisienne
Source de données : Institut National des Statistiques, Banque Centrale de Tunisie et World Bank
Par ailleurs, l’allure de la figure 4 relative aux quantités de céréales importées, montre une similarité avec le coefficient d’insécurité alimentaire reporté sur la figure 3. Ceci nous a amené à la recherche d’une corrélation entre les quantités de céréales importées et le facteur d’insécurité alimentaire.
Figure No. 4 : Quantités de céréales importées (blés et orge)
Source de données : Office des Céréales
Figure No. 5 : Corrélation entre l’insécurité alimentaire et les quantités des céréales importées
La figure 5 montre une relation linéaire entre l’insécurité alimentaire et les quantités de céréales importées. Bien que les quantités des céréales consommées annuellement par habitant soient en baisse régulière d’environ 205 kg en 1985 à environ 185 kg en 2010, le secteur céréalier reste important pour l’économie du pays. La couverture des importations par les exportations céréalières reste faible mais connaît une évolution favorable depuis les années 80 grâce à l’exportation de produits manufacturés à base de céréales. L’allure sinueuse de l’insécurité alimentaire caractéristique de périodes creuses de production céréalière constitue un sérieux défi aux planificateurs qui sont tenus, non seulement, de l’anticiper, mais de le gérer convenablement pour atténuer les effets négatifs de l’insécurité alimentaire sur la stabilité sociale. En Tunisie, la part des importations des céréales au sein des importations agricoles et alimentaires est en moyenne autour de 11%. Les produits dérivés des céréales pèsent énormément sur la caisse générale de compensation tunisienne, ce qui a permit au secteur céréalier de jouir d’un statut particulier.
L’amélioration du taux moyen de couverture de la balance commerciale alimentaire, est conditionnée par une production céréalière, celle-ci dépend de l’usage des semences sélectionnées, d’une fertilisation et d’un désherbage chimique intenses, et de l’introduction de l’irrigation d’appoint de certains champs de céréales. Sur le plan agronomique, elle est également fonction de l’amélioration du taux de matière organique des sols par l’association de l’élevage, des assolements à base de légumineuses et de plantes industrielles. Elle dépend également de l’amélioration de la qualité technologique du pain par l’introduction d’améliorants et de conservateurs, pour réduire les pertes à la consommation.
Les consommations alimentaires tunisiennes en céréales par an et par personne ont une allure linéaire décroissante avec un coefficient de régression de (R2 =0.827) et une pente négative de -0.95 manifestant une baisse de la part des céréales dans le régime alimentaire tunisien (figure 6). Parallèlement, une demande de plus en plus importante est observée sur les produits issus de l’élevage (figures 7,8, et 9) et les fruits et légumes et confirment une pression future sur ces produits (figures 10 et 11). Les consommations en viandes, lait et œufs sont toutes croissantes avec des degrés différents d’accroissement. La consommation de la viande est une ligne droite croissante d’un coefficient de régression de 0.982 (figure 7), celle des œufs est également une droite croissante d’un coefficient de régression de 0.94 (figure 9), alors que celle du lait est mieux décrite par une fonction exponentielle croissante d’un coefficient de régression de 0.75 (figure 8). La consommation en légumes frais et conserves de légume est également croissante mais avec un coefficient de régression relativement faible (R2= 0.619) alors que celle des fruits présente une demande croissante et un coefficient de régression de 0.74. Ces résultats montrent sans équivoque le changement de mode de vie du consommateur tunisien, d’une part, et le manque d’éducation nutritionnelle relaté par les faibles consommations des légumes et des fruits, d’autre part.
Le changement de mode de vie du consommateur ainsi relaté associé à l’accroissement de la population et de ses besoins (en quantité et en qualité) dans les contextes d’un changement climatique, d’une déplétion des réserves hydriques et énergétiques, d’une désertification accélérée des sols, et d’un accroissement de pressions des organismes internationaux pour l’institution du libre échange doivent aider à mieux cerner les activités agricoles tunisiennes, en vue d’une intensification et d’une valorisation des productions. L’association de l’élevage dans les périmètres irrigués a permis l’amélioration de la productivité, mais l’alimentation animale demeure une charge lourde à la production, elle constitue un facteur limitant aux productions animales et un défit pour la recherche agronomique.
Figure No. 6 : Consommation moyenne des céréales
Source de données : Institut National des Statistiques
Figure No. 7 Consommation moyenne des viandes
Source de données : Institut National des Statistiques
Figure No. 8 : Consommation moyenne du lait
Source de données : Institut National des Statistiques
Figure No 9 : Consommation moyenne des œufs
Source de données : Institut National des Statistiques
La Tunisie est un importateur net des produits céréaliers, pour assurer partiellement sa sécurité alimentaire, elle doit œuvrer à l’amélioration du taux de couverture de la balance économique alimentaire qui dépend largement de la quantité de céréales produite. La céréaliculture est une culture pluviale, dans ce cadre, la Tunisie présente une situation particulièrement vulnérable du fait de ses ressources naturelles limitées particulièrement ses ressources hydriques, son climat caractérisé par une aridité et une forte variabilité du nord au sud, et une désertification accélérée du sol. L’extension des emblavures céréalières irriguées, capables d’assurer une production céréalière minimale, est limitée par la disponibilité des ressources hydriques. Dans les conditions du changement climatique, certaines productions agricoles tunisiennes, dont la céréaliculture, pourrait ne pas résister aux conditions climatiques extrêmes (inondations et sécheresses), de sérieux ennuis pour l’économie tunisienne peuvent en résulter et affecter défavorablement la sécurité alimentaire du pays ce qui augmente le degré de dépendance du pays des produits alimentaires importés et risque de compromettre les décisions souveraines du pays.
Figure No. 10 : Consommation moyenne des légumes frais et conservés
Figure No 11 : Consommation moyenne des fruits
D’autre part, l’énergie est un facteur important de production, il permet l’accès à la modernisation des moyens de production agricole et alimentaire, l’accès à cette dernière constitue un facteur indispensable au développement humain. L’énergie est utilisée des les opérations de mécanisation de l’agriculture, de la transformation des produits alimentaires, l’entreposage et le conditionnement des aliments, et dans les opérations de transport des aliments etc. …. La communauté internationale est de plus en plus préoccupée par la forte dépendance de l’agriculture sur le secteur de l’énergie fossile (30% moyenne mondiale FAO 2011, 7% pour le cas de la Tunisie), le bilan énergétique tunisien est plutôt déficitaire depuis 1994. Ce constat devient encore plus inquiétant dans une perspective d’accroissement des productions agricoles estimé à environ 70% (FAO 2011) par rapport aux productions 2005-2007 à l’horizon 2050 pour pallier aux besoins alimentaires.
D’autre part, les échanges des produits agricoles à l’échelle internationale dépendent à la foi des lois fondamentales d’échanges et des politiques de souveraineté des pays, si la loi du marché s’appuie sur des bases scientifiques claires, celle de la souveraineté des pays est du ressort de l’appréciation politique, elle n’est pas chiffrée et est souvent subjective. La loi du marché fixe les prix des produits en fonction des coûts de production qui varient d’une région à une autre dépendant des coûts des facteurs de production (main d’œuvre, eau, terre, moyens financiers …), ces coûts affectent les prix d’échange de ces produits.
La protection de certains produits nationaux à l’égard de la compétitivité internationale exige une mise en place de différents niveaux de protection. Cette protection est souvent justifiée par les décisions souveraines du pays. Les accords et traités de libre échange ratifiés par la Tunisie imposent au pays de lever totalement et graduellement les protections mises en place sachant que la Tunisie opère avec différentes formes de protection. L’agriculture, les produits de la pêche et de l’aquaculture et l’agro-industrie tunisiens restent hautement protégés. L’agriculture est donc une activité essentielle pour l’économie du pays et sa protection s’avère une nécessité. La céréaliculture et l’élevage sont les secteurs les plus protégés en Tunisie avec un taux de protection nominale pouvant atteindre 2 (le prix sur le marché national est deux fois celui du marché international), ils sont donc loin d’être concurrentiels avec les produits similaires importés, en cas d’abolition des protections opérées ceci peut entrainer la disparition totale ou partielle de ces activités (figure no 12).
Figure No. 12 : Taux de protection nominale des céréales, de l’arboriculture et de l’élevage
Source des données : Banque Africaine de développement 2012
Les Taux de Protection Nominale de 2007-2008, marqués par le cercle, sont les résultats de l’accroissement des prix des céréales à l’échelle mondiale. La céréaliculture tunisienne devient compétitive lorsque les prix mondiaux des céréales sont doublés ou triplés, cette activité est dépendante à la fois des conditions pluviométriques locales et des prix à l’échelle mondiale (figure 12).
Figure No. 13 : Corrélation linéaire entre les taux de protection nominale des céréales et de l’élevage
Parallèlement, les activités de l’élevage deviennent non compétitives du fait de leurs dépendances des produits céréaliers faisant partie de l’alimentation animale comme le montre la Figure No 13.
Il en découle des résultats des taux de protection nominale de la céréaliculture et de l’élevage que la sécurité alimentaire tunisienne est dépendante de facteurs extrinsèque et intrinsèque. La sécurité alimentaire tunisienne est dépendante de la pluviométrie, elle est également fonction des prix des céréales sur le marché mondiale. La production céréalière, indépendamment de la pluviométrie, n’est assurée que par une irrigation complémentaire en années sèches, cette option n’est malheureusement pas réalisable dans les conditions actuelles de disponibilité des ressources hydriques tunisiennes. Il est donc indispensable de rechercher d’autres ressources non conventionnelles telles que le dessalement et le recyclage des eaux usées traitées, par ailleurs, la protection de la ressource hydrique devra être intensifiée.
Salem Hamdi
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