Comment mettre fin au braconnage et à la détention illégale des oiseaux
L’intérêt des Tunisiens pour les oiseaux remonte à la nuit des temps. Les mosaïques romaines, les céramiques aghlabides ou certains ornements hafsides en sont les témoins. Les sujets récurrents étaient soit la beauté ou l’élégance des oiseaux, soit la chasse qui était à l’époque un moyen de subsistance permettant de diversifier l’alimentation des habitants.
L’équilibre naturel était maintenu parce que les chasseurs n’étaient pas nombreux et la pratique de la chasse n’était pas facile du fait de l’utilisation de lances ou de flèches ainsi que de l’énergie considérable fournie pour débusquer l’animal. Cette chasse n’avait aucune incidence sur les populations d’oiseaux qui parvenaient à se régénérer facilement.
Mais la donne a complètement changé à l’époque coloniale qui a vu l’introduction d’armes à feu modernes utilisées par les chasseurs, et l’hécatombe a commencé aussitôt. L’autruche d’Afrique du Nord (le plus grand oiseau vivant sur terre) et les grands mammifères ont totalement disparu de notre pays au cours de la première moitié du 20e siècle. Les grands vautours (vautours fauves, vautours oricous, et les gypaètes barbus) ne sont plus présents depuis la raréfaction de carcasses d’animaux leur servant de nourriture. Le rythme des disparitions des espèces d’oiseaux a quelque peu ralenti après l’indépendance de la Tunisie, mais la situation demeure préoccupante malgré l’amélioration constante de la législation en matière de chasse. Ce sont le contrôle et l’application des lois qui restent faibles et inadaptés à la situation préoccupante de la faune.
En même temps, de nouvelles menaces sont apparues avec la dégradation et la disparition des habitats dues à l’expansion des terres agricoles, l’assèchement des zones humides et l’urbanisation rampante. Une des réponses a été la création d’aires protégées (parcs nationaux et réserves naturelles), une autre la vigilance de la société civile, notamment l’Association « Les Amis des Oiseaux » (AAO) qui, depuis 1975, assure l’étude et le suivi constant des populations d’oiseaux de Tunisie, mène des actions de sensibilisation auprès du public, et signale tout abus aux autorités concernées tout en proposant des améliorations de la législation de la chasse et des mesures de gestion des sites et espèces. Cette situation perdura jusqu’au déclenchement de la révolution en 2011, où le relâchement sécuritaire et la prolifération d’armes de contrebande ont entraîné une hausse considérable du braconnage et de la capture illégale d’oiseaux protégés contribuant à la quasi-disparition de certaines espèces.
Un fléau qui perdure : la capture et la détention illégale des oiseaux sauvages
La capture et la détention illégale d’oiseaux protégés sont des fléaux qui affectent l’avifaune tunisienne. Les oiseaux chanteurs et les rapaces sont les premiers concernés. La passion des Tunisiens pour les oiseaux chanteurs a entraîné la création de toute une filière bien rodée aux contours parfois mafieux qui approvisionne les marchés hebdomadaires, comme ceux de Moncef Bey à Tunis, Bab Jebli à Sfax, sous les remparts de Sousse et dans toutes les grandes villes. La principale victime de ce trafic est le chardonneret élégant, connu sous le nom local de boumzaien ou maknine. Cet oiseau élégant à bec court, aux riches couleurs (jaune, noir, blanc et rouge) et au chant exceptionnellement mélodieux, a vu ses effectifs chuter dramatiquement si bien qu’il est voué à une disparition totale dans notre pays si rien n’est fait pour le protéger. Plus il se raréfie, plus son prix grimpe. D’où le piégeage qui s’intensifie même dans les localités les plus reculées. La raréfaction du chardonneret a conduit les trafiquants à se rabattre sur d’autres espèces d’oiseaux chanteurs comme le serin cini, le Verdier d’Europe, le pinson des arbres, la linotte mélodieuse et le roselin gittagine. Les effectifs de ses espèces commencent à leur tour à diminuer. D’autre part, un trafic florissant d’oiseaux chanteurs, surtout de chardonnerets et de serins, s’est établi de l’Algérie, et probablement même du Maroc et de la Libye, vers la Tunisie. Ainsi, ces dernières années, quelques actions spectaculaires de confiscations ont pu être menées par les autorités compétentes tunisiennes impliquant des centaines d’oiseaux, mais qui représentent seulement la partie visible de l’iceberg si on regarde bien la quantité des oiseaux qui continuent à arriver sur les marchés et les sites de petites annonces sur l’Internet.
Les rapaces sont pour la plupart prélevés de leur nid ou capturés jeunes. Ainsi de très nombreux faucons, buses et aigles sont chaque année vendus dans les souks et à travers des annonces sur Internet. Bien qu’ils soient protégés par la loi, qui interdit leur colportage et leur vente, les rapaces sont très prisés de certains particuliers qui en font des oiseaux de prestige, et les exposent le plus souvent devant leur commerce ou leur maison. D’autres les utilisent dans les zones touristiques pour des photos (payantes) avec les touristes.
Le piégeage illégal d’autres espèces est aussi pratiqué dans des proportions alarmantes dans les oasis du Sud tunisien. Il touche en premier lieu les passereaux migrateurs lors de leur passage au printemps. Ces oiseaux arrivent exténués après leur longue et harassante traversée du Sahara. Obligés de se reposer et se ravitailler, ils passent en général quelques jours dans les oasis pour reconstituer leurs réserves de graisse afin de pouvoir continuer leur migration vers le Nord tunisien et l’Europe. A leur grand malheur, toutes sortes de pièges les attendent à leur arrivée sous les buissons et palmiers, et des dizaines de milliers d’oiseaux sont ainsi capturés chaque année. Les piégeurs, en général des enfants et des adolescents, passent en moyenne entre 15 et 90 jours à pratiquer ce « hobby ». De nombreuses espèces sont visées par cette pratique, mais les principales victimes en sont les fauvettes, les rouges-queues, les tariers, les bergeronnettes, les pies-grièches et les agrobates roux.
Le braconnage au fusil: la première cause de la raréfaction des espèces d’oiseaux chassables
En Tunisie, comme ailleurs, plusieurs espèces d’oiseaux sont considérées comme du gibier. Ces espèces peuvent ainsi être chassées pendant certaines périodes et en respectant des conditions précises, fixées par la loi et notamment par l’arrêté annuel de la chasse. Parmi ces conditions, on trouve des indications sur les jours ouverts pour les différentes espèces de gibier, les méthodes et moyens de chasse permis/interdits, les permis nécessaires, la limitation du prélèvement, les espèces spécialement protégées, les zones interdites à la chasse, etc. Malgré des dispositions très claires et l’évidence de la raréfaction, surtout du gibier sédentaire, des Tunisiens et des étrangers s’adonnent à la chasse illégale. Le braconnage local, pratiqué en toute période de l’année, concerne la perdrix gambra, les tourterelles et pigeons dans les zones boisées et de plus en plus aussi les oiseaux d’eau hivernants et sédentaires dans les zones humides. Les braconniers sont soit des habitants des zones rurales qui utilisent leurs camionnettes de jour ou de nuit, soit des gens fortunés avec de gros véhicules 4x4 qui leur permettent de traquer les oiseaux même dans les zones les plus reculées et les plus impraticables. Il n’est pas rare que ces braconniers publient les photos de leurs virées meurtrières sur l’Internet, notamment Facebook, où on les voit s’exhiber avec des dizaines, voire des centaines d’oiseaux abattus, preuve, selon eux, de leur «talent» en matière de chasse. Des scènes qu’on croyait révolues depuis une vingtaine d’années s’étalent ainsi de nouveau devant les yeux de tout le monde sans pour autant provoquer de vagues, sauf parmi les écologistes convaincus : des centaines de grues, flamants, tadornes, etc. abattus par des gens qui n’ont très visiblement nullement besoin de ces sources de protéines animales.
Ce qui a par contre attiré le plus l’intérêt des Tunisiens est le phénomène des «émirs braconniers» qui est apparu en Tunisie à la fin des années 80. Jusque-là, notre pays était épargné par ce désastre, car les autorités, sous le président Habib Bourguiba, refusaient systématiquement la venue des fauconniers saoudiens qui souhaitaient chasser l’outarde houbara. Ces mêmes émirs avaient auparavant exterminé cette espèce dans la péninsule arabique. Chez eux, la chasse au faucon est considérée comme une tradition princière, et leur prestige se mesure au nombre de faucons et de véhicules qui accompagnent leurs expéditions. Si l’outarde houbara les intéresse particulièrement, c’est parce qu’ils croient que le cœur et le foie de cette espèce ont des propriétés aphrodisiaques…un «Viagra» naturel en quelque sorte. C’est pourquoi ces émirs, oisifs pour la plupart, ont consacré beaucoup de leur temps à organiser des expéditions dans les pays susceptibles d’abriter l’outarde houbara (comme le Pakistan ou certains pays du Sahel), anéantissant au passage les populations de cet oiseau et bien d’autres espèces. La Tunisie leur a été ouverte après la chute du président Bourguiba, et ce sont les émirs saoudiens qui ont ravagé le Sud tunisien pendant plus de deux décennies. Leurs expéditions sont soigneusement préparées : des Tunisiens repèrent en premier lieu les zones propices, puis les émirs débarquent et ratissent le désert avec de gros véhicules 4x4, chassant l’outarde et le faucon, et tirant, au passage, sur tout ce qui bouge. Gazelles, lièvres, renards, fennecs, fouette-queues sont les victimes collatérales de ces virées. Certaines parties des animaux chassés sont stockées dans des congélateurs mobiles, et sont destinées à être offertes à des notables, une fois de retour chez eux. La chasse dure plusieurs mois, et à chaque fois, plusieurs centaines, voire des milliers d’animaux sahariens, sont exterminés, alors que la plupart sont protégés par la loi. Après la révolution, les émirs qataris (et certains Tunisiens) ont pris la place des Saoudiens, et tout laisse penser que le massacre a repris de plus belle et les autorités tunisiennes tardent à faire le nécessaire pour arrêter ce massacre. Ce type de braconnage a conduit la population d’outardes houbaras en Tunisie au bord de l’extinction.
Pour résumer : plusieurs centaines de milliers d’oiseaux sont chaque année victimes d’actions illégales conduisant à leur prélèvement du milieu naturel ou à leur mort. Ce chiffre s’ajoute au nombre d’oiseaux tués légalement dans le cadre de la chasse réglementée, ce qui compromet sérieusement toute tentative d’une gestion rationnelle et durable de cette ressource naturelle en Tunisie et porte préjudice à son développement durable.
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