Pitié pour ces jeunes déboussolés !
« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience »
René Char, poète.
Les débordements et les excès des potaches du Bac Sport ont fait les gorges chaudes d’une ribambelle de médias. On a énormément écrit sur cette banderole à l’effigie du dictateur nazi. C’est grave et c’est condamnable, qui peut en douter ? Mais on a peu évoqué ce lycée de Gabès qui, bien avisé, a préféré mettre l’accent sur le drame des Palestiniens, le calvaire d’un peuple occupé, dépossédé de sa terre et soumis à un apartheid monstrueux dans le silence assourdissant de la fameuse et inique « communauté internationale ».Les jeunes de Gabès sont à féliciter pour cet esprit de solidarité et cet élan vers un peuple sous la botte d’uneoccupation illégale, sans équivalent au XXIème siècle. On a passé sous silence aussi ce lycée d’Ouardanine où les jeunes ont mis en exergue la lutte contre le terrorisme faisant preuve d’un grand patriotisme. On a fait hélas pratiquement l’impasse sur les performances de cette magnifique jeune fille aux épreuves sportives du baccalauréat. La regardant, on se met à rêver : ah ! si elle avait eu un cheval d’arçon, des haltères, des anneaux, des perches...un équipement sportif digne de ce nom, elle irait peut être aux championnats mondiaux de gymnastique. La graine d’une Nadia Comaneči tunisienne !
Certains ont mis en ligne une pétition pour condamner cet affichage des traits du dictateur allemand à Jendouba. Mais pourquoi n’ont-ils pas réagi quand le juge américain John Koetl, de Manhattan,a autorisé l’affichage sur les bus de New York, à l’initiative d’une associationcataloguée comme antimusulmane et pro-sioniste- l’American FreedomDefense Initiative (AFDI)- d’une publicité affirmant que « les musulmans tuent les juifs » et montrant un homme menaçant dont la tête et le visage sont couverts par un foulard ? (Haaretz, 22 avril 2015). Et ce, paraît-il, en vertu du Premier Amendement de la Constitution US sur la liberté de parole, M. Koetl rejetant l’argument que cette haineuse publicité « pourrait inciter … à des violences imminentes ». On a pareillement contraint les réseaux de transport urbain de Chicago, San Francisco, Washington et Philadelphie. Dans cette dernière ville, en mars 2015, la même AFDI, a fait afficher sur les bus « La haine des juifs, c’est dans le Coran » ainsi qu’une photographie de 1941 représentant Hitler et Haj Amin Husseini, le mufti de Jérusalem à l’époque (Haaretz, 28 mars 2015). Le Palestinien, l’Arabe, le musulman en général…voilà le danger, semblent dire aux Américains les semeurs de haine… pour détourner leur attention des tueries à répétition dans les lycées et les universités et des grandes grèves actuellement pour un salaire minimum horaire de 15 dollars, comme pour les détourner de Baltimore qui brûle aux portes de Washington… du fait de l’injustice, du racisme anti-noir, d’un capitalisme échevelé et du lobby des marchands d’armes, ce Goliath dévorant les Américains en finançant leurs politiciens.
Nos jeunes ne savent plus où donner de la tête, qui croire et à qui se fier, alors que tout s’achète et que tout se vend. Que certains se spécialisent dans le décervelage. Que la légalité est foulée quotidiennement aux pieds : des règles de la circulation automobile… aux aliments avariés à la pelle jusqu’à la nomination des imams…
M. Ghannouchi répand sur toutes les tribunes ses maximes, ses sentences et ses aphorismes d’un autre âge, assignant aux femmes comme buts ultimes de leur existence « les rapports sexuels et la procréation »(Lire NeilaSliti, Le Maghreb, 20 avril 2015). Notre « saint » homme - qui fait surtout de la « boulitique » - n’a jamais entendu parler de ChajaratEddour, d’El Khansa ou d’Aziza Othmana…pour ne rien dire de Marie et Irène Curie qui ont tant apporté à la radiologie, à la chimiothérapie et à la radioactivité en général et partant, à la connaissance de la constitution de la matière. Il faudrait que quelqu’un lui dise la proportion de jeunes filles dans nos universités. M. Ghannouchi est en effet très en retard… même par rapport à la France du XIXème siècle ! En 1868, Emma Chenu a été la première femme à décrocher une licence ès sciences à la Sorbonne (Paris). De son côté, Madeleine Brès, la première femme diplômée en médecine en France est la fille d'un fabricant de charrettes et, mariée à 15 ans, elle dut avoir le consentement de son mari pour obtenir son diplôme.On voit le chemin parcouru par la gent féminine pour accéder au Savoir. …Savoir que lui refuse aujourd’hui notre mufti cathodique.
Comment s’étonner alors de la perte de repères de nos jeunes ?
Comment s’étonner de la perte de repères de nos jeunes quand ils lisent le programme du parti Tunisie Zitouna qui vise à rétablir la polygamie, à séparer les filles des garçons dans les établissements scolaires et quand ils ont vent des renversantes élucubrations de M. Adel Almi à propos du cancer de l’utérus ?Ou qu’aujourd’hui, le problème majeur de la compagnie aérienne nationale est le foulard d’une hôtesse ? Pas les retards, la qualité du service, le coefficient de remplissage, la question des bagages, le catering en berne…
Ces jeunes ne peuvent qu’être perdus en voyant les reculades de l’Etat de droit face à des « géants » du type de M. Ridha Jaouadi (Mosquée Sidi Lakhmi à Sfax) ou de la carrure de M. Béchir Ben Hassen (Grande Mosquée de M’Saken) et face à la pantalonnade orchestrée par l’ineffable M. Houssine Labidi à la Zitouna**.
Comment ne pas être perdu quand on vous parle de « médecine coranique » ou que des charlatans d’ici et d’ailleurs délivrent au vu et au su de tous des « diplômes » dans cette « spécialité »?
Comment ne pas être emballé quand certains vous chantent les universités anglo-saxonnes sur tous les tons sans vous révéler que, là-bas, on passe sa vie à rembourser les prêts bancaires obtenus pour accéder à ces institutions ? Si on a la chance de décrocher un job (comme on dit là-bas) !
Ouvrir de larges horizons à nos jeunes
Bien entendu, la république n’est pas la facilité. Notre jeunesse doit prendre l’autoroute du Savoir et pour cela, le maître-mot est l’effort. Car le Bac Sport prouve à l’envi que le 100 mètres en 12 secondes par exemple n’est pas possible sans entraînement, sans effort. Nos jeunes doivent savoir que la mémorisation et le bachotage sont à bannir car le but n’est pas la peau d’âne du diplôme mais le Savoir. « Si tu ne peux pas l’expliquer simplement, c’est que tu ne le comprends pas encore assez bien » enseignait Albert Einstein.
Pour éviter l’affichage des traits d’un criminel dans nos lycées, il faut doter les jeunes, dit M. Régis Debray, d’ « une culture pré-informatique ». Celle-ci ne saurait se suffire de Wikipédia et de ses congénères si les connaissances de base en histoire de l’Humanité ne sont pas assimilées. La jeunesse doit avoir au préalable les explications objectives et scientifiques des faits économiques et sociaux, la culture méthodique de l’esprit critique, l’apprentissage actif de la liberté et de la responsabilité. Un Etat démocratique a pour principal devoir la formation civique de la jeunesse. Les étroites limitations du technicien, de l’informaticien « pur et dur » ne doivent pas être un obstacle à la compréhension de plus vastes problèmes car une large et solide culture libère le jeune - et donc le futur citoyen- dans un monde ouvert sur l’immensité et la richesse des peuples de l’Humanité. Elle exclut de facto le racisme, l’injustice et le déni des droits de l’homme.
A cette jeunesse déboussolée va toute notre affection et notre sollicitude. Sur elle repose l’avenir de la Tunisie.
Face aux difficultés actuelles cependant, il lui faut de la ténacité et du courage, « le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails….. Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir, mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». (Jean Jaurès, Discours à la jeunesse, 1903)
Mohamed Larbi Bouguerra
**Enfin rendu, semble-t-il à la réparation des téléviseurs !
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Il a totalement raison, qui ne serait pas déboussolé ? Le monde du profit et de la politique est devenu incompréhensible. Pourtant, ceux qui nous dirigent ne sont ils pas à notre service. Ne les avons nous pas élu ? Des claques se perdent. Je préfère Mohamed Larbi Bouguerra dans ce rôle d'éducateur des consciences de notre jeunesse, plutôt que dans celui de procureur et d'accusateur du rôle de la France dans la colonisation. Ne lui en déplaise et malgré ses études faites à la Sorbonne, je pense que le rôle de cette France qu'il condamne souvent dans ses propos, n'a pas été aussi négatif qu'il ose l'affirmer. La France, contrairement à d'autres pays, a laissé un héritage dont profite toutes les élites tunisiennes. Il appartient à ces élites de partager ce qu'ils pensent être le meilleur pour le bien être de la communauté tunisienne.
M. Bouguerra, inutile de convoquer René Char pour tenter de justifier les "débordements de cette jeunesse déboussolée" ! Il est déjà excessif d'accorder magnaniment votre propre affection accompagnée de votre solicitude à ces potaches dont les excès (ah, quand même…) ont porté une vaine ribambelle à faire des gorges chaudes ! Rappelons, toutefois, qu'il ne s'agissait ni d'un monôme de carabins contre les bombardements duVietnam, ni d'une manifestation de protestation contre l'occupation de Gaza : il s'agissait, simplement, de célébrer les épreuves du bac-sport ! Même ce lycée de Gabès était loi d'être "bien avisé" de mettre l’accent sur le drame des Palestiniens : ici, c'était totalement hors sujet, parce qu'on ne plaisante pas avec le calvaire d’un peuple occupé, dépossédé de sa terre et soumis à un apartheid monstrueux… même dans le silence assourdissant (comme c'est nouveau !) da cette communauté internationale "inique"… Remettons les pendules à l'heure, et les choses à la place qui leur revient ! Et assez de faux fuyants devant des débordements qui risquentde se transformer en tsuamis ravageurs !