Habi Touhami: Crise et réformes structurelles
La Tunisie affronte depuis quatre ans une crise socioéconomique d’une ampleur sans précédent : croissance en berne, investissement productif en recul, pouvoir d’achat en érosion, chômage en hausse, spécialement celui des diplômés. Mais l’attention reste davantage focalisée sur « les quatre chevaux de l’apocalypse » : déficit de la balance commerciale, déficit de la balance des paiements courants, déficit du budget et endettement. Il est évidemment heureux que l’endettement et les déficits publics et socioéconomiques fassent l’objet d’un large débat, sauf que ce débat est en train de déraper, en raison, notamment, de l’inversion de la causalité entre origines et conséquences de la crise et du flou qui entoure le sens que donnent les uns et les autres au mot «structurel».
L’endettement est fonction du solde de la balance courante, ou solde des opérations courantes. Ce solde est lui-même fonction des soldes réunis de la balance commerciale, de la balance des services et de la balance des revenus des facteurs et des transferts courants. En fait, c’est l’impact du solde commercial qui a dominé dans la dégradation du solde des paiements courants entre 2011 et 2014. Si on se plaçait dans la continuité historique, on constaterait alors que l’impact propre à la conjoncture n’a fait que s’additionner à l’impact plus négatif de certaines faiblesses « structurelles » de l’économie nationale, dont le positionnement géographique et compétitif précaire de nos exportations et le niveau bas de VA et d’intégration de l’industrie manufacturière. Quant aux déficits sociaux, ils résultent certes de certaines évolutions démographiques, mais ils résultent davantage encore de la situation de l’emploi qui accentue la baisse du rapport démographique et qui réagit négativement sur les ressources des régimes de sécurité sociale. Enfin, le déficit du budget de l’Etat est lié, tout autant, à l’incurie gouvernementale et à ses choix injustifiés en matière de recrutement dans la fonction publique notamment et de fuite fiscale, qu’au ralentissement de l’activité économique.
A ce jour, la vulgate des institutions financières internationales en matière de réformes structurelles continue à ne voir celles-ci que dans la baisse des dépenses publiques de régulation sociale et économique et dans le plus de privatisation, y compris dans l’éducation et la santé. Certes, la conditionnalité édictée par le FMI précise que «les repères structurels sont des mesures de réforme, souvent non quantifiables, et qu’ils varient d’un programme à un autre», mais dans la pratique, les « remèdes » préconisés n’ont guère varié d’un pays à un autre, d’un stade du développement à un autre, même si on assiste depuis quelque temps à quelques timides revirements conceptuels. En fait, les modalités applicables continuent à s’inscrire dans le court terme et à relever, pour l’essentiel, de l’ajustement comptable.
Les réformes structurelles sont par définition des actions de long terme visant à modifier en profondeur les structures de l’économie et de la société ainsi que les règles mêmes de leur fonctionnement et de leur interaction. Les réformes structurelles au sens des institutions financières internationales sont des politiques macroéconomiques de court terme qui visent au rétablissement rapide de certains grands équilibres au niveau des échanges avec l’extérieur et le budget de l’Etat notamment. Toutefois, les réformes structurelles peuvent avoir des effets à court terme, bénéfiques ou non, et les politiques macroéconomiques peuvent faciliter ou contrecarrer la mise en œuvre des réformes proprement structurelles. Il n’y a pas là de règles immuables, tout au plus une question de dosage et de prise en compte du temps d’évolution de l’économique et du total social et des rapports de force en présence sur le plan politique et social.
Aussi, s’il advient que la Tunisie procède aux seuls ajustements conjoncturels en les considérant, à tort, comme structurels, elle risque de faire un saut trente ans en arrière, au temps du PAS et de ses conséquences socioéconomiques, conséquences à l’origine, rappelons-le, et du blocage du processus de développement et de la révolution elle-même.
C’est naturellement dans ce cadre et dans ce cadre seulement que le problème posé par le déficit de la balance commerciale peut trouver des solutions pérennes, faute de quoi les décideurs politiques seront tentés, encore une fois, de ne prendre que des mesures macroéconomiques de court terme dont le rendement sera inévitablement éphémère sur le plan économique et financier et probablement coûteux sur le plan social et politique.
H.T.
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