News - 07.07.2015

Chedly Ayari : Une croissance de 1,7%, durant le premier trimestre 2015, n’incite guère à l’optimisme

Chedly Ayari

Dressant le bilan de l’exercice 2014, le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, Chedly Ayari explique en introduction du Rapport Annuel de la BCT qu’il vient de remettre au président de la République et au chef du gouvernement, les grandes difficultés rencontrées par l’économie nationale et esquisse des pistes de relance. Les indicateurs n’incitent sont inquiétants : une croissance réelle de 2,3% en 2014 (et une moyenne de 1,8% sur la période 2010-2014 contre une prévision initiale de 4,4%), un taux d’épargne de 13,5%, un taux d’investissement de 19,2%  contre des niveaux de plus de 30% pour l’ensemble des pays émergents, une inflation qui demeure élevée (4,9% en moyenne annuelle) malgré un certain recul d’une année à l’autre, et des déficits courant et budgétaire de 8,8% et 4,9% du PIB respectivement, dont le financement ( et par la même la reconstitution des réserves en devises à des niveaux soutenables)  n’a pu être assuré qu’au prix d’un recours massif à la mobilisation de ressources extérieures.

"Les résultats provisoires du premier trimestre de 2015, avec une croissance de 1,7%, soulignet-il, n’incitent guère à l’optimisme quant au bilan attendu pour l’ensemble de l’année en cours".

 «Le projet de schéma macroéconomique 2016-2020 peut constituer un cadre général utile pour enclencher une dynamique de relance de la croissance, écrit le Gouverneur, mais demeure, avec un taux de croissance moyen de l’ordre de 4,5% par an, en deçà des exigences d’une inflexion substantielle de la courbe du chômage et surtout de ses composantes par genre et par région. Aussi, ce programme ne devrait-il être appréhendé qu’en tant qu’objectif minima, avec en ligne de mire le relèvement de la croissance potentielle moyennant la mobilisation et l’optimisation des facteurs de production- capital, travail et productivité, qui s’inscrit dans le cadre d’un engagement commun  autour d’une ambition ayant pour horizon l’accès de notre pays au statut de l’émergence ». 
 
Le Gouverneur Ayari souligne qu’avec la stabilisation politique, les autorités publiques, les opérateurs économiques, et surtout les acteurs de la société civile doivent se libérer rapidement de la mémoire négative héritée de la période de transition, où la paix sociale, fut-elle illusoire, a été négociée au prix fort du sacrifice de la stabilité macroéconomique, sans laquelle, tout effort visant la reprise de l’investissement, et partant de la croissance et l’emploi se trouve compromis. Cet héritage, aussi lourd soit-il, doit être rapidement dépassé en faveur d’une nouvelle vision porteuse de nouvelles ambitions à la hauteur des attentes, des espoirs mais aussi des sacrifices consenties lors des années passées ».
 
Evoquant la création d'emplois et la lutte contre le terrorisme, le gouverneur de la Banque Centrale estime que « plus concrètement, il est concevable de créer une procédure de parrainage par les entreprises citoyennes de jeunes chômeurs, avec l’aide de l’Etat, en vue de changer leur horizon d’une situation d’oisiveté porteuse de désespoir et de risques, vers une culture d’activité et de contribution à l’effort de développement. Egalement, la lutte contre la menace terroriste, et ses effets néfastes sur la stabilité du climat des affaires, exige de tous une action de résistance qui peut prendre la forme d’une contribution au financement d’un fond solidaire national citoyen de lutte contre le terrorisme à créer pour appuyer l’effort de l’Etat ».  
 
Ci-après le texte intégral 

Le mot du Gouverneur

La Tunisie vient d’achever avec succès une période de transition politique difficile, avec la réussite des élections parlementaires et présidentielles, prélude à l’instauration d’institutions démocratiques, et la mise en place d’un Gouvernement pluraliste issu d’une large majorité parlementaire. Cet atterrissage en douceur du processus politique post-Révolution, salué par la communauté internationale et les instances financières mondiales, et qui a mis fin à une phase d’instabilité politique, source de marasme de l’économie, devrait ouvrir la voie à une relance de l’investissement et de la croissance,  jusque-là  entravée par l’attentisme des opérateurs économiques et leur défiance vis-à-vis d’un climat des affaires fortement altéré, et de perspectives pour le moins incertaines, en l’absence d’une vision, et d’un cadre de développement à moyen terme pour le pays.   
 
C’est dans ce contexte que le bilan de l’exercice 2014 ressort, à l’instar de ceux de l’ensemble de la période transitoire, largement en deçà des espérances. Il n’est nul besoin, ici, de reprendre les résultats de l’activité économique et des indicateurs financiers analysés dans les détails dans le document de ce rapport (établi sur la base des données provisoires disponibles à fin mai 2015), mais il suffit pour illustrer ce propos d’en rappeler certains parmi les plus significatifs : une croissance réelle de 2,3% en 2014 (et une moyenne de 1,8% sur la période 2010-2014 contre une prévision initiale de 4,4%), un taux d’épargne de 13,5%, un taux d’investissement de 19,2%  contre des niveaux de plus de 30% pour l’ensemble des pays émergents, une inflation qui demeure élevée (4,9% en moyenne annuelle) malgré un certain recul d’une année à l’autre, et des déficits courant et budgétaire de 8,8% et 4,9% du PIB respectivement, dont le financement ( et par la même la reconstitution des réserves en devises à des niveaux soutenables)  n’a pu être assuré qu’au prix d’un recours massif à la mobilisation de ressources extérieures.   
 
Face à cette situation, les actions de politiques économiques, monétaire et budgétaire, n’ont pu malgré tout- et au prix d’une marge de manœuvre de plus en plus réduite - qu’atténuer le dérapage des déséquilibres financiers fondamentaux, dont en citera en l’occurrence l’évolution des prix à la consommation, moyennant des interventions de la Banque Centrale sur le marché monétaire, en déficit de liquidité chronique, permettant au secteur bancaire de poursuivre le financement de l’économie sans pour autant affecter son propre bilan, et le déficit des finances publiques grâce à un effort de rationalisation des dépenses de compensation.
 
Les indicateurs ci-dessus cités reflètent une réalité économique d’autant plus préoccupante que les résultats provisoires du premier trimestre de 2015, avec une croissance de 1,7%, n’incitent guère à l’optimisme quant au bilan attendu pour l’ensemble de l’année en cours, surtout avec la contreperformance annoncée de la majorité des secteurs d’activité. 
 
Néanmoins, une prospection de la situation à moyen terme de manière objective se doit d’éviter deux positions extrêmes : celle nihiliste et catastrophiste prônée par des esprits défaitistes annonçant le pire pour le pays, et celle  partant d’un optimisme béat qui occulte, au mépris de la réalité, les difficultés et obstacles structurels qui hypothèquent sérieusement les chances de redressement de l’économie nationale.
Certes, les données disponibles, dont celles indiquées supra, reflètent un état des lieux préoccupant, mais cela ne doit nullement constituer un argument pour se soumettre à la dictature des statistiques, aussi têtues soient-elles, mais plutôt une occasion à saisir par toutes les parties prenantes pour se concentrer en commun sur les défis à relever à court et moyen terme, mettant à profit l’avantage et les chances offerts par la période de grâce procurée par l’état de stabilité politique, et œuvrer à asseoir  un pacte social, seul garant d’une gestion apaisée et raisonnée des priorités économiques. 
 
 C’est ainsi qu’avec la stabilisation politique, les autorités publiques, les opérateurs économiques, et surtout les acteurs de la société civile doivent se libérer rapidement de la mémoire négative héritée de la période de transition, où la paix sociale, fut-elle illusoire, a été négociée au prix fort du sacrifice de la stabilité macroéconomique, sans laquelle, tout effort visant la reprise de l’investissement, et partant de la croissance et l’emploi se trouve compromis. Cet héritage, aussi lourd soit-il, doit être rapidement dépassé en faveur d’une nouvelle vision porteuse de nouvelles ambitions à la hauteur des attentes, des espoirs mais aussi des sacrifices consenties lors des années passées.
 
Dans ce contexte, l’adoption d’une analyse profonde partant d’une lecture objective de la situation économique du pays et de son environnement national, régional, et international permet de poser les questions essentielles dont les réponses doivent susciter de la part des partenaires économiques et sociaux, un choc salutaire et asseoir un engagement collectif sur la base d’une nouvelle culture portée sur l’avenir et destiné à hisser l’économie nationale sur un autre orbite. A cet effet, la prise de conscience des défis majeurs que la Tunisie se doit d’affronter à court terme mais aussi à plus long terme appelle une  réflexion sur un schéma de développement stratégique, qui manquait à la Tunisie depuis 2011, en raison des aléas de la période transitoire. Pour ce faire, le projet de schéma macroéconomique 2016-2020 peut constituer un cadre général utile pour enclencher une dynamique de relance de la croissance, mais demeure, avec un taux de croissance moyen de l’ordre de 4,5% par an, en deçà des exigences d’une inflexion substantielle de la courbe du chômage et surtout de ses composantes par genre et par région. Aussi, ce programme ne devrait-il être appréhendé qu’en tant qu’objectif minima, avec en ligne de mire le relèvement de la croissance potentielle moyennant la mobilisation et l’optimisation des facteurs de production- capital, travail et productivité, qui s’inscrit dans le cadre d’un engagement commun  autour d’une ambition ayant pour horizon l’accès de notre pays au statut de l’émergence. 
 
Cette vision stratégique doit absolument s’appuyer sur un ensemble de réformes profondes touchant les bases légales et organisationnelles de l’activité économique, et asseoir une crédibilité vis-à-vis des opérateurs économiques nationaux et aussi des partenaires/investisseurs/bailleurs de fonds,  étrangers, par la mise en vigueur, à leur terme convenu, des réformes engagées pour l’année 2015, en l’occurrence, celles portant sur, le nouveau code des investissements, le système fiscal, le secteur financier, le partenariat public-privé et les procédures collectives. A cet égard, l’ancrage à moyen terme de la stratégie de développement ne doit en aucun cas omettre les défis de court terme, qui portent en eux des risques majeurs qui compromettraient la bonne marche, voire la viabilité de ladite stratégie. Ceci concerne surtout la situation intenable du chômage des jeunes diplômés et des disparités régionales, toujours manifestes, qui requièrent un effort à consentir par tous pour la mise en œuvre de solutions non conventionnelles telles que la promotion de l’économie de proximité, la création et la promotion de fonds d’investissement régionaux et l’accomplissement du devoir civique de l’entreprise citoyenne par l’emploi des jeunes dans le cadre d’une mission de salut public, l’Etat, étant incapable, dans les conditions actuelles, d’assurer par ses propres moyens les investissements de développement, du moins suffisamment pour lutter efficacement contre le fléau du chômage. 
 
A cet effet, et plus concrètement, il est concevable de créer une procédure de parrainage par les entreprises citoyennes de jeunes chômeurs, avec l’aide de l’Etat, en vue de changer leur horizon d’une situation d’oisiveté porteuse de désespoir et de risques, vers une culture d’activité et de contribution à l’effort de développement. Egalement, la lutte contre la menace terroriste, et ses effets néfastes sur la stabilité du climat des affaires, exige de tous une action de résistance qui peut prendre la forme d’une contribution au financement d’un fond solidaire national citoyen de lutte contre le terrorisme à créer pour appuyer l’effort de l’Etat.  
 
Enfin, faut-il le rappeler, l’effort visant le rétablissement de l’économie nationale sur le sentier d’une croissance forte et inclusive, et son corollaire la stabilité sociale et la pérennité  de la démocratie chèrement acquise en Tunisie constitue un devoir, que l’Etat ne saurait assumer tout seul. Toutes les parties prenantes, économiques, politiques et sociales, qui ont fait preuve, il n’y a pas si longtemps d’un sens aigu de la responsabilité pour réussir la transition politique, alors en péril, sont appelées encore une fois à dépasser, ne serait-ce que momentanément, les intérêts partisans dans le cadre d’un pacte de solidarité nationale, en vue de contribuer à la mission impérieuse de redressement de l’économie du pays.
 
Chedly AYARI
Gouverneur
Le 19 Juin 2015
 
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