Rapport annuel de la BCT : Un classicisme à toute épreuve!
A tout seigneur tout honneur! Commençons par rappeler le mot du gouverneur sous forme d’avertissement: «Une prospection (sans doute le gouverneur souhaite-il dire prospective au sens de scénarios possibles) de la situation à moyen terme de manière objective se doit d’éviter deux positions extrêmes: celle nihiliste et catastrophiste prônée par des esprits défaitistes annonçant le pire pour le pays, et celle partant d’un optimisme béat qui occulte, au mépris de la réalité, les difficultés et obstacles structurels qui hypothèquent sérieusement les chances de redressement de l’économie nationale. Un agacement sans doute justifié par la profusion de déclarations à l’emporte-pièce, sans le moindre fondement, ni le début d’une argumentation sensée. Une complainte qui somme toute s’adresse bien plus aux alarmistes dissimulant des arrière-pensées politiques qu’aux niais et ravis quasi-inexistants. Il est vrai que le gouverneur est souvent la cible de mauvais procès et tenu pour responsable de questions qui ne lui incombent nullement. Mais voilà,l’opinion est abusivement malmenée par des rumeurs fantaisistes reprises et amplifiéespar une presse à sensation!
Nonobstant ce propos de circonstance et ce légitime souci de rigueur et de tempérance des affects, la lecture de du dernier rapport de la BCT 2014 laisse une impression de perplexité dubitative.
Un plan d’exposition qui ne déroge pas d’un iota de celui de la longue tradition de ces rapports. Pas un seul chapitre nouveau ou paragraphe consacré à la montée irrésistible de l’économie informelle, voire de contrebande massive ou bien encore à l’évasion fiscale, qui altèrent nombre d’enseignements et de conclusions. Tout se passe comme si le document n’était écrit que pour remplir une formalité et que sa rédaction n’était destinée qu’à l’usage exclusif d’experts patentés et aux institutions financières internationales. Outre le fond, la forme elle aussi ne change pas. Celle-ci ne déroge pas non plus d’un pouce à la règle d’une sémantique et d’une syntaxe établies de longue date, à croire que les seules formes autorisées de commentaires se limitent aux variations en valeur absolue ou pourcentage…!!!
L’épargne nationale chute à son plus bas niveau depuis des lustres 13,5%! Celui de l’investissement s’effondre à 19% là où il devrait être 30% ! Litote ou douce euphémisation, on ne saurait décoder!
Comment interpréter en l’absence d’autres données…lire entre les lignes…mais cela nous serait reprocher. A l’évidence le comité de rédaction ne semble pas avoir eu pour instruction d’éclairer plus avant cette fameuse prospective à laquelle nous invite le gouverneur. Peut-être et sans pour autant être alarmiste aurait-il été bon de signaler qu’un niveau investissement à 19% ne remplace même pas à l’identique le système productif, signifiant par conséquent le déclin de celui-ci… mais soyons juste le gouverneur se fend d’une explication. Le recul serait dû à « l’attentisme des opérateurs économiques et leur défiance vis-à-vis d’un climat des affaires fortement altéré, et de perspectives pour le moins incertaines, en l’absence d’une vision, et d’un cadre de développement à moyen terme pour le pays ». Mais encore monsieur le gouverneur ? Que disent vos modèles ? Pourquoi les perspectives du schéma macroéconomique 2016-2020 sont-elles si peu attrayantes laissant augurer des niveaux de sous-emploi, de précarité, de pauvreté, quasiment inchangés ? Est-ce le poids de la dette qui entrave ce nouvel essor espéré? Ou est-ce les possibilités de financement ? Les annotations du rapport de la BCT comme les remarques ultérieures de son gouverneur demeurent inébranlablement et désespérément silencieuses.
Conformisme et académisme semblent être toujours être de mise, pour une nouvelle période qualifiée pourtant de postrévolutionnaire. On a quelque mal à suivre cette orthodoxie immuable à vouloir commenter le chiffre après la virgule du taux de croissance…où le dérisoire le dispute au pathétique, sachant qu’entre 20 et 30% de notre économie échappe à toute capture statistique. Dommage que nous en restions à ce fétichisme désuet, même si ce même taux n’est nullement du ressort de la BCT.
Admettons qu’il faille respecter les us et coutumes des banques centrales, initiés par la vieille dame de Thread needle Street (Banque Centrale d’Angleterre) au 17e siècle, mais les temps changent...
Il conviendrait de dépoussiérer quelque peu et le fond et la forme ! Ne rien changer à l’exposé procède d’une conventionnelle mais désormais vaine continuité de l’Etat…comme s’il n’y avait rien à changer non plus dans les rapports entre cette deuxième république et ses obligés créanciers internationaux.
A preuve, tout le document de 200 pages, toutes les comparaisons, tous les raisonnements sont construits par rapport à des hypothèses 2015 qui ont fait long feu, établies au cours de l’année 2014. Des estimations totalement caduques et obsolètes depuis déjà le premier trimestre alors que ce rapport sort sans la moindre retouche, sans le moindre correctif six mois plus tard. Un travail qui finit par ressembler à un exercice purement scolaire ou scolastique défiant pour ainsi dire les lois de la gravitation ! Mais il semble que tout le monde ou presque s’en contente…comme si chacun se croyait encore obligé, rédacteurs comme usagers, de jouer cette pantomime, d’échanges complices de bons procédés, de remarques polies en objections inébranlables, de critiques superficielles et stéréotypées en justifications affectées mais sentencieuses. Une sorte de « comédie humaine » à la Balzac, où les stéréotypes d’initiés (hauts fonctionnaires de la BCT, experts locaux et internationaux, ou encore éditocrates accrédités de la chose) s’échangent des propos aimables de « l’entre soi », loin de la foule hirsute et déchainée. Une publication, pour nous résumer qui mériterait mieux que cette langue de bois qui semble vouloir résister au temps et refuser de s’émanciper de la doxa conventionnelle.
Mais soyons juste. Si ce rapport ne démord pas de la tradition, on y trouve quantité d’informations précieuses, comme de séries chronologiques utiles. Bien sûr et par moment les indicateurs retenus ne sont pas toujours aux normes établies internationalement (dette globale rapportée au revenu national et non au PIB). Nous pourrions multiplier les artifices de présentation qui éclipsent la réalité crue…
Entendons-nous bien ! Il n’est nullement question dans ce papier de la personne même du gouverneur mais des pratiques discursives de cette vénérable institution, inchangées depuis bien trop longtemps. Une fâcheuse et détestable habitude des mœurs politiques a tendance à sur-personnaliser la résolution de problèmes et à sous-estimer les dynamiques collectives et objectives du corps social, une dérive à laquelle nous ne souscrivons pas.Tout ne serait qu’affaire de compétence ! Un réductionnisme ambiant mais ravageur qui affecte même une fraction non négligeable de la dite intelligentsia et sa cohorte autoproclamée d’experts.
Alors pour conclure et que tente de suggérer ce papier n’est pas tant de minimiser le besoin institutionnel d’un « état des lieux », celui de collationner, ordonner des données utiles, mais bien plus sérieusement de satisfaire ce nouveau besoin social de compréhension, au-delà de la démarche routinière, consacrée, bien-pensante mais faussement neutre. Un besoin de culture économique,de mise à nue des contradictions internes, de mise en perspective, de suggestions innovantes en matière de régulation des flux réels comme des flux monétaires et financiers (instruments de couverture des risques). La BCT fait état d’un niveau des avoirs nets en devises qui aurait atteint 13,1Mds DT contre 11.6 Mds DTfaisant passer la couverture des importations de 106 à 112 jours. C’est rassurant ! Mais vainement illusoire au regard des engagements incompressibles dus au titre du remboursement de la dette et des transferts de revenus du capital, soit un montant cumulé de plus de 5,4 Mds DT en devises fortes (hors effet de change)…ce qui somme toute relativise quelque peu ces 112 jours !
Ce n’est donc pas un énième mauvais procès fait à la vénérable institution ni moins encore à son gouverneur, mais un appel à sortir de cet exécrable « devoir de réserve », à l’instar des coups de gueule bien trop sporadiques...lorsque les lignes rouges paraissent être dépassées et illustrés récemment par le refus poli mais ferme de la BCT d’accepter les comptes de la banque UBCI filiale du dinosaurefinancier BNP-Paribas (2.290 Mds d’euros d’actifs)….exemplaire mais bien trop rare !!!
Hédi Sraieb
Docteur d’Etat en économie du développement
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