Trois ministres et un gouverneur: Vers une autre Tunisie
Ce que trois ministres hors-normes font et continuent à faire contre vents et marais n’a de cesse de me procurer une rallonge à l’espoir que j’avais eu le 15 janvier 2011.
Ce jour-là, et les suivants, j’avais vu un Tunisien civilisé, puis un autre, puis un troisième. Puis, curieusement, et les sociologues nous expliqueront cela peut-être un jour, tout redevint… normal. Le manque de civisme, se réinstalla. Les trottoirs se peuplèrent. La flemmardise s’institutionnalisa. Le patriotisme pâlit. Et les poubelles s’entassèrent.
Des constats de baisse de productivité se succédèrent et les chefs devinrent incapables de conduire leurs troupes au risque de se voir tancer par un «dégage» pourtant désormais délavé.
Nombreux furent les directeurs et chefs de services qui durent eux-mêmes mettre la main à la pâte pour faire le travail d’un subordonné en congé, mentalement ou autrement.
Tout cela sur fond de vieilles habitudes, des complicités et des silences complices, ayant fait que nous ayons perdu le sens de ce qu’il faut faire, de comment le faire et de le faire comme il faut le faire.
Les réseaux sociaux ont cela de remarquable qu’ils trahissent des phénomènes jusqu’ici inconnus ou démentis. Des vidéos circulent sur le comportement des employés dans les guichets de l’administration publique et ailleurs, des vidéos montrant les déversements d’égouts dans les plages huppées, des vidéos montrant la corruption de certains agents, etc. Tout cela ayant été auparavant présenté comme… normal. Justifiable. Explicable. Parfois même comme inévitable, épineux, difficile à résoudre, comme c’est le cas des vols de bagages dans l’aéroport de Tunis-Carthage.
Et on s’y habitue.
Toute tentative de s’écarter du normal et de remédier au statu quo est taxée de rendre la vie chère (traduire en dialecte tunisien pour obtenir la locution exacte).
Aujourd’hui, un ministre s’interpose et annule la décision d’un Conseil de discipline pour un cas ouvertement condamnable : l’utilisation d’un véhicule administratif pour des activités de contrebande. La décision du ministre a été que le fonctionnaire soit définitivement radié du ministère et probablement de la fonction publique. Comme il se doit.
Un autre ministre à grands coups de visites inopinées, authentiques celles-là semble-t-il, limoge à tour de bras, renvoyant chez eux directeurs régionaux de la Santé, directeurs d’hôpitaux, responsables de la sécurité et de la prévention sanitaire, présidents des conseils administratifs d’établissements hospitaliers… Tout cela suite au constat, rapide donc évident, de nombreux manquements et défaillances. On raconte que le ministre a par ailleurs appelé au respect des lois; et des procédures en vigueur en ce qui a trait au respect des horaires de visite et de travail.
Respect des horaires !
Suite à tout cela, il a été décidé d’évaluer de manière rigoureuse le rendement de tous les responsables chargés de la gestion des deux hôpitaux et de prendre les mesures qui s’imposent à la lumière de cette évaluation.
Rendement, évaluation !
Pourtant les carences, manquements et défaillances notés par le ministre et son équipe ne sont pas nouveaux. Toute personne ayant eu le malheur de se rendre dans un établissement de santé public les connaissait.
C’était tout simplement…. Normal.
Un troisième ministre s’attaque au sempiternel problème des cours particuliers et de « l’étude ».
Concept si vieux que, comme « ouvrier » est devenu « zoufri », « études » est devenu « itide ». En poste depuis 7 mois, ce ministre a su s’attaquer aux acquis mal acquis et s’opposer aux bras-defers, notamment ceux que lui avait imposés le syndicat par les grèves successives, prenant en otages élèves et parents d’élèves.
Ce ministre chambarde le calendrier scolaire, avec ses semaines bloquées, semaines ouvertes, et autres bizarreries. Il modifie la cadence des vacances. Il instaure la séance unique ; il ne reste plus qu’à débarrasser nos élèves de ce sac-à-dos de plomb.
Il s’est aussi attaqué à ces fameux 25% comptabilisés dans la moyenne du bac et dont l’élimination avait été promise par d’autres ministres et des ministres d’autres départements. Sauf que ce pourcentage devait être réduit d’une manière progressive, voilà que ce ministre annonce son élimination totale, à partir de l’an prochain.
Nous ne sommes pas habitués à ce qu’on nous retire si vite ce à quoi nous nous sommes habitués !
Dans certains cas, les réactions notées dans une certaine presse et les réseaux sociaux étaient mitigées. Certains se demandèrent, « Quoi, nous sommes Japonais maintenant ? » D’autres évoquèrent l’habituel et mal inspiré « Soubhan Allah » accompagné de l’inévitable « C’est des choses qui arrivent »… Dans d’autres cas, la réaction avait été plutôt « Pour qui se prend-il ? ».
Ce que ces ministres ont fait c’est ce que d’autres avant eux auraient-dû faire. S’ils ne l’avaient pas fait pour ne pas attirer les foudres des citoyens, cela devient curieux. Curieux que des ministres qui n’avaient rien à voir avec la démocratie prennent moins de risques que ceux d’après la révolution.
Du coup rien n’est plus… normal.
En fait, nous étions habitués à des gens faisant les choses comme il faut, mais rarement à des gens faisant les choses qu’il faut.
Et du coup nous avons des ministres qui font les choses qu’il faut.
Et il semble que la tendance se généralise. Car ne parle-t-on pas de ce gouverneur nouvellement nommé à Sousse qui a bel et bien démoli une construction qui s’était érigée sans permis de construire ?
Normal diriez-vous ?
Non. Non seulement parce qu’il a appliqué la loi, mais parce qu’il l’avait appliquée sur la construction de son propre frère. Du jamais vu.
Encore : Il y a deux jours, la municipalité de l’Ariana avait procédé à la démolition pure et simple de tout ce qui avait servi à la possession illégale d’espaces publics tels que trottoirs et parkings. « Où est le trottoir ? » était le nom de la campagne ayant déclenché cet acte inhabituel (Il parait que les choses sont rapidement revenues à la « normale » et que trottoirs et parkings sont de nouveaux investis).
Jusque-là nos responsables les mieux intentionnés se sont limités à faire comme il faut ce qu’on leur demande de faire.
Et oui, aujourd’hui, il y a des responsables qui font ce qu’il faut.
Un jour nous aurons des responsables qui feront ce qu’il faut, comme il le faut.
Trois ministres et un gouverneur sont les Bouazizi d’une nouvelle révolution ; une révolution culturelle qui vise le tréfonds de ce à quoi le Tunisien s’était habitué, le pas normal.
Mohamed Louadi, PhD
Professeur de l’Enseignement Supérieur
Université de Tunis
Institut Supérieur de Gestion
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On écrit "contre vents et marées" et non pas "marais". La métaphore est celle d'un bateau ou d'une barque qui lutte pour avancer, le marais n'a rien à voir la dedans.
les trottoirs sont toujours confisqués par les les cafés et les restaurants à ennaser, gouvernorat de l'ariana...stationnements anaechiques et hors la loi tout au long de l'avenue hédi nouira laquelle avenue est devenue un cas d'école en matière d'anarchie et d'irrespect des règles les plus élémentaires de la citoyenneté ...non monsieur , l'Etat est toujours absent et le chaos est partout et ce n'est pas avec ce genre d'articles qui sentent la vassalité au régime en place que vous allez nous convaincre du contraire...
BRAVO à ces hommes! Il était grand temps de réagir. J'espère qu'ils ne seront pas décourager et que cela entraînera d'autres changements ô combien nécessaire.
J'espère que celà se généralise