News - 09.09.2015

Christine Lagarde : Tunisie — L’union d’un peuple, l’accomplissement d’une destinée

Christine Lagarde : Tunisie — L’union d’un peuple, l’accomplissement d’une destinée

En visite à Tunis, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde a affirmé que le Fonds « continuera à soutenir la Tunisie, tandis qu’elle travaille à jeter les bases d’une économie plus robuste, plus résiliente et plus solidaire ». Dans une conférence donnée mercredi matin au siège de la Banque Centrale de Tunisie, elle a passé en revue l’évolution de la situation économique du pays telle que vue par le Fonds et les défis qui se posent pour accélérer la mise en vigueur des réformes convenues.
Ci-après son allocution intégrale

 

Bonjour — Al salaamu alaykum!

C’est pour moi un immense plaisir d’être à nouveau en Tunisie — berceau du Printemps arabe et source d’inspiration pour tous les citoyens de la région, particulièrement les jeunes, à concrétiser leurs aspirations. Je tiens à remercier Monsieur le Gouverneur Ayari, de m’avoir donné l’occasion de me trouver parmi vous aujourd’hui.

 

Ma dernière visite en Tunisie date de 2012. Le premier gouvernement de transition était tout juste entré en fonction et l’Assemblée nationale constituante venait de voir le jour. Personne n’ignore les difficultés traversées durant les mois qui ont suivi: tensions sociales aiguës, montée de l’insécurité et bouleversements économiques.

 

Et pourtant, la Tunisie a su surmonter ces épreuves. Comment? En ne perdant jamais de vue un objectif primordial : le consensus doit servir de socle à la nouvelle démocratie. Un consensus fondé sur le respect, les opportunités économiques et la solidarité nationale.

 

Les vers du poète Abou Al Kacem Chebbi repris dans l’hymne national tunisien rendent bien compte de cette force morale:
«Lorsqu’un jour, le peuple veut vivre,
Force est pour le destin de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaines de se briser»
La Tunisie peut aujourd’hui s’enorgueillir d’une autre réussite. En janvier dernier, elle s’est dotée d’une nouvelle constitution. Peu après, le premier gouvernement de l’après-transition a pris ses fonctions au terme d’élections libres, régulières et justes. Ces succès constituent des étapes clés pour la construction d’une société plus équitable. Le Destin a répondu à vos aspirations.
Cette transition a été malheureusement accompagnée de tragiques épreuves avec les attaques terroristes au Musée du Bardo et à Sousse. Mais ces actes lâches et criminels ne doivent pas détourner le peuple Tunisien de sa marche vers de meilleurs lendemains.

 

Le monde a aujourd’hui les yeux rivés sur votre pays et ses choix. L’élan qui a uni le peuple tunisien jusqu’à présent doit continuer à prévaloir pour que le Destin réponde à nouveau. Pour qu’après le succès de sa transition politique, la Tunisie puisse mener à bien sa transformation économique et assurer un avenir encore meilleur à ses citoyens.
Dans cette optique, je centrerai mon propos sur trois sujets:

(i) Premièrement, la conjoncture mondiale et les menaces qui pèsent sur les perspectives économiques de la Tunisie;
(ii) Deuxièmement, les orientations prioritaires pour favoriser le décollage économique du pays;
(iii) Troisièmement, le partenariat entre la Tunisie et le FMI.

1. Une économie tunisienne solide malgré les épreuves et une conjoncture difficile

Permettez-moi d’abord de passer en revue les succès et les perspectives macroéconomiques de votre pays.
La Tunisie a fait ces dernières années un parcours économique remarquable. Elle a affiché une croissance d’environ 2,5% par an en 2013 et 2014, malgré un environnement particulièrement difficile : une transition prolongée, des troubles sociaux récurrents et un impact accru des conflits régionaux.

 

La conjoncture extérieure antérieure aux événements du Bardo et de Sousse a ajouté de nouvelles difficultés. La faible croissance de l’Europe — principal partenaire commercial de la Tunisie — a eu un impact important sur deux secteurs majeurs de l’économie tunisienne.

 

Tout d’abord le commerce. Plus de 70% des exportations Tunisiennes sont à destination de l’Europe et d’après nos analyses, un recul de 1 point de la croissance en Europe fait baisser de 0,6 point celle de la Tunisie. C’est loin d’être négligeable.

 

Ensuite, le tourisme. Ce secteur est un des moteurs de l’économie tunisienne : il représente près de 7 % du PIB et emploie plus de 400.000 personnes. Et près d’un touriste sur deux (45 % exactement) est Européen.

 

Ce secteur aussi a été rudement éprouvé par le ralentissement Européen. L’an dernier, les arrivées de touristes européens ont chuté de 26 % et les recettes ont été inférieures de 15 % à celles de 2010. Les récents attentats ont aussi porté un nouveau coup au tourisme, avec une baisse attendue des recettes de 50 % par rapport à l’an dernier et des répercussions tangibles sur l’économie, dont l’impact sera très significatif en matière d’emploi.


Nous prévoyons  en conséquence une croissance de l’activité économique de seulement 1 % pour l’année en cours, selon nos dernières prévisions.

 

Pourtant, malgré ce contexte difficile, il y a des raisons d’espérer. Les vents contraires qui soufflaient jusqu’alors peuvent devenir des vents porteurs pour l’économie tunisienne. Quels sont les facteurs d’optimisme ?

 

Tout d’abord, nos projections tablent sur une croissance globale modérée, où la croissance des économies avancées se consolide, même si celle des économies émergentes ralentit. Plus important, nous anticipons une croissance de la zone euro plus soutenue que les années précédentes. Ceci est de bon augure pour la Tunisie, qui peut escompter une augmentation des flux commerciaux et touristiques.
Par ailleurs, nous nous attendons à ce que les cours des matières premières restent bas pendant une période prolongée. Cela permettra de réduire les déséquilibres des comptes extérieurs et budgétaires. Une baisse des cours du pétrole de 10 dollars par baril permet, selon nos estimations, un recul des déficits budgétaire et extérieur de la Tunisie de 0,6 % du PIB. Ceci constitue des gains significatifs pour la Tunisie, comme pour nombre d’autres pays importateurs.

 

Voilà pour la conjoncture internationale. Qu’en est-il au plan interne?

 

La Tunisie possède, c’est une évidence pour tous, des atouts considérables. Sa situation géographique, sa culture et la beauté naturelle de votre pays en font un lien vital entre l’Europe et l’Afrique. De plus, votre population, instruite et jeune, regorge de talents.

 

Il faut exploiter ces atouts et répondre aux aspirations de la Tunisie, objet de mon second propos.

2. Répondre aux aspirations du peuple tunisien — la voie à suivre

Laissez-moi commencer par ce magnifique proverbe tunisien  qui dit : «Qui veut de belles choses doit veiller toute la nuit.»
Ne nous berçons pas d’illusions. La route qui mène vers le succès économique de la Tunisie ne sera pas aisée car elle est semée d’obstacles.
En premier lieu, le nombre des sans-emploi reste très élevé, particulièrement chez les jeunes et les femmes. Le taux de chômage des jeunes — 34 % — est le double du taux de chômage global. Et les disparités régionales — un facteur déterminant dans le déclenchement du Printemps arabe — restent considérables. Le taux moyen de pauvreté est trois fois plus élevé dans l’intérieur du pays que dans les régions côtières plus aisées.

 

Comme je l’ai indiqué précédemment, nous prévoyons cette année un taux de croissance de 1 %. Cela ne suffira pas à faire reculer sensiblement le chômage et assurer au peuple tunisien de meilleures conditions de vie et une croissance mieux partagée.

 

Mais fort heureusement, il existe une feuille de route. La constitution fait obligation au gouvernement de gérer efficacement les ressources publiques et de servir les citoyens et les intérêts publics selon des règles claires de transparence et de responsabilité.

 

Il faut, maintenant plus que jamais, promouvoir les réformes nécessaires pour transformer la Tunisie en une économie dynamique et concurrentielle et créer des emplois pour ses citoyens. Il y a à mon sens trois domaines où il sera crucial de faire progresser les réformes.

 

Premièrement, un budget pro- croissance. Pour exploiter le potentiel de croissance de la Tunisie, il faudra accroître les dépenses d’investissement.


L’an dernier, une marge budgétaire de 1,6 % du PIB a été dégagée grâce à la baisse des subventions énergétiques liée à la diminution des cours pétroliers internationaux. Ces économies ont toutefois été absorbées en grande partie par une hausse des salaires de la fonction publique. La masse salariale de la Tunisie avoisine 13 % du PIB, ce qui en fait une des plus élevées au monde.
Améliorer la composition du budget afin de promouvoir la croissance nécessitera la réorientation des dépenses publiques au profit des investissements et des dépenses sociales. Cela nécessitera aussi une réforme du système fiscal, afin de le rendre à la fois plus équitable et plus efficace.


Le FMI vient justement de publier une étude approfondie sur la manière dont les systèmes fiscaux peuvent contribuer à assurer une plus grande équité économique, à laquelle aspirent les citoyens des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Dans le cas de la Tunisie, par exemple, il est possible d’améliorer l’équité et l’efficacité de l’appareil fiscal en le simplifiant, en le rendant plus progressif et en réduisant l’écart entre les taux d’imposition des secteurs nationaux et extraterritoriaux.


Le deuxième axe de réformes porte sur le système financier. Pour que l’économie soit prospère et florissante, il est essentiel que le système financier soit robuste et efficace. Il faut redoubler d’efforts pour effacer les vestiges de l’ancien modèle, qui était un des principaux freins à la croissance.


Un système bancaire moderne, soumis à une stricte supervision et ouvert à la concurrence, est indispensable pour améliorer l’accès au crédit et fournir aux secteurs productifs les ressources nécessaires, à tous les secteurs productifs, les start-ups comme les PME, les grands groupes comme l’économie solidaire.


Les banques publiques constituent un bon point de départ : elles rassemblent à elles seules 40 % du total des actifs bancaires et plus d’un quart des créances en souffrance. La recapitalisation de ces établissements, et la restructuration d’autres, sont des premiers pas importants, qui doivent permettre d’améliorer les pratiques de gouvernance et faciliter l’intermédiation financière. Mais il faut poursuivre.
Troisième axe de reformes, améliorer le climat des affaires. La Tunisie a besoin d’un climat des affaires de premier ordre pour que la croissance puisse décoller rapidement.


Actuellement, les entreprises subissent le carcan d’une réglementation complexe et pesante. Ainsi, d’après les indicateurs « Doing Business » de la Banque Mondiale, il faut 94 jours pour obtenir un permis de construire, et 50 % des secteurs économiques font face à des restrictions de tout ordre qui freinent les investissements. Cette réglementation asphyxie le secteur privé, brouille la transparence des règles et entrave les investissements et la création d’emplois.


Il faut maintenant que toutes les entreprises bénéficient de « l’égalité des chances ». Deux textes de loi peuvent changer la donne. Le premier est le nouveau code des investissements, qui sera crucial pour doper les investissements privés domestiques ou internationaux. Le second est la loi sur la concurrence et les prix, approuvée par le Parlement  la semaine dernière, qui permettra d’ouvrir de nouveaux débouchés et d’éliminer les pratiques discrétionnaires.


En somme, un budget propice à la croissance, un système financier efficace et un climat des affaires de premier ordre peuvent constituer les fondements d’une activité économique dynamique. Ce sont des réformes difficiles qui ne peuvent être reportées et nécessitent une mise en œuvre rapide afin de répondre aux aspirations de la Tunisie et de sa population. Et le message sera clairement compris partout dans le monde : la Tunisie est déterminée à transformer sa réussite politique en triomphe économique.

3. La Tunisie et le FMI — un partenariat continu

La Tunisie n’est pas seule face à son destin. Le FMI a toujours été un partenaire à ses côtés. Et c’est le dernier point sur lequel j’insisterai aujourd’hui.


Tout au long de cette phase de transition politique historique, le FMI a apporté à la Tunisie son appui financier, ses conseils stratégiques et son assistance technique dans bien des domaines.
En juin 2013, le FMI a approuvé un programme portant sur 1,75 milliard de dollars en faveur de la Tunisie, pour l’aider à mener à bien le programme de politique économique et de réformes qu’elle avait élaboré. Ces réformes visaient à préserver la stabilité macroéconomique et à promouvoir une croissance plus forte et plus solidaire, tout en protégeant les plus vulnérables.


Notre partenariat est fondé sur la souplesse et la réactivité. Face à la volatilité contraintes politiques et sociales, le programme a été adapté en conséquence. Par exemple, nos ressources ont été réaffectées dès les débuts du programme pour soutenir non plus seulement la balance des paiements, mais également les finances publiques, et permettre ainsi de faire face à la pression des dépenses.
En plusieurs occasions, les objectifs et les dates-butoirs ont été modifiés pour tenir compte des difficultés de mise en œuvre ou des situations imprévues telles que les récents attentats. Cette souplesse a été cruciale, car elle nous a permis de soutenir efficacement la Tunisie, tout en veillant à ce que les objectifs restent réalisables.


Nous avons aussi apporté notre concours aux autorités tunisiennes pour le renforcement des capacités et en matière de formation dans plusieurs domaines, par exemple la politique et l’administration fiscales, l’élaboration d’un mécanisme d’ajustement automatique des prix des carburants ou le renforcement du contrôle bancaire.


Pour l’avenir, le FMI continuera à soutenir la Tunisie, tandis qu’elle travaille à jeter les bases d’une économie plus robuste, plus résiliente et plus solidaire.

Conclusion

En conclusion, je souhaiterais rendre hommage à l’un des plus grands penseurs tunisiens — Ibn Khaldun — le père de l’historiographie et de la sociologie. Et je tiens en particulier à souligner l’importance de la contribution d’Ibn Khaldun à notre compréhension du mode de formation de nos sociétés — leur genèse et leur prolifération grâce à ce qu’il nomma «la cohésion sociale».
La Tunisie s’engage aujourd’hui dans une nouvelle phase historique de démocratie, vers une société nouvelle caractérisée par la solidarité et la cohésion. Une société unie dans la quête du progrès, des opportunités et de la prospérité économiques. Le monde vous regarde et se tient fermement à vos côtés. N’en doutez pas, le Destin va vous répondre.
Je vous remercie de votre attention.

 

 

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