Classement DAVOS, Quels enseignements?
Un classement mythique qui est celui de DAVOS! Un classement très attendu par les initiés et les non-initiés, par les investisseurs, par les politiques et par tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à l’activité économique dans leur pays et dans le monde.
Pour la Tunisie, ce n’est pas brillant, effectivement, en 2010-2011 nous occupions la 32ème place à l’échelle mondiale (140 pays, sont classés) avec un score de 4,65, aujourd’hui nous occupons la 92ème place, avec un score de 3,93. Nous avons perdu 60 places ou bien 60 pays nous ont devancés. Depuis et d’année en année, l’indice global de compétitivité (Global competitiveness index : GCI) qui sert à classer les pays selon leur compétitivité est en chute libre pour la Tunisie. Par rapport à l’année précédente, nous avons perdu 5 places et l’indice (GCI) est passé sous le score de 4. Ce qui reflète bien évidemment la dégradation de la compétitivité de la Tunisie par rapport aux autres pays. Par ailleurs, la Turquie a gagné 10 places, le Maroc 3 places entre 214/2015 et 2015/2016. Pour comprendre cette dégradation, il faut savoir comment est construit cet indice global de compétitivité pour pouvoir connaitre la source ou les sources de cette dégradation et l’analyser.
Source: The Global competitiveness Index Historical database @ 2005/2015 world economic forum
Comment est calculé le score?
Le score est calculé sur la base d’un indice (GCI) dont la construction repose sur 12 piliers regroupés en groupes.
- Le premier groupe englobe ce qu’on appelle les exigences basiques (Basic requirements).
- Le deuxième groupe regroupe les moteurs de croissance (efficiency inhancers) et
- Le troisième groupe concerne les facteurs de sophistication et les innovations (innovations and sophistication factors).
Ces piliers sont regroupés comme suit:
Source: The Global competitiveness Index Historical database @ 2005/2015 world economic forum
Source: The Global competitiveness Index Historical database @ 2005/2015 world economic forum
Source: The Global competitiveness Index Historical database @ 2005/2015 world economic forum
Quels enseignements tirer des scores et des classements?
Le seul des trois groupes qui affiche une performance est celui des exigences basiques. En effet, dans ce groupe, le pilier des institutions (P1) et de l’environnement macroéconomique (P3) affichent des performances, (contrairement à ce qu’on peut croire). Concernant l’environnement économique, le classement de DAVOS est très sensible à la maîtrise des déficits budgétaires, à l’évolution du taux d‘épargne dans le PIB, la maîtrise du taux d’inflation, l’évolution de la dette gouvernementale rapportée au PIB et le rating du crédit du pays. Ce qui a fait gagner 14 places à ce pilier, c’est principalement la maîtrise du déficit budgétaire qui a fait avancer la Tunisie du 121ème rang pour l’année 2014/2015 au 79ème rang pour l’année 2015/2016 ainsi que la maîtrise de l’inflation a fait passer le rang de la Tunisie pour ces deux mêmes dates du 108ème rang au 98ème rang. Il faut souligner que ces performances sont précaires car très sensibles aux augmentations salariales qui peuvent être à l’origine de dérapages du budget de l’Etat et de l’inflation par la demande.
Pour les deux autres groupes composés des facteurs de sophistication et de l’innovation et des moteurs de croissance, sur les 8 piliers qui les composent, 7 sont en dégradation. Le pilier qui nous met à la traine des pays (133/140) c’est l’efficience du marché du travail, dans ce pilier et pour l’année 2015/2016, le critère d’utilisation efficace des talents met la Tunisie à la 136ème position, le ratio des femmes par rapport aux hommes dans la force de travail place à la Tunisie à la 130ème position. Ce chiffre est préoccupant pour la Tunisie qui a misé sur la scolarisation en masse et la scolarisation des filles en particulier. Etant donné les taux de réussite qui sont plus importants pour les filles que pour les garçons surtout au niveau de l’enseignement supérieur, le marché du travail demeure relativement fermé pour les femmes par rapport aux hommes. Pour ce même pilier, on trouve aussi la capacité du pays à attirer les talents qui place la Tunisie à la 124ème position. Le critère du salaire et de la productivité place le pays à la 121ème place.
L’efficience du marché des biens classe aussi la Tunisie à la 118ème place par rapport aux 140 pays considérés. Les principaux critères qui pèsent négativement sur ce pilier sont le poids des procédures
douanières (126/140), le poids des barrières douanières (123/140) et les procédures administratives pour créer une entreprise qui sont très contraignante (116/140).
L’efficience du marché financier n’est pas en reste. En effet le critère de solidité des banques classe la Tunisie à la 131ème place, le critère de fiabilité et confiance dans le secteur bancaire place la Tunisie à la 132ème place et la disponibilité des services financiers à la 121ème place. Ces éléments doivent précipiter la réforme du secteur bancaire.
Concernant le troisième groupe de piliers, Le critère de sophistication des affaires met la Tunisie à la 104ème place et dans ce pilier la nature de l’avantage compétitif place la Tunisie à la 119ème place en 2015/2016 par rapport à la 91ème place en 2014/2015. Ceci souligne le mauvais choix de spécialisation pour lequel a opté la Tunisie. Concernant le pilier des innovations, la Tunisie est classée 110ème et dans ce pilier : la capacité à innover, la qualité des institutions de recherche, les dépenses en R&D et la collaboration entre université-industrie en R&D placent la Tunisie respectivement à la 109ème, 111ème, 111ème et à la 116ème place.
Concernant le terrorisme, les crimes et la violence et la sécurité, les scores demeurent très élevés mais moins élevés que ceux relatifs aux critères de l’efficience du marché du travail par exemple. En effet, le critère de la sécurité classe la Tunisie à la 108ème place, le critère du coût du terrorisme sur les affaires la place à la 128ème place et le coût du crime et de la violence sur les affaires à la 101ème place. Ce n’est pas pour réduire l’ampleur de l’insécurité de la violence et du terrorisme mais les chantiers de réformes à entreprendre semblent d’autant plus importants si ce n’est plus. Au total, en plus de la lutte contre le terrorisme l’insécurité, les principaux piliers responsables de la dégradation du classement de la Tunisie sont les trois piliers P6, P7 et P8 (efficience du marché des biens, du travail et financiers), c’est pour dire l’ampleur des réformes (réforme douanière, bancaire, administration, éducation etc…) à entreprendre pour améliorer l’indicateur global de compétitivité.
Fatma Marrakchi Charfi
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Belle analyse et permettez-moi de vous en féliciter. Pour avoir passé l'essentiel de ma vie professionnelle dans l'administration publique, les finances exactement, et dans les milieux des affaires (tourisme, industrie, agriculture) les tunisiens avertis ont toujours été sensibles aux trois compartiments qui ont fait que notre pays recule, pour ne pas dire que sa position se dégrade. Le phénomène a pris une ampleur remarquable depuis les évènements de décembre-janvier 2010/2011. Je ne parlerai pas de révolution, car celle-ci, pour qu'elle soit une, doit s'attaquer à la superstructure, à la culture, aux mentalités, à la manière de penser et de gouverner. Là on recule. Avec la dépression économique qui s'installe depuis presque cinq ans et le désinvestissement qui s'en est suivi, national et étranger, on parlera plutôt du marché du chômage que de l'emploi ou du travail. Parallèlement, la finance bancaire a été la grande absente pour la relance, le souci majeur étant l'inflation, la restriction du crédit fut le maitre-mot de la politique monétaire. C'est comme si on s'entête à voir laTunisie fondre mais quand même en bonne santé. Corrélativement, l'enseignement a été pendant cette période un facteur de grande perte de la productivité. Le personnel qualifié issu du supérieur ne représente que quelque 6% de la force de travail (rappelons que la productivité du travail peut faire gagner jusqu'à deux points du PIB). Je ne prétends pas réinventer la roue, mais tout ceci a été dit et crié sur ces mêmes colonnes de LEADERS. Mais, hélas, point de réponse. Faut-il raconter, enfin, cette histoire unique au monde : pour nommer un directeur général de banque, on fait appel à un concours public sur dossier : à ce point que l'Etat a perdu sa base de données sur les personnes et les compétences ! PRIONS QUE DIEU GARDE NOTRE PAYS.