L’agriculture tunisienne et l’Aleca: Des risques à réduire et des opportunités à accroître
Cinq ans après la Révolution, nous n’avons qu’une certitude, celle d’être plus que jamais à la croisée des chemins !
Et la transition qui semble s’installer manque cruellement de mise en perspective des questions économiques et sociales, et plus encore de la question agricole et rurale.
Or voilà précisément que s’ouvrent ces jours-ci des négociations cruciales, dans le cadre de l’Accord de libre échange complet et approfondi « ALECA » avec l’Union Européenne et qui risquent d’engager l’avenir du pays pour de nombreuses années. Au cœur de ce nouveau round de négociations se trouve la question agricole, jusque là épargnée des accords commerciaux aussi bien bilatéraux que multilatéraux.
Avons-nous pour autant réellement pris la mesure des effets d’une libéralisation rampante et parfois dévastatrice et d’une mondialisation sans régulation efficace? A-t-on tiré les leçons de la crise alimentaire de 2007/2008 qui a probablement précipité la chute de nombreux régimes dans notre région? Car en ne cherchant pas à remédier à l’impact de la hausse des prix et notamment des produits alimentaires de base et qui trouve ses origines dans la dérégulation de l’économie mondiale, autant que dans l’inefficacité des politiques publiques nationales, on laisse s’aggraver une dépendance excessive vis-à-vis des importations des produits de consommation courante (céréales, lait, huiles de graines…) mais aussi une paupérisation de nombreuses franges de la population et notamment des populations rurales et péri urbaines. Pour nous agriculteurs, les attentes sont à la mesure des enjeux, c’est-à-dire vitaux. Très simplement, agriculture et ruralité ne doivent plus rimer avec pauvreté!
Par ailleurs, si l’agriculture a montré une résilience certaine et contribue encore aujourd’hui pour plus de 10% du PIB et représente encore 1/5 des actifs, le secteur est de plus en plus fragilisé sous le poids de deux défis majeurs ; celui de la libéralisation des échanges et ses effets en termes de volatilité des prix de détérioration des termes de l’échange pour les nationaux ; d’une part, et d’autre part celui de la rareté des ressources naturelles et particulièrement l’eau et le sol et qui met en danger la durabilité de nos systèmes de production.Ce dernier phénomène risquant de s’accentuer sous l’effet du changement climatique qui affecte particulièrement le sud du bassin méditerranéen.
Pouvons-nous en l’état actuel de nos structures agraires et sans vision pour l’avenir de nos campagnes et de nos paysans, considérer que l’ouverture à l’Europe soit sans risques?
En faitnous payons aujourd’hui le prix de l’absence d’une véritable politique agricole. Car depuis le Programme d’ajustement structurel (PAS) mis en place en 1986/87, la fragilisation de notre économie agricole et de notre société agraire ne cesse de s’accentuer; avec ce que cela implique d’effritement des marges de nos agriculteurs accentuée par untrès faible soutien non seulement aux producteurs, mais aussi à la recherche agronomique et à la formation sans lesquels il n’y point de progrès. Ceci sans parler de la très faible intégration de nos filières agroalimentaires qui devraient êtrepourtant tirer la production agricole vers la haut, mais aussi d’endiguer les crises en garantissant un meilleur approvisionnement des marchés.
De fait, notre agriculture et plus encore nos exploitations ont besoin d’abord de se mettre à niveau, pour pouvoir soutenir la concurrence et surmonter les obstacles bien ardus des normes sanitaires et phyto sanitaires et autres barrières non tarifaires. Car en face, l’agriculture européenne, en dépit des crises qui peuvent survenir de temps à autre, est non seulement très bien structurée avec notamment des organisations professionnelles et interprofessionnelles aussi fortes qu’influentes, mais c’est aussi une agriculture très fortement soutenue.En dépit de la réduction opérée dans le cadre de la réforme de 2013, la PACreste le premier budget de l’UE. Ainsi faut-il savoir qu’un agriculteur européen peut recevoir en moyenne une aide communautaire de près de 700 euros par hectare et par an, quand un agriculteur tunisien ne reçoit-indirectement- que moins de 40 euros! L’asymétrie est déjà là et bien marquée.
Mais l’agriculture est aussi en Europe, un enjeu de société et nous voyons qu’en dépit du recul démographique des paysans, leur poids politique reste très fort.
Nous en sommes, hélas, bien loin et l’agriculture est toujours le parent pauvre des débats, autant que des politiques publiques.
Il y a donc lieu d’être extrêmement vigilant pour ces négociations et en particulier sur le volet agricole, et cela suppose à notre avis un double préalable;
- Prendre le temps de l’inventaire de l’Accord d’Association de 1995, qui n’a toujours pas été fait,
- Engager un véritable débat national sur l’agriculture dans sa multifonctionnalité, pour répondre à la question essentielle : quelle(s) agriculture(s) voulons nous pour demain?
Mais il faudra in fine surtout convaincre nos partenaires européens d’aller au-delà d’une simple libéralisation des échanges, pour bâtir ensemble une véritable Politique agricole méditerranéenne. D’autant que l’Europe est engagée dans des processus de négociations similaires avec d’autres pays du sud de la Méditerranée. Enfin, l’UE qui a consacré d’énormes moyens pour intégrer les pays d’Europe centrale et orientale, devrait prendre conscience de l’intérêt vital qu’elle a d’accompagner le renforcement des économies de ses voisins du sud de la Méditerranée, sous peine de laisser se creuser plus d’écarts, générateurs de tensions et de conflits.
Ainsi donc l’intérêt bien compris des deux parties devrait permettre de « donner du temps au temps »pour aboutir à des accords équilibrés à défaut d’être équitables. Pour la partie tunisienne, la consultation des acteurs de la société civile et notamment des organisations professionnelles est une véritable exigence de démocratie et de bonne gouvernance et une garantie d’efficacité, contrairement à ce que soutiennent certains esprits chagrins.
Ces négociations sont sans doute un véritable pari qu’il nous faut gagner. Mais encore faudrait-ils que nous ayons au plus haut niveau une ambition nationale. Sans doute devrions-nous aussi prendre, enfin, conscience de l’impérieuse nécessité d’une intégration maghrébine, qui nous donnerait dans ce domaine comme dans d’autres un tout autre poids dans l’espace euro-méditerranéen !
Leith Ben Becher
Président du Syndicat des Agriculteurs de Tunisie (Synagri)
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La production alimentaire c´est l´autosuffisance alimentaire. exportation a toujours était utile, mais l´agriculture c´est comme la souveraineté, on y badine pas avec. ne pas tenir comte de la securité alimentaire , c´est mener le pays au neocolonialisme, la question est seulement quand. Même les pays au climat trés froid ils produisent tous ce qui est possible pour eux, dans des serres s´il le faut. les probleme d exportation/importation, lá il faut partir de l´ alimentation de l´individu. Pour l´exportatipon, il faut augmenter la production agricole, en ayant toujours une maind´oeuvre prête á prendre le travail.L ´Etat a un role là , pour la formation du personnel et pour la sécurité en cas de chomage. Si un tunisien aujourd´hui mange 250 gramme de fruits, il ést necessaire d´augmenter la production de ce qu´ on veut exporter, et si les 250 gr, disons de raisins sont insuffisants il faut importer des frits qu´on a pas dans le pays , ca fait varier en meme temps donne une meilleure alimentation. Il ne faut pas voir le côté argent mais aussi côté autosuffisance alimentaire, Il ne faudrat pas faire comme dans le passé où on a tout simplemement fait "grossir" les Europeens. Le moins qu´on puisse dire est que c´est bête. Le" pas cher" ca devrait être fini.