Révolution tunisienne: les dérives à éviter
La révolution tunisienne a eu le mérite de briser ce que le journaliste libanais Samir Kassir appelait «le malheur arabe". C’est du moins, ce qu’on clamait il y a cinq ans dans l’euphorie de la révolution du 14 janvier. Force est de reconnaître, aujourd’hui que «le malheur arabe» a encore de beaux jours devant lui. On a beau adopter la séparation des pouvoirs, réaliser des élections libres et transparentes, installer des garde-fous, ce à quoi, nous assistons, c’est au mieux à un ersatz de démocratie. Car la vraie démocratie a des présupposés: civisme, empathie, solidarité entre les groupes sociaux, respect de l'autorité de l'Etat, consensus autour des intérêts fondamentaux de la nation, autrement dit, tout ce qui nous fait défaut aujourd’hui. Il faut se rendre à l’évidence. La démocratie telle que pratiquée en occident, est étrangère à notre culture, à nos mœurs, à notre climat. Même ceux des Tunisiens qui se sont nourris des idées des philosophes des lumières sur les bancs des universités européennes comme les élites politiques des années 50 et 60 se sont gardés de l’adopter comme système gouvernement conscients des risques encourus. On comprend mieux, aujourd’hui, la hantise de Bourguiba: la dislocation du corps social, le délitement de l'Etat. En occident, la démocratie a été le résultat d'une longue maturation. Ce n'est pas le cas des Arabo-musulmans en général et des Tunisiens en particulier: nous traînons un lourd héritage historique avec son lot de violences et de mal gouvernance. Ce sont nos pêchés originels. Depuis Carthage et sa fameuse constitution, considérée comme la meilleure par les historiens de l'époque, nous avons été gouvernés par des dictateurs.Il y a eu si peu d'exemples de transitions douces dans notre histoire et même en remontant à l'islam des origines, la plupart des successions se sont faites dans le sang. Trois des quatre califes «bien guidés» qui ont succédé au prophète sont morts assassinés. Soliman le Magnifique a dû tuer ses enfants males sauf l'héritier du trône pour éviter une guerre de succession après sa mort. Plus près de nous, la constitution tunisienne de 1861 qui prônait la séparation des pouvoirs était certes la première du monde arabe, mais elle n'a jamais été appliquée. Elle était trop en avance sur la société de l'époque.
Il ne s'agit pas de prôner le retour à la dictature. Contrairement à ce qu'on croit, la démocratie n'est pas le meilleur système, mais le moins mauvais. C'est à peu près ce que disait Winston Churchill qui s'y connaissait. Ce qu'il entendait par là c'est que, mal comprise, elle peut générer des effets pervers. Tout est affaire de dosage. Ni trop, ni trop peu. Dans aucun pays du monde, la liberté n'est illimitée, surtout en période de troubles. Elle peut être instrumentalisée par l'ennemi. Ce qui serait mortel, surtout quand celui-là s'appelle Daech.
Avant d'être des textes, la démocratie est une mentalité, un combat contre nous-mêmes, contre nos atavismes, nos égoïsmes, nos corporatismes. Or la société tunisienne est une addition de tous ces travers. Mal comprise, elle peut se transformer en malédiction pour le pays, faire le lit de la dictature. Les excès de la révolution française ont abouti au 18 brumaire. Prenons garde au retour de «la bête immonde». Sans jouer aux prophètes du malheur, c'est bien le danger qui nous guette aujourd'hui.
Hédi Bèhi
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