Paris-Tunis : Ennemi commun, avenir commun…
Les attentats en France et en Tunisie résonnent comme des répliques sismiques qui ébranlent la Méditerranée. Après le Bardo et sa symbolique de l’histoire pré-musulmane de la Tunisie, aux frappes de Sousse, capitale du tourisme tunisien et après Charlie Hebdo et son credo anticlérical assumé, voilà que de nouveau, à quelques jours d’intervalle, dans les deux capitales résonnent les bruits des attaques meurtrières.
Paris est frappée dans ce qui a toujours été son symbole sociétal, au cœur de la génération bobo, insouciante et festive. Ces générations successives qui font de Paris une ville unique, son cœur battant a été frappé par des attaques multiples parfaitement planifiées. Et encore une fois, comme en écho, la garde présidentielle tunisienne est attaquée, comme pour démontrer, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, que les attaques peuvent viser n’importe qui, n’importe quand, des simples citoyens dans une scène de la vie quotidienne, aux agents qui sont en charge de la protection de ces citoyens.
Dans ces situations, il faut savoir compter ses amis après avoir enterré ses morts. Reconnaître ses amis permet d’identifier ses vrais ennemis, éviter les amalgames et préparer la guerre. Peu importe les désaccords qu’on peut avoir avec ses amis, lorsqu’il s’agit de faire face à un danger commun. Qu’ils soient d’ordre politique ou économique, les désaccords ne peuvent faire oublier que ce qui compte c’est le modèle sociétal qui doit transcender toutes les incertitudes et les peurs, car nul ne doit se tromper de circonstances ni de débat.
Tous les musulmans de part et d’autre de la Méditerranée doivent se montrer dignes de la République avant tout. Et quand bien même certains pourraient reprocher à la République de les avoir négligés, ils ne peuvent pour autant s’exonérer de toute responsabilité ni justifier l’injustifiable. Il y a certes une faillite du système d’intégration à la française comme une faillite de l’inclusion sociale en Tunisie, mais cela ne peut être imputé à la seule République. Aucune complaisance ne peut être admise d’un côté comme de l’autre avec la délinquance, les trafics et l’intégrisme.
Les musulmans de France, appelons-les comme cela, ne peuvent pas choisir la République pour y vivre et vouloir justifier les actes de ceux qui voudraient transformer les églises en mosquées, par la défaillance supposée de la République. La République est un concept et les concepts ne faillissent jamais, ce sont les hommes qui les dénaturent pour mieux les déconstruire. Sinon, comment expliquer que les Français d’origine musulmane exercent faiblement leur droit de vote, alors même que se profile le spectre du Front national. Ils sont en même temps l’enjeu de ces élections sans réaliser les enjeux pour eux-mêmes.
La République est un bien commun alors que la foi reste un corpus individuel. Il n’y a aucun amalgame possible, et les musulmans doivent faire bloc autour de la République, pour ne laisser aucun doute quant à leur appartenance. La République avant la foi. C’est donc d’abord à la communauté musulmane de faire la traque à ce sida spirituel qu’est devenu l’islamisme. Je serai toujours plus proche d’un républicain de quelque origine, que de n’importe quel intégriste, fût-il mon frère.
Le jeune berger égorgé en Tunisie, voyez-vous, n’avait pas besoin de ces conseils, il a préféré mourir que d’abandonner son cheptel, sa seule raison d’être, son lien charnel avec sa terre, son pays. La République l’a peut-être oublié, diront certains, lui n’a pas oublié sa République. Il ne voulait pas laisser son cheptel sans berger. Que nos politiques méditent cela, car le berger a choisi le chemin de la résistance. Il ne voulait pas se voir, non plus, en berger sans cheptel. Il n’avait rien et il a choisi de tout perdre pour conserver son âme. Que tous les musulmans prennent garde à ne pas perdre leur âme à vouloir être des musulmans avant d’être des citoyens de la République.
Aujourd’hui, dans les deux pays, beaucoup se sentent exclus. Les explications sont nombreuses, mais elles ramènent toutes au même point, la faillite du système d’intégration comme cause, mais aussi comme conséquence, à l’intérieur d’un même cercle vicieux. Cette inclusion qui ne s’est pas faite en temps de paix devra se faire en temps de guerre. Mais il ne faut pas confondre l’exclusion avec la pauvreté. La pauvreté n’est pas un chemin vers la radicalisation, ce peut-être un terreau tout au plus, mais qui requiert d’autres fertilisants. Le sentiment d’exclusion est l’un de ces fertilisants, et il a été nourri par la dictature, des années durant, au sein de toutes les classes, conduisant au désespoir qui lui-même ouvre des voies sombres et insondables.
Le mal est identifié, reste à déterminer l’origine du mal, et pour cela gare aux trompe-l’œil. La Syrie ne doit pas focaliser toute l’attention à elle seule. Elle n’est qu’un maillon d’un axe équato-parallèle qui s’étend de l’Asie mineure jusqu’aux rives atlantiques de l’Afrique. Un quasi tour de globe de foyers patents ou latents, au sein duquel la Libye présente des risques élevés pour la rive occidentale de la Méditerranée.
La guerre globale n’est pas une guerre qu’on peut mener seul, elle engage des moyens, beaucoup de moyens, des coopérations loyales contre un ennemi machiavélique, qui a des ressources multiples et une organisation tentaculaire, qui puise dans un réservoir inépuisable de chair à canon disponible. Je persiste à penser que la Tunisie n’est pas la seule menacée, qu’elle ne peut pas agir seule, et qu’il serait plus judicieux pour nos amis d’investir dans la préservation de la paix aujourd’hui que de devoir le faire dans la guerre demain. Si nous laissons passer cette opportunité aujourd’hui, préférant attendre qu’il soit trop tard, alors nous ne valons pas mieux que ces marchands de morts.
La guerre globale contre le terrorisme doit intégrer la lutte contre la contrebande organisée, qui est le canal préférentiel du financement du jihad. Il n’est pas acceptable que l’on finance d’un côté l’effort de guerre alors que dans le même temps, on laisse l’ennemi se financer sur le dos de l’Etat. Il faut aujourd’hui durcir la lutte contre la contrebande et l’assimiler à un crime. On ne peut plus fermer les yeux sur ce fléau qui gangrène le pays et l’entraîne à sa perte, sous prétexte de s’éviter des conflits sociaux. Ce qui fonde la République, c’est d’abord et avant tout le droit, qui consacre l’équité entre les citoyens, or la République ne peut tolérer les zones de non-droit. En temps de guerre, la complaisance devient une complicité avec l’ennemi, donc un crime. Lorsque l’Etat autorise la complaisance, il devient criminel à son tour.
Nous avons aujourd’hui un ennemi commun, et cela doit nous renforcer dans l’idée de construction d’un avenir commun. Alors, construisons-le aujourd’hui, si nous ne voulons pas que notre ennemi construise pour nous, demain, un avenir dont nous ne voulons pas.
Walid Bel Hadj Amor
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