Daech fait du FN le 1er parti de France

Malgré la faible participation (50%), il est indéniable que le Front National est le grand vainqueur des Elections Régionales qui ont eu lieu ce dimanche 5 décembre en France. En effet, non seulement  le parti d’extrême droite arrive en tête dans six régions sur treize, mais en plus il enregistre dans les deux plus emblématiques d’entre elles de très forts scores. Marine, la fille de son père Jean-Marie Le Pen,   s’impose avec plus de 40% des voix dans le Nord-Pas-De-Calais, terres traditionnellement à gauche et Marion Maréchal, la petite-fille de Le Pen, avec pratiquement le même score que sa tata, est en passe de conquérir la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) qui a résisté aux assauts de son grand-père et qui constitue depuis longtemps une chasse gardée de la droite classique. La conquête de ces deux régionsemblématiques, si l’essai est transformé au second tour, symboliserait, pour le front,  la défaite du «Système», de «l’establishment», vocables frontistes pour désigner le pouvoir accaparé par la droite et la gauche et exercé par chacune d’elles à tour de rôle.

Au niveau national, le FN arrive en tête avec 28% des suffrages, devançant ainsi Les Républicains, cette machine bricolée et relookée par l’ancien président, Nicolas Sarkosy pour reconquérir l’Elysée et le  pouvoir. Le FN relègue du même coup  à la troisième place un PS affaibli et désuni; ce qui laisse présager des résultats encore plus inquiétants en 2017.

A quoi attribuer, le succès du FN, les difficultés de la droite traditionnelle et cette nouvelle déroute du PS?

L’échec des différents gouvernements de droite comme de gauche à trouver une parade à la crise économique et leur impuissance à relancer la croissance et l’emploi sont les facteurs qui surgissent en premier. Cependant, il s’impose de ne pas en déduire que l’électorat frontiste est constitué de chômeurs et de  précaires. Ses électeurs ne le sont pas mais ils ont peur de le devenir,  d’oùleur vote de prévention. Et cette volonté de se prémunir devient pressante lorsque se profile à l’horizon des menaces fantasmées et savamment entretenues  «des vagues de migrants et de réfugiés déferlant sur les côtes et aux frontières de l’Europe.»

Ces «migrants-réfugiés», désormais indistinctement confondus, sont chargés de toutes les menaces et de toutes les peurs. Ils altéreraient la nature et l’équilibre démographique, ils dénatureraient les racines chrétiennes, ils propageraient de graves maladies, ils exerceraient une pression préjudiciable à l’emploi et ils compteraient dans leurs rangs dedangereux terroristes.

Ces peurs ont amplifié les problèmes générés par la mondialisation dont le plus grave est la crise identitaire qui entraine  le repli sur soi, le rejet de l’autre et lenationalisme.

Tous ces facteurs rassemblés ont contribué à la droitisation de l’Europe (Hongrie, Pologne, Danemark…) et à  la radicalisation des partis et des discours politiques. En effet, la droite classique et dans une certaine mesure le PS se sont approprié  certains  thèmes, certaines revendications et certains mots d’ordre  qui étaient jusque-làl’apanage de l’extrême droite. Cette confusion  a brouillé les repères, les valeurs et les programmes et a effacé lesfrontières entre la gauche et la droite et entre celle-ci et son extrême.

Ces peurs ont  atteint leur  paroxysme avec les attentats qui ont ensanglanté la France et particulièrement les deux derniers, celui de Janvier ciblant  Charlie-Hebdo et celui du 13 novembre visant les Parisiens sans distinction. L’implication de Français,  dont un grand nombre est issu de l’immigration, a justifié l’angoisse et légitimé l’inquiétude d’un ennemi désormais connu «l’ennemi intérieur» à qui des ennemis extérieurs viennent  donner un coup de main, «déguisés en migrants-réfugiés» La peur a libéré la parole et désinhibé les pulsions.

Les attentats dans des pays arabo-musulmans, à Beyrouth, à Tunis, à Ankara et la mort  de plusieurs  personnes  de religion, de culture ou d’origine musulmane à Paris le 13 novembre n’ont   empêché,  hélas,  ni les amalgames  ni les bavures, ni les nombreux   actes antimusulmans en France dont les auteurs ne savent pas qu’ils tombent ainsi dans le piège tendu par Daech puisqu’ils agissent comme il l’escomptait,  selon ses prévisions. Et les  prévisions sont  clairementénoncées dans un livre-programme de l’organisation terroriste, intitulé «La gestion de la barbarie»  probablement  écrit par un collectif et publié sous le pseudonyme de Abu BakrNajdi.

En somme, il s’agit pour Daech de semer la mort et le désordre, de les mettre enscène et de les montrer ostensiblement  afin de terroriser l’adversaire, de paralyser sa raison et de le faire agir sous l’emprise de la peur. Ce faisant, il  espère pousser la démocratie à se défausser et à fouler au pied ses propres valeurs et ses principes.

Or que s’est-il produit  après les ignobles attentats ? Outre l’état d’urgence,  la fermeture des frontières et les tentations belliqueuses, n’a-t-on pas assisté à des velléités  liberticides, à l’appel à la restauration de la peine de mort et à la déchéance des binationaux de la nationalité française ? N’a-t-on pas assisté aux dérives autoritaires,  aux perquisitions musclées,  au délit de sale gueule et au contrôle au faciès ?  Ce sont là des attitudes et des actes conformes aux valeurs de l’extrême droite mais exécutés et revendiqués par un gouvernement  républicain, démocrate et de gauche!
 Les stratèges terroristes ont dû  jubiler! Grâce aux Français et aux francophones qu’ils comptent dans leurs rangs, ils  ont fait preuve d’une fine connaissance de la vie et des rapports de forces politiques en France. Stratèges, ils ont calé leur agenda sur les échéances électorales et ont commis leurs crimes juste avant,  afin de préparer les esprits tétanisés par la peur à agir dans le sens qu’ils voulaient, vers le vote extrême.

C’est ainsi qu’arrive la barbarie! C’est ainsi que les terroristes deviennent faiseurs de rois.  Gestionnaires du chaos.

Slaheddine Dchicha