Légitime célébration du 14 janvier et cris des Cassandre!

Les cris des Cassandre!  Il s'agit des pleureuses qui meublaient jadis les enterrements de notables en se griffant et en s'écorchant les joues et déchirant leurs habits en  témoignages manifestes et souvent hystériques de leur affliction. Contre quoi, la famille leur distribue de la nourriture et  un  subside. Alors que nous célébrons le 5ème anniversaire de la révolution qui s'est traduite par la fin d'une dictature, certains regrettent le "bon vieux temps" du bâillonnement ! Ne serait que pour ça! Et en toute logique dépassant les sentiments partisans, la célébration du 14 janvier en valait la peine. Toutefois, c'est sans compter avec l'atavisme acquis du temps de plusieurs colonisations de la Tunisie! Tout a été orchestré pour que toute estime de soi soit refoulée au profit d'une valorisation soutenue de l'occupant.  Le colonisé en nous surgit et s'identifie à l'image  qu'on lui a imposée. Le colonisé, dépourvu de tout droit, constamment soumis et humilié, et en état permanent de carence, est souvent amené à se conformer au miroir défigurant qu'on lui tend.

"Le carrément méchant jamais content" de l'enfant mal gâté qui crache sur le sein de sa mère comme le disait Montaigne, se retrouve chez tous les gens  un peu trop déçus par les effets de la révolution! Les uns par l'apparition indécente de plus en de médiocres pleins de préjugés sur les plateaux des télévisions, d'autres par la montée du chômage et de l'appauvrissement des classes laborieuses! D'autres par le laisser aller et les paresses nonchalantes des "gueux"! D'autres encore-ayant participé de loin ou de près à la révolution du 14 janvier 2011 et diverses manifestations et "sit-in" contre la Troïka- sont mécontents du fait qu’on n’ait jamais fait appel à eux lors de ces derniers cinq ans. Il y a plusieurs cassandres qui ne cessent de pleurer même à travers les chansons monotones!

Certes tout n'a pas été au beau fixe, lors de cette première phase de transition! Il y a eu beaucoup de bavures à tous les niveaux; beaucoup de maladresses et d'amateurisme au niveau politique, économique  et syndical. Les soubresauts et les retombées des premiers mois et même des deux années suivantes de la révolution ont laissé des plaies profondes dont certaines ne sont pas entièrement cicatrisées.

L'apprentissage de la démocratie n'est pas aisé au sein d'un pays qui est sorti d'une torpeur lui faisant imposer que tout était "excellent" que "tout va très bien Madame la Marquise" ! Et on s'étonne alors des taux d'analphabétisme chez les femmes, de la pauvreté et des disparités à travers des émissions qui aiment cultiver les sentiments des cassandres, les oiseaux de mauvais augure et le ressentiment des mauvais garnements criant! "Où est le pétrole?" et bientôt, si ce n'est  encore fait, "Où est l'or?". Ces slogans  contribuent à la sclérose de la pensée atteinte de myopie théologique défaitiste sans laisser de chances à de vrais leaders d'opinion d'agir sur les mentalités et d'œuvrer pour  le culte du travail, de la rigueur, de l'amour du pays et d'autrui.

Oui l'amour et le respect d'autrui, c'est ce qui a forgé  la forte estime que la majorité des pays porte à la Tunisie. En effet, la Révolution Tunisienne est une révolution considérée comme essentiellement non violente par rapport à ce qui s'est passé dans la région. Des élections démocratiques ont eu lieu et trois gouvernements ont été constitués lors de ces cinq dernières années. Levons donc la tête, oublions nos anciens colonisateurs, faisons face aux néo-colonisateurs, honorons nos braves martyrs qui sont tombés pour défendre les nobles causes de la démocratie et de la liberté et veillons à célébrer notre noble révolution et soyons fiers de nous mêmes et toujours de notre pays qui a obtenu le prix Nobel pour l'originalité de notre révolution et de la transition démocratique basée sur le dialogue. Un travail de longue haleine nous attend; « la révolution continue » nous appelle.

Mourad Ghachem