Opinions - 09.02.2016

La “Triade” Chine-Inde-Afrique: vers un nouveau relais de croissance mondiale?

La “Triade” Chine-Inde-Afrique: vers un nouveaurelais decroissance mondiale?

La création de l'OMC en 1995 futsuivie par la multiplication des regroupements régionaux et des espaces économiques communs. Il en est ainsi notamment des BRICS qui représentent 27% du PIB mondialdes pays membres du Partenariat Pacifique-regroupant notamment l'ALENA, le Japon et la Malaisie -qui contribuent à 40 % de l'économie mondiale. Enfin le triangle "Chindiafrique" -s'il se concrétisait- représenterait à lui seul la moitié de la population et de l'économie mondiale à l'horizon 2030. L'Inde connaît une importante dynamique démographique et économique, même si le PIB indien demeure actuellement 5 fois moins élevé que celui de la Chine. L'Afrique connaît, quant à elle, une croissance démographique et économique soutenue. Handicapée cependant par une infrastructure limitée, le continent enregistre desprogrés notables dans le cadre du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD ).
Déja en pole position en matière commerciale, la Chine est devenue la première puissance mondiale en 2015, en termes de parité de pouvoir d'achat. Deux ans après la mort de Mao Zedong, l’économie chinoise ne représentait que 0,5% du PIB mondial en 1978 contre 32% en 1820.

1- Libéralisation et ouverture de l’économie chinoise: “Qu’importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris”

  • Visionnaire et pragmatique, le successeur du’’grand timonier’’ Deng Xiao Ping fût l’initiateur de la libéralisation et de l’ouverture progressives de l’économie chinoise, dans  le cadre du “système socialiste de marché”. L’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 allait amplifier le développement du pays et consolider sa place sur la scène internationale.
    Cette adhésion fut précédée par une réforme structurelle d’envergure conduite par le Premier Ministre Zhu Rong Jie, setraduisant par le licenciement de quarante millions de fonctionnaires et d’employés d’entreprises publiques reconvertis en partie dans des activitésdu secteur concurrentiel.
     
  • Actuellement le PIBchinois représente 60% de celui des Etats-unis, et 600 millions de personnes ont été sorties de la pauvreté. Mais le pays se situe au 84erang mondial selon le classement des revenus par tête d’habitant. L’agriculture contribue à 10% du PIB contre 51% pour le secteur tertiaire.
    Les échanges commerciaux représentent plus de la moitié du PIB. L’excédent commercial réalisé en 2015 a atteint 560 milliards de dollars, la moitié des exportations industrielles ayantété réalisée par des sociétés à capitaux mixtes.
    La part des produits àhaute technologie exportée s’élevait à 26% en 2012 contre 18% en 2007. Premier détenteur de réserves de devises au monde (3200 milliards de dollars fin 2015),Pékin est le plus gros détenteur de la dette publique américaine.
     
  • Ces succès n’ont cependant pas été enregistrés sans risques. La politique de l’enfant unique a ainsi conduit au vieillissement de la population. Par ailleurs, la Chine est devenue le plus grand pollueur au monde avec 25% du total des émissions de gaz à effet de serre. Le taux de croissance est redescendu en 2015 à 6,9% de la croissance moyenne mondiale, le plus faible jamais enregistré depuis 25 ans (bien qu’il demeure le double de la croissance mondiale au cours de la même année).
    La bourse de Shangai a connu l’été dernier un krach important, en raison de la bulle immobilière et du fort endettement des entreprises publiques et des collectivités locales. Le yuan fût dévalué et un plan de relance adopté  par le parti communiste chinois à travers le nouveau plan de développement 2016-2020.

2- Révision du modèle de développement:”garder la cage mais changer l’oiseau”

  • Le plan quinquennal Chinois 2016-2020 constitue un changement important du paradigme socio–économique à travers:

- La limitation  du taux de croissance à 6-7% combiné avec des politiques de développement durable, équilibré et inclusif.
- L’affirmation du marché intérieurcomme moteur de croissance à travers notammentdes augmentations de salaires et l’extension de la sécurité sociale, et ce parallèlement à l’assouplissement de la politique de l’enfant unique.
- Le développement de l’économie verte, des industries high-tech et du  secteur des services.
- La réforme du marché financier, l’assainissement des entreprises publiques, la lutte contre la corruption ainsi que le développement régional.

  • Ce plan ambitieux fut précédé par l’annonce, en 2013, du méga projet de la route de la soie reliant l’Asie à l’Europe par voies terrestre et maritime longeant le Méditerranée. Le projet, englobant 65pays et regroupant 63% de la population mondiale, génèrerait un  volume d’échanges de 2,5 milliardsde dollars en 2025 contre 400millions en 2012. L’Asian Infrastructure Investment Bank qui vient d’ouvrir à Shangai, dotée d’un capital de 100milliards de dollars, renforcera le statut de cette ville comme place financière régionaleet mondiale,où fut installée la banque des BRICS avec un capital de 100 milliards de dollars.
  • Du made in China au’’ made by China ‘’: la Chine a accompli des progrès importants en matière de développement technologique (lancement de satellites, télécom, informatique quantique, TGV, nucléaire....). Après la pose sur la lune du module de véhicule d’exploration lunaire en 2013, Pékin projette l’envoi d’une sonde en Mars en 2020 et  d’un homme sur la lune en 2025.
    De la politique de rattrapage, la Chine est passée à celle de l’innovation à travers la recherche et développement, le transfert de technologie des multinationales installées dans le pays et des acquisitions participations à l’étranger (IBM, Volvo, Aréva...). Les secteurs sont variés: voitures électriques, industries bio, économieverte, informatique, submersibles. La Chine dispose actuellement du premier parc éolien et de la plus grande production de panneaux solaires au monde. Grâce à une politique de “reverse technology” et de “reverse innovation” ce pays assure la fabrication de produits avec des rapports qualité-prix compétitifs, mieux adaptés aux besoins des pays en développement etaccompagnés de formules de financement attractives. L’Inde partage avec la Chine cette forme de technologie particulièrement en informatique quantique,médicaments génériques et production de voitures automobiles basiques.

3- Le triangle “Chindiafrique”: une nouvelle dynamique de création derichesses?(1)

L’Inde, dont la population dépassera celle de la Chine en 2025, est la 8e puissance économique mondiale en prix courants. Même si le taux de scolarisation demeure relativement limité, l’Inde forme chaque année autant d’ingénieurs que le  “stock” en la matière en France. Le taux de croissance qu’elle réalise est en nette progression (8% en 2014 et 7,3% en 2015).
New Delhi et Pékin ont fait sortir des centaines de millions de leurs populations de la pauvreté etde  la malnutrition.En dépit de leurs spécificités politiques et idéologiques, de leurs divergences et compétition, les deux pays -membres des BRICS- ont eu la sagesse de convenir d’un “partenariat global” touchant des secteurs aussi sensibles que l’énergie. En compétition en Afrique, Pékinet New Delhi y sont néanmoins complémentaires.
Le forum afro-indien s’est tenu en octobre 2015 à New Delhi, suivi du forum afro-chinois à Johannes bourg où Pékin a annoncé l’octroi d’une enveloppe de 60 milliardsde dollars, réservés notamment au financement de projets d’infrastructure.

  • Les deux pays ont développé leurs investissements au continent, objet d’une publication en 2007 de la Banque Mondiale au titre évocateur:“Africa’s  SilkRoadChina and India’s new frontier “.
    Tout en mettant en exerguela dynamique nouvelle queconnaît le continent, lesauteursdulivresur la “Chindiafrique” – cité en référence - soulignentnotammentle stock de capital humain et économique de ce trio avec 1,5 milliard d’habitants de chacun des cotés du triangle soit au total la moitié de la population, et de la force dutravail et duPIBau monde en 2030.

- le stock en capital humain, le potentiel de «reverse technology» et la possibilité pour l’Afrique de sauts technologiques(leap frogs).
- les avantages compétitifs de la Chine (hardware informatique, énergie solaire...) et de l’Inde (software, énergie éolienne, médicaments génériques....).
- les richesses minières en Afrique (1/3 des ressources mondiales), la dimension de son marché potentiel en énergiesrenouvelables,les voitures hybrides et les médicaments ciblés.
- le potentiel de développement agricole en Afrique: OGM, agrobiologie, mise en valeur de terres cultivables (dont 80% ne sont pas actuellement exploitées en Afriquesub-saharienne).

L’exploitation de ce potentiel implique notamment:

  • La consolidation de la paix, de la sécurité, de la stabilité et de la gouvernance au continent.
  • L’impulsion de la synergie de la coopération avec laChine et l’Inde  avec d’autres partenaires asiatiques, notamment le Japon, la Corée du sud et la Malaisie, dans le cadre d’un partenariat afro-asiatique, ouvert à d’autres espaces européens et américains, dans une économie mondialisée.

4- Perspectives pour laTunisie

  • De par sa position géostratégique et ses attaches civilisationelles au confluent de l’Afrique, du Moyen-Orient et de la Méditerranée, laTunisie gagnerait à s’investir dans cette nouvelle dynamique porteuse.
    Ceciimplique une présence plus active de notre pays en Afrique, l’encouragement de la maîtrisedes langues étrangères et la mise en valeur de notre expérience en matière de développement (planning familial, position de la femme, mise à niveau.....). Parallèlement,la Tunisie pourrait servirdetrait d’union et  de plateforme pour la production de biens et services à haute valeur ajoutée et à fort contenu  technologique.
    Le rôle de hub régional nécessite la mise en place d’une infrastructure logistique multimodale appropriée.
    Le partenariat entre laTunisie d’une part et la Chine et l’Inde d’autre part dans le domaine des engrais, les possibilités de commercialisation  des produitsagro-alimentaires et les complémentarités en matière de services, pourraient servir de pointde départ pour un partenariatmutuellementbénéfique.
  • Les succès de l’Inde et de la Chine constituent une source d’inspiration pour notre pays, en dehors de l’effet de masse, comme l’atteste  les progrès accomplis  parSingapour. Culte du travail, discipline, et persévérance constituent les traits caractéristiques des valeurs asiatiques amplifiées par la bonne gouvernance: esprit d’innovation, pragmatisme et  souplesse constituent  les ingrédients des réussites de la Chine, de l’Inde, de la Malaisie  et de Singapour.
  • En matière de développement, l’handicap de la Tunisie n’est pas le plus souvent le manque de fonds, mais le manque d’imagination, d’audace et de persévérance. Sachonscependant espoir garder.La position stratégique de notre pays n’est pas seulement un emplacement géographique,mais un atout à valoriser par un réseau d’accords, de partenariats, d’infrastructures et de ressources humaines perfectibles et mobilisables,dans le cadre d’unprojet porteur et  fédérateur de la Tunisie à laquelle nous rêvons, héritière  d’une civilisation millénaire et d’un mouvement réformiste avant-gardiste en Afrique et dans le monde arabe.

Mongi Lahbib

(1) Chindiafrique : la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain. Jean-Joseph Boillot, StanislasDembinski. Editions Odile Jacob, 2013.

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.