Taoufik Habaieb: L’autre Tunisie
Que pense de nous ce vaillant soldat qui, du haut de son mirador en plein désert, se tient en alerte, défendant la patrie, guettant jour et nuit terroristes et contrebandiers ?
Quelle image perçoit-il de ces politiciens à l’ambition démesurée et à l’ego surdimensionné qui se chamaillent sur les plateaux de télévision, manœuvrent en coulisses, multiplient les promesses qu’ils ne tiendront jamais, se terrent à la moindre épreuve ?
Quelle excuse peut-il trouver à ces élus de la nation qui désertent leur siège au Bardo, en commissions et en séances plénières, retardant l’examen de projets de loi cruciaux, bloquant l’adoption de crédits contractés, ne se pressant que devant les caméras de télévision, pour s’offrir en spectacle ?
Comment juge-t-il ces professionnels de la revendication sociale qui versent dans la surenchère et n’hésitent pas à encourager débrayages et arrêts de production ?
Comment apprécie-t-il ces prédicateurs extrémistes qui investissent les mosquées et s’y barricadent, les transformant en zones de non-droit.
Que pensent ces mères, ces veuves, ces fils et ces filles éplorés de martyrs, ces blessés, ces mutilés qui ont payé dans leur chair le prix du patriotisme, de la liberté et de la démocratie ?
Comment mériter le respect de ce petit cultivateur qui peine dans son lopin de terre pour se faire exploiter par la suite par les barons de la spéculation ? Ce petit pêcheur qui voit ses maigres prises soutirées au moindre prix par les gros bras à quai ? Cet artisan qui n’arrive plus à écouler ses produits et joindre les deux bouts ? Ce petit fonctionnaire, honnête et travailleur, qui voit ses supérieurs se la couler douce, se montrant indifférents aux doléances du citoyen?
Ce père de famille qui se saigne aux quatre veines pour nourrir les siens, trime pour les études de ses enfants... ?
Affligeant spectacle que celui qu’offre la classe dirigeante aux Tunisiens.
Essuyant en première ligne le feu nourri de l’ennemi, le soldat, le policier, le garde national, le douanier n’a d’autre demande qu’une couverture politique, un soutien. Au-delà des armes, équipements et autres moyens logistiques, il a besoin de sentir que le pays tout entier est engagé avec lui dans la guerre qu’il livre à l’ennemi. Une cohésion totale, une entente sans faille, une véritable unité nationale indéfectible.
Que de clivages destructeurs, de diversions démobilisatrices, de faux débats, de faux leaders, de faux héros, de faux experts ! Ils sapent le moral de la population, plombent l’avancée de la nation, jettent le discrédit sur la révolution. A force de focaliser sur l’accessoire, ils occultent l’essentiel.
Les Tunisiens sont dans le désenchantement. Des querelles intestines qui déchirent les partis, des ambitions dévorantes qui constituent l’unique ressort de nombre de « dirigeants », de la voracité des prédateurs des affaires, du foncier, de l’immobilier et du marché… Bref, de l’incivisme.
Face à ces usurpateurs de droits et ces fossoyeurs de rêves, les Tunisiens n’abdiquent pas.
L’autre Tunisie, largement majoritaire, ne renonce pas à ses acquis, ni à ses repères, gardant la foi. Ce soldat, ces veuves de martyrs, ces orphelins, ces petits commerçants, cultivateurs, pêcheurs, artisans, fonctionnaires, ouvriers, ces enseignants, ces jeunes, ces chefs d’entreprise et ces pères et mères de famille sont l’âme vivante de la Tunisie nourricière et matricielle.
Ils nous interpellent tous et nous rappellent à notre devoir de solidarité, d’unité et d’humilité au service de la patrie.
Seront-ils entendus ?
Taoufik Habaieb
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Merci Monsieur! Votre article me renvoie à plus d'un demi siécle en arrière quand nos journaux jouaient entre autre le rôle éducateur , orientateur et de formation. Votre discours est juste, ce que de loin, je considérais manquant, faisant faute et je me demandáis où est la théorie, la nòtre, qui consistait avant tout en un slogant qui disait: la vérité dans la parole et la sincérité au travail. Votre discours cher Monsieur Hbaieb devrait être pronocé par les responsables et les ¨acteurs ¨ politiques dans tous les coins du pays pour éclairer, unir, et inciter au travail pour le bien de tous. Mais hélas, comme vous le dites bien, ceux qui devraient le faire préfêrent le ¨show spectacle¨. Le probléme est que votre article ne será pas lu par ceux à qui est reellement dirigé et ils devraient le lire; mais hélas ils sont peut être analphabêtes. Est-il temps que le peuple, une fois encore dice sa parole? Merci Monsieur Hbaieb, demandez à vos collegues de langue árabe de publier votre discours et de faire de même mais hélas la presse, elle aussi s'est laissée emporter par je ne sais quel courant. serait ce celui de l'opportunisme? Pou ne pas dire plus. Excusez, je vous prie la pauvreté de mon language car plus d'un demi siécle j'ai mis la langue de Victor Hugo à còté:
L'article relate dans un style pur propre à si Taoufik le vécu quotidien. Mais que faire devant cet état désolant. Ya-t-il une thérapie qui pourrait nous y extraire. De mon point de vue, non. Les élections sur lesquelles nous avons porté beaucoup d'espoir ont été réduites en cendre en raison de la "voracité" des politiques qui se sont présentés au peuple en SAINTS porteurs de promesses et de "rêves". L'âge moyen du haut de notre pyramide politique, le bâtiment marin que constitue l'exécutif, avec plus d'une cinquantaine de ministres et secrétaires d'état qui forment le capitanat, l'inexpérience des uns, l'appétit des autres, font que le pays recule, rétrograde et le navire risque fort de chavirer. Certains évoquent avec raison la mise en place d'une économie de guerre. Pour cela il faudra instituer un cabinet de guerre qui aura pour tâche de décider et de trancher dans le vif. Ceci pourrait éventuellement nous sortir de notre léthargie.
Merci Si Taoufik. je ne puis rien dire d'autre.
Cher Taoufik, bonjour. lors de mon récent passage en Tunisie je suis tombé sur le titre de ton journal lors d' un débat sur la chaine Alhiwar et ce fut un agréable plaisir d' essayer de reprendre contact avec toi. Réagis pour pouvoir reprendre nos relations. Je suis pensionné et residant en Holland. Mes chaleureuses amitiés. Dr M Chehoudi