Une saga tunisienne
L’auteur de Un Prénom pour exister, qui vient d’être publié par L’Harmattan, est une figure bien connue en Tunisie. En effet, il s’agit de Chédli Laroussi,né en 1942, élu en 1975maire de sa ville natale, Médenine. Il fut ensuite ambassadeur, secrétaire d’Etat et ministre de la République tunisienne.
Comme l’indique son nom, Sidi, le personnage central de ce long romaninspiré d’une histoire vraie,est né à Médenine au début du siècle dernier. Convaincu de « l’existence d’un lien étroit entre le prénom d’une personne et son caractère »(p.23), ils’est donné une semaine de réflexion pour chercher un prénom à son premier enfant, né en septembre 1942.
Tout au long de cette semaine de répit, accompagné de son frère aîné, Ammi, et de son voisin, Jarou, Sidi parcourut alors la Tunisie de long en large, espérant trouver ainsi le prénom idéal.Presque tous les hauts lieux de l’histoire tunisienne furent donc visités et Sidi d’évoquer alors les événements les plus saillants,et les hauts faits des hommes illustres du pays,consignant au passage, ses réflexions et autres impressions dans son journal intime.Ainsi, sa promenade dans la grande palmeraie de Tozeur, « aux deux cents sources » lui inspira-t-elle cette réflexion :
« Une fois en voiture, Sidi n’avait de pensées que pour Ibn Chabbat el Touzri. Il venait d’avoir la confirmation sur le terrain de ce que lui avait appris son professeur au collège Sadiki sur le génie de cet hydraulicien qui avait su, par une gestion minutieuse des ressources en eau du Djérid, vaincre l’aridité du Sahara et transformer ses dunes de sable incultes en un immense verger verdoyant. Pour Sidi, il n’y avait pas de doute, les calculs complexes à la base de l’établissement du cadastre de l’eau par Ibn Chabbat el Touzri, il y avait de cela sept siècles, étaient la preuve que le Djérid avait donné à l’humanité le premier ingénieur hydraulicien des temps modernes ». (p.63)
A l’issue du 7e jour, comme prévu, Sidi décréta que son fils portera le prénom de Larouch, une combinaison de lettres provenant de trois noms :Magon, Hannibal et Ibn Chabbat el Touzri, que la jeune maman tira au hasard à partir de 7 feuillets.
La deuxième partie, intitulée ‘Dans la tourmente’,est consacrée à la biographie de Sidi et à son engagement politique. Elle comprend trois sections : ‘La résistance’, ‘La bataille de Médenine’, ‘Le premier choc’ et ‘L’éveil’. Déjà, dans la première partie, le lecteur a appris que Sidi est « plus déterminé que jamais à poursuivre sa lutte dans les rangs de la Résistance. » (p.47)
Effectivement Sidi correspondait régulièrement avec le Dr Habib Thameur, surnommé ‘le rétameur de Sadiki’, un de ses anciens camarades du collège Sadiki. A la suite des événements du 9 avril 1938, Sidi fut emprisonné pendant trois jours et son magasin fermépar les autorités coloniales, puis boycotté par ses clients habituels qui craignaient la délation et les représailles. En janvier 1943, le Dr Habib Thameur lui rendit visiteà Médenine pour l’informer du désir de Bourguiba de commencer par Médenine sa rencontre avec les militants mais « comme le Sud en tant que région militaire, lui était interdit d’accès, il l’avait chargé de venir à sa place pour exposer la position officielle du parti. » (p.122)
Un mois plus tard, le 20 février 1943, Médenine se trouva soudain prise en étau entre les forces de Rommel, basées à Mareth, et celles de Montgomery,qui s’est installé à Benguerdane.Fuyant les bombardements, Sidi se réfugiaalors avec sa famille dans ‘un logis de fortune’, une grotte dans la campagne environnante, qui devint « le lieu de ses réunions secrètes avec ses compagnons de la Résistance. (p.130)
La 2e Guerre Mondiale prit fin avec la bataille de Médenine. De retour dans sa ville natale, Sidi retrouva sa maison mais non son magasin qui fut totalement ravagé par les bombes. Malgré une situation matérielle de plus en plus précaire, Sidi put poursuivre néanmoins sa lutte pour l’indépendance et assurer en même temps à son fils Larouch l’éducation dont il rêvait, ainsi qu’on le devine dès le début de la 3e partie du roman qui s’intitule ‘Sur le chemin du savoir’.
De cette longue saga nous n’en dirons pas plus.Evidemment, nous laissons au lecteur le soin de la découvrir. Précisons toutefois que ce livre est dédié à « toutes celles et à tous ceux dont le présage du prénom n’a pas démenti la destinée. » et c’est tout dire. Ajoutons également que tout au long de cette remontée dans le temps, le lecteur trouvera une profusion de détails peu connus, mais enrichissants,sur l’histoire de la Tunisie, balisant la trajectoire non seulement de Sidi, constamment absorbépar son devoir de père et son engagement politique, mais aussi celle de son fils, Larouch. Il y découvrira également un poids de ‘vérité humaine’, une amitié sans faille, un réveil du printemps, qui pèsent lourd, dans cette saga, car le narrateur ne se situe pas en arrière des personnages. Comme acteur et conteur omniscient et omniprésent, mais aussi lien entre le passé et le présent de la Tunisie, il relate avec minutie des événements historiques, des souvenirs d’adolescence, des expériences à vif,des joies et des frustrations, tissant avec patience les observations et les méditations, mettant à nu les états d’âme et les ressorts du comportement humain.
Dans la mesure où la projection autobiographique produit souvent un effet sécurisant, qu'elle se nourrit de souvenirs longtemps enfouis, et qu'elle se confond tout naturellement avec la vie, le lecteur appréciera à juste titre non seulement cette belle chronique sur notre pays mais surtout l’abnégation et la forte implication du personnage central à la fois dans l’éducation de son fils et dans sa lutte pour l’indépendance.
Chadli Laroussi, Un prénom pour exister, Préface de Moncef Laroussi, L’Harmattan, Paris, 2016, 392 pages.
A lire absolument.
Rafik Darragi
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