Sfax à travers ses deux siècles d’or : les XVIIIe et XIXe
Comprendre Sfax et sa région d’hier, à travers son histoire, sa géographie, son économie et son organisation, pour appréhender son rôle aujourd’hui et explorer ses perspectives de demain: Ali Zouari nous en livre des clés instructives. Son ouvrage d’érudit, fort de plus de 464 pages, intitulé Sfax aux XVIIIe et XIXe siècles, Chronique d’une ville méditerranéenne, alterne récits, analyses, commentaires d’une grande précision et pertinente vision.
auteur est l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de Sfax. Il lui a consacré une thèse de doctorat érigée en référence et toute sa carrière de chercheur à l’Institut national du patrimoine (INP), d’abord en tant qu’inspecteur pour le sud-est tunisien. On lui doit le Musée des arts et traditions populaires Dar Jellouli, une étude sur les relations commerciales entre Sfax et le Levant aux XVIIe et XIXe siècles (INAA, 1990), et de nombreuses publications dans des revues d’histoire. De tous les historiens, anciens et modernes qui ont travaillé sur Sfax, il se distingue par sa rigueur et son accès à des documents rares, puisés aussi bien dans les Archives nationales et le fonds de l’INP que dans les archives familiales (les Nuri, Sallami, Jallouli...), les documents administratifs, les archives de notaires et autres sources précieuses.
Un voyage aux multiples découvertes
L’ouvrage est structuré en six grands chapitres, les uns aussi denses et documentés que les autres. Ali Zouari commence dans les trois premiers par planter le décor : le site et ses influences sur la vie quotidienne, le cadre urbain, l’organisation administrative et judiciaire. Puis, il aborde les services urbains et les mécanismes de la circulation des biens, avant de terminer par l’analyse des activités économiques. Tout est passé au peigne fin. On y découvre, dans le cadre urbain, les différentes trames de l’aménagement de la médina, l’organisation des souks et de leurs annexes en qayssariyya, fondouks, oukalas, rahba, les extensions extra-muros (rbads...).
Dans la partie réservée à l’organisation administrative et judiciaire, l’auteur détaille le système caïdal, la fonction du caïd et de ses agents auxiliaires, le capitaine du port, les fermiers (lazzamas), la garde de sécurité... Puis, il aborde la justice charaïque : cadi, muftis, notaires et la justice caïdale, beit al mal, les habous...
Les services urbains restituent la voirie de l’époque, le ravitaillement en eau, les fours et boulangeries, les services d’hygiène et de santé (bains publics, guérisseurs et établissements hospitaliers...). Quant aux mécanismes de la circulation des biens, on apprend beaucoup sur le régime de la propriété pleine et entière, les moyens d’acquisition de la propriété, la mobilité des biens, l’évolution des concessions et les différents systèmes d’association. Mais, c’est sans doute la dernière partie du livre, consacrée aux activités économiques, qui éclaire le plus le présent de la région. L’itinéraire historique du commerce sfaxien, les caractéristiques et les instruments du commerce, l’agriculture, ses modes et ses techniques, la pêche, l’artisanat, les corporations et les différents métiers : textile, cordonnerie, parfumerie, bijouterie, armurerie, constructions navales...
Des apports enrichissants
En choisissant les XVIIIe et XIXe siècles pour son étude, Ali Zouari a limité cette longue période à deux dates significatives : 1705, instauration de la dynastie husseinite, et 1881, celle du protectorat français. Deux siècles ou presque qui ont marqué Sfax à travers des évènements qui y ont laissé leurs empreintes, façonné les contours de la région et favorisé son développement. «De nouvelles conjonctures favorables, apparues successivement dès le XVIIIe siècle, souligne l’auteur dans sa conclusion, permirent à Sfax, déjà forte du legs du XVIIe siècle, de mieux se reconstruire et de se développer davantage dans une dynamique d’enchaînement des causes et des effets. Par exemple, le développement économique, à chaque étape, lui attirait des immigrants musulmans, tunisiens et tripolitains et, plus tard, au XIXe siècle, à partir de 1824, des immigrants de confession chrétienne et juive. Les immigrés ont favorisé l’extension de la ville à l’extérieur des remparts, changeant ainsi son aspect urbain et ont apporté leur soutien aux activités urbaines».
Il détaillera longuement ces apports bénéfiques de diverses formes telles que les associations entre les capitaux sfaxiens et les éleveurs ruraux de l’arrière-pays, les contacts avec la capitale et le monde méditerranéen, l’essor du commerce en moteur économique. Bien intégrée dans son univers tunisiens, ne faisant guère partie à part, Sfax, puis dans son patrimoine institutionnel, social et culturel, des éléments vivifiants et régénérateurs qui la rendent plus déterminée à faire face aux dangers et à se prendre en charge.
Une riche bibliographie et des annexes utiles
Deux grands plus dans cet ouvrage : l’abondante bibliographie qui approfondit la lecture et éclaire le chercheur et les nombreuses annexes établies pour la plupart par l’auteur lui-même. On y trouve notamment la liste complète des caïds de Sfax entre 1709 et 1872, les forteresses armées, les Fouartis ayant exercé la magistrature et la jurisprudence, le Habous de la Grande mosquée, les propriétés immobilières des frères Nouri, les biens accordés par Hammouda Sallami à ses enfants, etc. Le mérite d’Ali Zouari est d’avoir offert à travers ce livre un document exceptionnel par sa méthodologie, son érudition et sa rigueur qui restitue un pan d’histoire et invite à la réflexion. Il se lit facilement et nous interpelle à chaque paragraphe.
Sfax aux XVIIIe et XIXe siècles,
Chronique d’une ville méditerranéenne de Ali Zouari
Coédition CPU et Med Ali Edition, 2016, 464 pages
Aquarelle de Charles Lallemand, tirées de son livre La Tunisie, publié à
Paris en 1890 et reproduit par Appolonia, Tunis.
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