Opinions - 14.08.2016

Nabli : Sauver l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie en la protégeant des abus

Nabli : Sauver l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie en la protégeant des abus

Par Mustapha Kamel Nabli - L’affaire est grave. Elle n’est pas grave seulement parce qu’elle pose la question de confiance dans les institutions publiques et de la probité des responsables publics, surtout dans un contexte de difficultés économiques pour le citoyen moyen. Elle est grave aussi parce qu’elle risque de remettre en cause le principe de l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), un acquis fondamental depuis la Révolution. Il fait partie des acquis démocratiques, en renforçant une moindre concentration du pouvoir.

En quoi consiste l’affaire ? Le Conseil d’Administration de la BCT nouvellement constitué depuis l’approbation de la nouvelle loi No 2016-35 d’Avril 2016 concernant cette institution a considéré, délibéré et approuvé le principe d’une augmentation énorme des salaires des plus hauts responsables : Gouverneur, Vice-Gouverneur et Secrétaire Général. Ces salaires auraient été multipliés par cinq ou plus. Ils dépasseraient de loin les salaires de presque tous les hauts responsables publics, y compris ceux du Président de la République et du Chef du Gouvernement, sans parler des Ministres ou des autres chefs d’organismes et autorités de régulation.
 
C’est au nom du principe d’indépendance de la BCT que cette loi a prévu que les rémunérations des hauts responsables de cette Institution seront fixées par le Conseil d’Administration (article 55). La composition de ce Conseil a été déterminée de manière à permettre le maximum d’indépendance par rapport à l’Exécutif.
 
Rappelons que l’indépendance de la Banque Centrale a pour objectif essentiel de permettre à cette institution de conduire la politique monétaire du pays sans interférence des intérêts politiques immédiats, qui ne sont pas nécessairement compatibles avec l’intérêt à moyen et long terme du pays en matière de stabilité monétaire et financière. L’autonomie de la BCT en termes de rémunération, comme le mandat fixe des hauts responsables, est destinée à protéger ces responsables de la pression politique.
 
Il est alors facile, et pour la plupart même évident, de conclure que l’effet immédiat, et peut être le seul concrètement, de ce statut d’indépendance de la BCT a été de permettre des augmentations exagérées, sinon irresponsables, de la rémunération de ses dirigeants. Il en découlerait presque automatiquement une remise en cause du principe d’indépendance de la BCT, qui est autrement plus fondamental que la rémunération des responsables. 
 
Il est naturel que le Conseil d’Administration se saisisse de la question, comme prévu par la Loi, et de délibérer sur la rémunération des hauts responsables. Il est même compréhensible qu’il considère que ces rémunérations sont faibles, et de proposer de les ajuster. Il est à noter que d’après la loi le Conseil d’Administration délibère sur ces questions de rémunérations en l’absence des personnes concernées. 
 
Mais la défaillance grave du Conseil est dans la manière dont il a posé le problème et répondu à ces questions. En effet les membres du Conseil auraient pris la rémunération des premiers responsables des banques publiques commerciales comme référence et jugé que les premiers responsables de la BCT doivent être rémunérés de manière similaire ou bien aussi avantageuse. En suivant cette logique les membres du Conseil d’Administration ont failli à leur rôle et montré un manque flagrant de jugement de la chose publique. Ils ont d’abord comparé la BCT à une institution commerciale (publique ou privée), ce qui constitue une erreur de taille. La BCT est avant tout une autorité monétaire publique, et ne peut en aucune manière être assimilée à une entreprise commerciale. Ensuite ils ont assimilé des responsables d’une autorité publique à des dirigeants d’une entreprise commerciale. Les hauts responsables de la BCT sont avant tout des responsables publics régis par les principes et les règles du secteur public. Ils peuvent se différencier, selon des critères et des modalités à déterminer, mais leur cadre de référence est clair. Ce principe doit continuer à s’appliquer même dans le cadre de l’indépendance de l’Institut d’Emission.
 
Cette erreur, cette faute, du Conseil d’Administration ne doit pas être utilisée pour remettre en question l’indépendance de la BCT, qui doit être maintenue et protégée. Mais cette faute doit être sanctionnée, afin de montrer qu’indépendance ne veut pas dire irresponsabilité et « non-accountability ». C’est dans ce cadre que je propose deux actions.
 
La première est la démission collective et immédiate de tout le Conseil d’Administration, qui a démontré une incapacité manifeste à apprécier judicieusement l’intérêt public. 
 
La deuxième est que la Commission des Finances de l’ARP auditionne le plus tôt possible le Gouverneur et le Vice-Gouverneur à propos de cette affaire afin de déterminer leur rôle et responsabilités. D’ailleurs il est étonnant que l’ARP ne se soit pas déjà saisie de la question !
 
C’est à ce prix que l’on pourra consolider le principe de l’indépendance de la BCT tout en la protégeant des excès et abus.
 
C’est après une longue hésitation, que j’ai décidé en tant qu’ancien Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, de m’exprimer sur cette affaire. J’estime que je ne suis pas tenu par l’obligation de réserve pour une telle question d’intérêt public. Ma plus grande crainte est que cet évènement soit utilisé pour remettre en cause le principe de l’indépendance de la BCT. J’estime que c’est par des actions fortes contre les abus que l’on peut protéger la BCT et son indépendance. L’enjeu est d’importance !
 
Mustapha Kamel Nabli
 
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9 Commentaires
Les Commentaires
Rbz - 15-08-2016 05:30

Merci. M. Nabli

Hammami - 15-08-2016 12:49

Ce monsieur se veut montrer intéressant en soulevant ce problème en inventant une nouvelle théorie de public commercial et public public qu'est ce qu'il a fait lorsqu'il était gouverneur de la BCT ou ministre du développement avec Ben ali pour le bien de la tunisie

Mohamed Bornaz - 15-08-2016 17:20

Il s'agit d'un échange de bons procédés, ignoble, stupide et irresponsable: on donne au gouverneur et à son adjoint une forte rémunération et on s'arrange pour permettre aux membres du conseil si attentionnés de disposer d'une belle enveloppe de jetons de présence. Il s'agit d'une opération indigne, stupide et condamnée à être annulée, sans quoi la Tunisie, à juste titre brulera, car personne ne permettra une telle infamie. MM Bornaz

SASSI SIHEM - 15-08-2016 20:34

personnellement je trouve que Monsieur Enabli est quelqu'un de Responsable, il pèse ses actes et ses paroles, c'est UN GRAND HOMME Il est honnête et fiable, ce qui est devenu rare à présent, il faut l'écouter

Naceur Fantar - 16-08-2016 01:14

Honte à tous les charognards indignes, qui persistent et signent!

selwa - 16-08-2016 21:44

Si Mostapha tire dans le mille! Ce sont des citoyens comme lui qui devraient servir encore l’État et garantir la probité de la fonction publique.

Amira Benabdallah - 17-08-2016 09:40

Il ne s'agit pas d'un abus, mais d'un crime. la gravité de ce crime se mesure à l'aune de la grande responsabilité que ces responsables ont obtenue, et de l'énormité de la faute morale qu'ils ont commises. Il s'agit bien d'une faute morale, de la part de personnes sensées bénéficier de la confiance d'un pays en ruines, supposée les conduire à en user avec patriotisme et discernement. Or tous gouverneur, vice gouverneur et membres du Conseil d'administration se sont servis et n'ont pas servi le pays. Justement qu'attend le pays pour s'en débarrasser et pour les juger? Que le tunisien se révolte et vienne les sortir lui même?

Chaabouni Rafik - 21-08-2016 10:00

L'erreur dans cette histoire est d'avoir voulu croire que la BCT pouvait se transformer en une banque centrale "prédatrice" sur le modèle de la FED, sans pour autant être adossée à une structure monétaire forte. Le fait que nous nous retrouvions dans des schémas de dérives gravissimes comme nous le constatons aujourd'hui , par les éléments que Mr M. Nabli met en exergue, suppose que ce n'est que "l'arbre" qui cache la foret. D'ailleurs ,allez jeter un coup d'œil du côté de cet emprunt obligataire "structuré" par deux fameuses banques" Vautour"...... Du coté des accords tripartites FED-BCT-BCE et toute l'agitation politicienne de couloir qui en a découlé......Ainsi que tout le manège diplomatique en cours, avec tous ces hauts fonctionnaires qui pointent le bout de leur nez à Tunis pour oui ou pour un non( pour un oui surtout)....Constatez le timing parfait entre l'éviction du "soldat" ESSID , l'annonce de l'émission obligataire et de son succès, puis dans la foulée de la nomination du jeune et "tendre" proche du Président BCE au poste de PM. Pour finir, pensez vous franchement que l'engouement des différents intervenant dans ce dossier, qui sont pour la plupart d'entre eux en pleine campagne présidentielle, sont à ce point inquiet de l'avenir "démocratique "de la Tunisie???.....Ou ont ils un intérêt à ce que la Tunisie obtienne de grandes quantités d'argent frais par des articulations douteuses ????? Une seule chose semble certaine. Nous sommes entrain d'endetter des générations entières, pour financer les campagnes politiciennes de nos cher "amis", et enrichir nos politiques qui ont perdu les valeurs de l'homme d'état.

kamel sahli - 22-08-2016 08:12

c'est hold up de la banque centrale que dieu nus protége de ces affamés irresponsables. ils ont oublié que nos salaires sont des credits qui seront payés par nos enfants. c'est la honte

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