Hommage à Hassouna BEN AYED
Évoquer le souvenir de Hassouna Ben Ayed, c’est retracer l’histoire de la Néphrologie tunisienne.
Clinicien formé à l’Ecole des grands internistes de la première moitié du 20eme siècle, il est à l’origine, en Tunisie, d’une floraison de spécialités médicales et de la promotion de nombreux spécialistes.
Externe des hôpitaux de Paris en 1952, puis Interne en 1957, il a été l’élève d’éminents professeurs parisiens, parmi lesquels Jean Lenègre en cardiologie, Jacques Caroli en gastro-entérologie, Lucien de Gennes en endocrinologie et Jean Hamburger en néphrologie. C’est dans le service de ce dernier qu’il a le privilège de participer à la mise en fonction du premier rein artificiel en France.
De retour à Tunis, il dirige le service de médecine générale à l’hôpital Charles Nicolle.
En 1963, il réalise la première dialyse péritonéale.
Maître de conférences agrégé de l’université française en 1966, il fait partie du corps enseignant de la faculté de médecine de Tunis fondée en 1964.
En 1967, il est élu président de la Société tunisienne des Sciences médicales, En 1968, il introduit le premier rein artificiel en Tunisie.
Très vite, son service devient l’un des plus prisés.
Avare de paroles inutiles, sa courtoisie naturelle et sa noblesse de coeur et d’esprit lui attirent de nombreux élèves. Les plus proches parmi eux, le Pr Hédi Ben Maïz et le Pr Aziz El Materi qui l’ont côtoyé depuis 1974, le décrivent comme un patron attentif, passionné pour son métier, acharné au travail, exigeant au point de la perfection. Ses nombreux élèves sauront mieux que moi parler de ses écrits, de son action, de ses mérites et aussi de ses qualités scientifiques et humaines qui ont fait de lui un patron tant apprécié qui sait transmettre aux jeunes ses connaissances et son expérience.
Doyen de la Faculté de médecine de Tunis, de 1976 à 1985, il assure cette fonction, non comme une ambition, mais un service et s’y consacre avec le sens des responsabilités qu’on lui connaît. Face au nombre sans cesse croissant d’internes et de résidents, il instaure une sélection, non plus sur la moyenne générale obtenue pendant les années d’études à la Faculté comme cela se
faisait auparavant, mais sur la base d’un concours national.
En 1982, il organise sous l’égide de la Société internationale de Néphrologie un cours supérieur dans cette spécialité.
En 1988, il est élu membre correspondant de l’Académie nationale de Médecine de France.
Ma première rencontre avec Hassouna Ben Ayed remonte à 1946, année de notre baccalauréat au Lycée Carnot, lui venant de l’École Normale où il avait effectué ses études secondaires, moi, venant du Collège Sadiki.
Notre dernière rencontre date du 2 février 2010.
Dix-sept jours plus tard, je fus averti qu’à la suite d’une chute survenue chez lui, il avait été hospitalisé à Mongi Slim, à La Marsa, dans le service de réanimation du Pr Mohamed Salah Ben Ammar. Le lendemain, dimanche 20 février à 9 heures, j’étais à son chevet. Une jeune dame, sa nièce, lui humectait le front avec un tampon de gaze. À ma vue, un sourire bienveillant illumina son visage. Il essaya de se redresser sur son lit, en prononçant quelques paroles à peine audibles. Je le retenais d’une main dans sa position, et, pour lui éviter tout effort, je me lançais dans l’évocation de certains souvenirs de jeunesse. Je lui rappelai notre premier
voyage en France en 1948, sur le paquebot Le Chanzy, la mer si calme près des côtes tunisiennes qui s’était soudainement déchaînée, le gonflement inquiétant des vagues à la nuit tombante, le roulis du paquebot qui nous fit découvrir les désagréments du mal de mer…
Hassouna Ben Ayed, souriant, le regard candide exprimant une certaine gaieté, m’écoutait, accompagnant mes paroles d’un mouvement de la tête. Je poursuivais mon récit, décrivant notre arrivée à Marseille, encombrés de nos lourds bagages, notre recherche de la gare Saint Charles qui pourtant était si proche. J’évoquais enfin le moment difficile de notre séparation, lui prenant le train de Paris, moi celui de Strasbourg pour un trajet de dix-sept heures.
Je le quittais au bout d’une quinzaine de minutes, étreint par l’émotion de le voir dans cet état. Je ressentais néanmoins une certaine satisfaction de lui avoir, quelque peu, fait oublier son mal et gardais l’espoir de le voir bientôt remis sur pied.
Hélas, le surlendemain, 22 février, j’apprenais son décès. Dieu en a voulu ainsi.
Avec son départ, je perds un ami de longue date, ses élèves perdent un grand patron et la médecine tunisienne perd un clinicien hors pair, un médecin emprunt d’humanisme mais aussi un homme de culture et de bon sens qui croit fermement aux valeurs fondamentales.
Hassouna Ben Ayed nous a quitté dans la sérénité, la conscience tranquille et l’âme apaisée, nous inspirant cette belle parole de Saint Augustin:
«Ne pleurez pas si vous m’aimez. Ma tâche est accomplie».
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