News - 18.08.2016

Noureddine Boutar et Adel Nakti: Comment nous avons couvert la guerre d’Irak

Noureddine Boutar et Adel Nakti: Comment nous avons couvert la guerre d’Irak

Le quotidien Ech-Chourouk doit-il sa forte notoriété et large audience à l’invasion du Koweït, puis la guerre d’Irak? Son fondateur en 1987, feu Slaheddine El Amri, féru de grand journalisme à l’égyptienne et la libanaise, avait commencé par lancer en 1981 l’hebdomadaire Al Nawar. Epousant immédiatement la vague populaire favorable à l’Irak, il ne manquera pas de nourrir ce sentiment nationaliste panarabe par ses grandes manchettes en première page.

Pour couvrir en direct cette guère, alors qu’Al Jazeera et les réseaux sociaux n’existaient pas, il a eu l’initiative de dépêcher en Irak deux jeunes et brillants journalistes: Noureddine Boutar et Adel Nakti. Leurs reportages mais aussi les interviews qu’ils ont pu recueillir auprès de hauts responsables irakiens feront fureur. Reporters de guerre, ils brilleront de courage et d’analyses à chaud.

Boutar est aujourd’hui à la tête de Radio Mosaïque FM. Nakti dirige la communication de l’Utica. Vingt-cinq ans après, ils nous livrent, à quatre mains, leur témoignage.

Des motivations profondes

Ces évènements interpellaient notre conscience, nous poussaient avec force à être au plus près de l’évènement et de la vérité, pour en témoigner en tant que journalistes profondément attachés à notre profession. La chaîne de télévision américaine CNN était pratiquement la seule source d’information pour les Tunisiens, cloués devant le téléviseur. Ils étaient tous à l’affût des reportages en direct de Peter Arnett relayant les bombardements et les destructions qui mettaient Bagdad à feu et à sang. Cela ne nous dissuadait pas, mes confrères et moi, d’aller au bout de notre mission. Nous avions à l’esprit ces propos de notre doyen et maître, feu Slaheddine El Amri, qui nous avait dit un jour: «Cette guerre constituera à n’en point douter un tournant dans l’histoire des Arabes; elle ne manquera pas de susciter dans toute la région des évènements d’une extrême gravité dont les générations futures porteront longtemps les stigmates... Si j’avais votre âge, je n’hésiterais pas une seule minute à aller là-bas...»

Quelques semaines après, nous prîmes, mon confrère Adel Nakti et moi, la décision de rejoindre la capitale irakienne, Badgad.

Ce fut l’odyssée

La route menant à Bagdad n’était pas ouverte aux voyageurs. Point de visa pour se rendre en Irak. Pour s’en procurer, il fallait passer obligatoirement par l’ambassade irakienne en Jordanie, seule habilitée en la matière. Nous dûmes, Adel Nakti, Jamel Arfaoui et moi, faire le déplacement jusqu’à Amman pour se faire délivrer ce précieux document. Il fallait faire la queue chaque matin au milieu d’une nuée de journalistes venant de tous les pays du monde, avant de présenter la demande d’obtention des visas. En attendant, nous avions entrepris de prendre contact avec l’ambassade de Tunisie où nous apprîmes de la bouche du consul, Moncef Ben Fraj, que de nombreux Tunisiens résidant en Irak seront évacués en Tunisie via la Jordanie. Nous avions alors entamé notre travail à partir des frontières jordano-irakiennes; il fallait faire la navette à pied entre le point de contrôle Rouiched, en Jordanie, et l’autre point de contrôle irakien, Tribil. C’est ainsi que nous pûmes approcher des centaines de Tunisiens évacués d’Irak et recueillir leurs témoignages sur le déroulement des évènements et nous enquérir des circonstances dans lesquelles s’effectuait leur évacuation de ce pays en guerre où, fuyant les combats, ils ont été obligés d’abandonner leurs résidences et tous leurs biens.

A Bagdad

Ce n’est que deux semaines après que nous reçûmes nos visas pour l’Irak, et entreprîmes de faire le voyage jusqu’au point de contrôle de Rouiched à la frontière jordanienne, avant de rallier la localité de Tirbil où nous attendîmes des heures et des heures avant de trouver un moyen de transport. Devant nous, défilaient alors des convois de journalistes occidentaux pourvus de vivres et d’équipements, sans que cela entame notre résolution à accomplir notre mission en ne comptant que sur le très peu de moyens dont nous disposions. Ce n’est qu’à la tombée de la nuit que nous avions trouvé des places à bord d’un bus militaire avec des soldats devant relayer des équipes au point de contrôle. Le voyage ne fut pas de tout repos. Il fallait parcourir un trajet de 600 kilomètres au milieu des bombardements de la coalition militaire visant des convois de carburant et de ravitaillement empruntant le même axe routier en très mauvais état.

C’est en pleine nuit que nous avions rejoint Bagdad en flammes. Nous avions dû déambuler dans la ville pendant plusieurs heures avant qu’une patrouille de l’armée populaire n’intercède en notre faveur auprès d’un automobiliste de passage. Il a consenti à nous prendre et nous ramener jusqu’à l’hôtel Errachid, refuge de toutes les délégations de presse. Le lendemain, nous avions entamé nos reportages dans des conditions difficiles.

Pas d’électricité, pas de téléphone par suite des frappes aériennes des forces de la coalition ayant visé les centrales électriques et les centres de télécommunications. Mais nous avons trouvé de l’aide auprès de nos confrères de l’Agence palestinienne de presse Wafa, équipés de moyens de retransmission via des satellites ainsi que d’un mini-générateur électrique.

Notre travail consistait à donner un aperçu des évènements en direct dans Bagdad et aussi dans certaines agglomérations alentour. Nous avions constaté de visu l’ampleur des dégâts et des destructions causés par la guerre qui, au-delà de l’horreur, de la tragédie et de la désolation, est intéressante à observer et à en tirer les leçons aux plans humain et professionnel notamment.

 

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