Les quadras arrivent!
La société tunisienne est-elle devenue une simple addition de corporatismes et d'égoïsmes? En ces temps troublés où le gouvernement, pris dans le tourbillon des revendications et des protestations en tous genres, tente avec l’énergie du désespoir de sortir la tête de l’eau, où les enfants indignes de Thémis et dans une moindre mesure, ceux d'Hyppocrate réclament le droit de se soustraire à leur devoir fiscal, où l'Ugtt poursuit en toute impunité son travail de sape de l’économie à coups de grèves et de sit-in, où le bon sens est devenu la chose du monde la moins partagée, comment ne pas céder à la sinistrose ambiante, sinon en se réfugiant dans la méthode Coué.
Et me voici parti à la chasse aux bonnes nouvelles, à tout ce qui peut corroborer mon optimisme. Il faut positiver, ne voir que la moitié pleine du verre, ne m’intéresser qu’aux trains qui arrivent à l’heure. Je me console en me disant que cela aurait pu être pire, en pensant aux habitants d’Alep et de Mossoul. Pour me remonter le moral, je me surprends parfois à fredonner le chant des révolutionnaires français, «ah, ça ira, ça ira», indifférent à tout ce qui se passe alentour, comme l’orchestre du Titanic qui continuait à jouer alors que le paquebot sombrait dans les eaux glacées de l’Atlantique.
Divine surprise : voilà que Béji Caïd Essebsi, comme par enchantement, sort de son chapeau, après des semaines de consultations, le nom de Youssef Chahed, inconnu au bataillon, il y a quelques semaines. Signe particulier : il n'a que 41 ans. Dans les clameurs soulevées par les crises à répétition que le pays connaît depuis six ans, ce détail apparaît comme une broutille. Comme toujours, la presse passe à côté de la plaque. On parle de népotisme. Son père serait le cousin au second degré du beau-frère de la sœur du président. L’inénarrable Hamma, égal à lui-même, prédit au nouveau locataire de la Kasbah un échec cuisant «comme son prédécesseur et probablement son successeur» tant qu’il n’aura pas adopté le programme du Front populaire. Pourtant pour un pays habitué depuis des décennies à être gouverné par des gérontes, c’est un évènement capital. Chahed est le plus jeune chef de gouvernement depuis l’indépendance. Il manque certes d'expérience, mais ce handicap est largement compensé par la fougue et le volontarisme dont seuls les jeunes sont capables. Et surtout, il est mieux à même de comprendre les grands défis de son temps. Une révolution dans la révolution. Avec sa nomination, notre pays se met aux nouveaux standards occidentaux : Matteo Renzi, Premier ministre italien (43 ans), Alexis Tsipras, Premier ministre grec (41 ans), Justin Trudeau, Premier ministre canadien (43 ans).
Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. La désignation de Chahed a enclenché un processus que tout le monde souhaitait sans trop y croire. Par petites touches, à la manière des impressionnistes, la nouvelle classe politique sort des limbes. Les quadras commencent à investir le terrain. Ils sont au gouvernement, dans les cabinets ministériels, dans l’administration régionale. C’est peut-être la fin d’une anomalie démographique. Pourquoi l'âge en l'occurrence est-il si important ? Un pays de jeunes dont l’âge médian est de 31 ans ne peut plus continuer à être gouverné par une classe politique fossilisée qui s'obstine à regarder vers l'avenir, les yeux rivés sur le rétroviseur, incapable qu'elle est de s’adapter à son temps, et a fortiori de se projeter dans l’avenir. Cerise sur le gâteau : nous avons sauté une génération, celle des sexagénaires et des septuagénaires, qui se bousculaient au portillon du pouvoir
Pour avoir omis de renouveler leur personnel politique, on sait ce qu’il est advenu de l’Union Soviétique et des Démocraties populaires. Leurs régimes ont été balayés en quelques mois parce que les gérontocraties qui les gouvernaient n’avaient pas su réformer le système communiste, ni répondre aux attentes de leurs populations. Il reste à Chahed à justifier son ascension fulgurante en réussissant là où ses prédécesseurs ont échoué. Malgré ces forces d’inertie que représentent les syndicats, les politiciens au rancart et les corporatismes étriqués.
Hédi Béhi
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Comme toujours un "bon point " pour si el Hédi, pour sa bonne lecture du marigot politique ambiant, et son envie (tout comme moi), de ne voir que la moitié pleine du verre, sinon c'est la déprime assurée, quant aux quadras, bienvenue la fougue, et la jeunesse, c'est peut-être le carré d'as gagnant, je leur conseille cependant , de se méfier des politicards et leurs plaidoyers de comptoir, destinés plus à impressionner, qu'à fournir des idées, et des alternatives. En attendant, je propose à la classe politique, qui n'a de classe que le nom, de méditer cette réflexion de Cioran : "ne nous suicidons pas tout de suite, il y a encore quelqu'un à décevoir"