Mahmoud Triki - Enseignement supérieur: Pour une nouvelle dynamique du système
A ce jour, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique demeure à la fois le régulateur et l’opérateur du système. Il prend toutes les décisions relatives au développement et à la gouvernance des universités publiques qui constituent l’essentiel des capacités d’accueil du système universitaire du pays. Par ailleurs, la loi n°2000-73 du 25 juillet 2000 régissant la création et le développement des universités privées oblige ces dernières à aligner leurs programmes à ceux des universités publiques les privant ainsi de toute initiative d’innovation. Enfin, la loi 2008-19 du 25 février 2008 limite le développement des universités privées en leur interdisant l’appellation « université » et en les limitant à une seule implantation géographique et à une seule spécialité.
Cette situation de centralisation et de standardisation des programmes à outrance est à l’origine de la dégradation du système dans son ensemble et du taux élevé de chômage parmi les diplômés du système.
Opportunités de Développement
Le système universitaire doit inscrire sa stratégie de développement et ses programmes dans le cadre de l’évolution de « l’ordre économique mondial » dont les principales caractéristiques comprennent :
- Une économie fondée sur le « Savoir » faisant du capital humain le principal déterminant du niveau de compétitivité des entreprises et des pays. Il s’est développé « un marché international du savoir » dominé par les universités nord-américaines et européennes, duquel la Tunisie se trouve totalement absente.
- La globalisation des marchés créant le besoin pour des programmes multiculturels (Global Education) pour une préparation des diplômés à des carrières à l’international. La majorité des universités nord-américaines et européennes ont mis fin au cloisonnement de leurs programmes et exigent de leurs étudiants d’effectuer une partie de leurs études à l’étranger. Elles ont par ailleurs développé des réseaux de partenariats avec des universités étrangères pour l’organisation de programmes d’échanges d’étudiants et de professeurs. Certaines ont ouvert des campus, principalement en Europe et en Asie (Chine et pays du Golfe), pour étendre leurs marchés et/ou pour offrir à leurs étudiants la formation complémentaire en dehors de leurs pays d’origine.
- La rapidité des changements technologiques créant le besoin (1) pour des révisions continuelles des programmes assurant ainsi l’intégration des nouvelles technologies et (2) pour l’organisation de programmes de perfectionnement de cadres (Executive Education).
- Les percées dans les domaines des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), réduisant les distances et permettant des innovations dans les méthodes pédagogiques et d’enseignement à distance.
La Tunisie a tous les atouts pour profiter des opportunités offertes par ces mutations et po devenir une destination éducationnelle de référence. A cette fin, et sans prétendre donner une feuille de route pour la réforme du système, il est nécessaire de réviser la gouvernance du système et d’introduire de nouveaux régimes de développement du secteur, Il s’agira notamment de :
- Reconsidérer le rôle et la mission du ministère : Le ministère doit cesser d’être à la fois régulateur et opérateur du système. Sa mission devrait consister à définir la politique du pays en matière d’enseignement supérieur et de recherche scientifique, à veiller à l’application de sa politique pour éviter les abus des institutions tant publiques que privées, et à être le promoteur du développement du système et le facilitateur pour l’adoption de projets susceptibles de mieux répondre aux aspirations des parties concernées. L’évaluation des programmes revient aux organismes d’accréditation internationaux et nationaux qui restent à développer. Le dernier mot revient aux recruteurs des diplômés.
- Décentraliser et donner aux universités davantage d’autonomie de gestion académique et financière :
- Sur le plan académique, permettre aux universités (1) de développer leurs programmes en fonction des besoins du marché de l’emploi, (2) de recruter et de promouvoir leurs professeurs et personnel de soutien, et (3) d’arrêter les critères d’admission des étudiants pour leurs différents programmes.
- Sur le plan financier, sans mettre en cause la gratuité des études aux citoyens tunisiens, permettre aux universités publiques de développer des programmes payants tels que les séminaires et programmes de perfectionnement de cadres (Executive Education) réduisant ainsi les charges budgétaires supportées par l’Etat.
C’est ainsi qu’il sera possible de favoriser la diversité des profils formés en fonction des besoins des différents secteurs et régions du pays et de réduire les risques d’erreurs. De plus, de telles mesures sont de nature à responsabiliser les universités, à réduire le sentiment «d’Administrés », à favoriser le développement de l’esprit d’initiative et à introduire la dynamique de performance, de compétitivité et de viabilité économique des institutions universitaires.
- Permettre aux universités publiques de privatiser certaines de leurs activités (perfectionnement de cadres et conseil aux entreprises) et de réserver un pourcentage de leur capacité d’accueil pour l’inscription d’étudiants internationaux Il est entendu que les étudiants internationaux auront à payer des frais de scolarité à leurs coûts réels, ce qui est une pratique courante dans plusieurs pays développés et ce qui permettra d’alléger les charges budgétaires supportées par l’Etat pour le financement du système. Paris Dauphine, université publique est en Tunisie en tant que projet privé.
- Abolir la loi 2008-19 du 25 février 2008 limitant les universités privées à une seule spécialité et une seule implantation géographique et encourager les universités tant publiques que privées à organiser des programmes à l’étranger ; une telle mesure est de nature à favoriser le développement du secteur privé et à contribuer au rayonnement scientifique de la Tunisie à l’international. Harvard, MIT, Stanford, et bien d’autres faisant partie du classement de Shanghai sont privées.
- Instaurer le régime Offshore pour attirer les universités étrangères de renommée à s’implanter en Tunisie et ainsi contribuer au développement des exportations tunisiennes de services éducationnels. A titre indicatif, les recettes annuelles en devises provenant d’étudiants internationaux inscrits dans des universités US sont estimées à 30 milliards de dollars. celles des universités australiennes sont de l’ordre de 20 milliard de dollars par an.
Certes, il va falloir de l’audace politique pour la mise en œuvre d’une refonte aussi profonde du système, ce qui ne manque pas au gouvernement de l’Union Nationale. Les enjeux sont de taille comme il est temps de mettre fin à la formation de nouveaux diplômés chômeurs. Par ailleurs, de telles mesures contribueront à la réussite de notre transition démocratique. Enfin, elles nous permettront de capitaliser sur les opportunités offertes par le nouvel ordre économique mondial faisant de l’expérience tunisienne une inspiration et une école pour l’ensemble des pays en émergence.
Faisons confiance à nos universités et à nos jeunes professeurs, ils sont capables de gagner le pari.
Mahmoud Triki, Universitaire, fondateur de la South Mediterranean University, première université anglophone en Tunisie
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La loi catastrophe: "la loi n°2000-73 du 25 juillet 2000 régissant la création et le développement des universités privées oblige ces dernières à aligner leurs programmes à ceux des universités publiques les privant ainsi de toute initiative d’innovation. " Comme si seul le Ministère qui détient la vérité alors qu'il un frein pour toute véritable innovation en s'alignant "aveuglement" à l'occident...
Je trouve que c'est une analyse très pertinente du secteur qui mérite d'être prise en considération pour réajuster les politiques dans ce domaine!!
On est arrivé au point ou (presque) les seuls bénéficiaires du système universitaire publique tunisien sont les salariés (profs et autres), et ces derniers sont (presque) toujours les derniers à défendre et/ou à adopter les réformes/innovations nécessaires à son adaptation aux nouveaux enjeux de l'économie globalisée de notre époque, et tout le monde (y compris les bénéficiaires) sont en train de payer cher cet état des choses...pourquoi les bénéficiares ? ben leurs enfants ne trouvent pas leurs comptes dans le système tel quel, et ils sont obligés de payer très cher les alternatives locales ou internationales à leur éducation ! Mohamed Slim Fayache, Ph.D. Professeur de l'Enseignement Supérieur Université de Tunis-El Manar