Lettre ouverte - L'Ecole Polytechnique de Tunisie : Assez d'indifférence, libérons ses potentiels !
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de l'Assemblée des Représentants du Peuple
Monsieur le Président du Gouvernement,
En octobre 2014, en présence de ministres, de haut cadres de l'administration, de la plupart de ses fondateurs, l'Ecole Polytechnique de Tunisie (EPT) a fêté son 20ème anniversaire qui coïncidait avec l'accueil de sa 22ème promotion. Cette école dont la Tunisie s'est dotée au début des années quatre-vingt dix (Loi n° 91-42 du 26 juin 1991) a pour missions nationales spécifiées par ses statuts particuliers:
i. Répondre aux besoins du pays en ingénieurs de conception et de projets qui soient à même d'améliorer les systèmes techniques, de suivre et de maitriser l'évolution technologique et d'assumer des hautes responsabilités dans les domaines scientifique, technique, économique et social, dans les secteurs privé et public.
ii. Assurer à ses élèves une formation interdisciplinaire destinée à leur faire acquérir une culture scientifique, technique et générale de haut niveau.
iii. Contribuer, par ses recherches et ses travaux, au développement et à la maitrise des technologies modernes.
Avec la sortie de sa 22ème promotion, l'EPT compte environ 900 diplômés occupant des postes de responsabilité dans le secteur privé, dans des centres de recherche en Tunisie et à l'étranger, dans le secteur public et dans des institutions internationales. Aujourd'hui, on compte pas moins d'une quarantaine d'entreprises à haute valeur ajoutée créées par ses diplômés. L'EPT a su développer des coopérations avec son environnement socio-économique à travers de multiples conventions de partenariat. Son ouverture à l'international s'est développée avec des conventions de co-diplomation en France, avec l'Ecole des Mines-Paris Tech, l'Ecole Centrale de Paris, l'Ecole Centrale de Lille, etc., et un fort potentiel de coopération avec d'autres institutions de renommée à l'échelle internationale.
Malgré ces atouts et l'importance du capital scientifique de cette Ecole, les autorités publiques n'ont pas réagi aux multiples appels, alertes et mises en garde (lancés depuis longtemps et de manière très insistante depuis 2011 à maintes occasions) demandant la réforme des statuts juridiques et l'amélioration du cadre de gouvernance de l'EPT. A l'occasion de son 20ème anniversaire, l'Ecole a présenté un vaste programme d'évaluation et de réforme, s'appuyant sur de larges consultations, et aboutissant à des propositions et des recommandations fortes pour la réforme et la rénovation de l'ensemble de son dispositif, afin de consolider ses atouts et réaliser pleinement ses ambitions. Le rapport publié à l'occasion, "Libérer le potentiel de l'EPT: L'exigence d'une réforme" (téléchargeable ici : https://goo.gl/bNFBWo) résume cette entreprise. Il identifie les principaux problèmes qui entravent l'action et la performance de l'institution:
i. l'inadéquation du statut juridique de l'Ecole au regard de ses spécificités et objectifs,
ii. les déficiences du statut en cours des enseignants chercheurs de l'EPT,
iii. l'insuffisance des moyens humains et financiers mis à sa disposition.
Ces problèmes majeurs ont été exposés à tous les ministres de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique après 2011 par différentes voies. En particulier par des correspondances de l'ADEPT, association des diplômés de l'Ecole, ainsi que des Elèves-ingénieurs eux-mêmes. Parmi les dernières en date: la large mobilisation autour des propositions d'actions pour la réforme de l'Ecole. (cf. http://www.leaders.com.tn/article/18924-plus-d-une-soixantaine-d-universitaires-experts-et-dirigeants-tunisiens-appellent-a-la-reforme-de-l-ecole-polytechnique-de-tunisie).
Le laxisme des autorités de tutelle dans la résolution des problèmes structurels de l'EPT a culminé avec les divergences et conflits bloquants entre le président de l'Université de Carthage et l'ancien directeur de l'Ecole.Celui-ci a été poussé à la démission en février 2017, constatant son incapacité à gérer l'institution suite aux différents blocages subis: des détachements d'enseignants injustement refusés, des détachements d'enseignants injustement acceptés et des contrats injustement confisqués. Des mesures arbitraires de l'Université (mutation de l'ancien secrétaire général de l'Ecole, blocage de la reprise de fonction de son ancien directeur des études et des stages - après un séjour scientifique de six mois aux USA-, blocage de la nomination d'un nouveau directeur de laboratoire pour plusieurs mois, blocage du lancement d'un mastère de recherche en partenariat européen, etc.), ont entrainé des dérèglements administratifs affectant à la fois les enseignements et les programmes de recherche...La dégradation de la situation a atteint des niveaux tels que les élèves-ingénieurs ont mené plusieurs grèves à cause de problèmes multiples: cours non assurés, enseignements incertains, conditions de vie dégradées (restauration interrompue ou servie dans des conditions d'hygiène hasardeuses , buvette rudimentaire révoquée, logement détérioré, etc.) ... De même, depuis quelque temps, L'Ecole connait des retraits et désistements de professeurs partenaires suite au blocage de leur rémunération depuis plusieurs années.
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Présidentde l'Assemblée des Représentants du Peuple,
Monsieur le Président du Gouvernement,
Face à la situation de crise qui a culminé en février 2017, le ministre de l'enseignement supérieur a réuni une commission ad-hoc. Bien que comprenant des personnalités qui ont contribué à la création de ce pôle d'excellence, au fait des objectifs de cet établissement et de son état actuel, et des personnalités de l'environnement socio-économique, toutes armées des meilleures intentions, la démarche qui a suivi a ignoré les sollicitations écrites de concertation des enseignants permanents de l'Ecole ainsi que de l'ADEPT, l'association des anciens.Les espoirs d'une démarche de redressement aboutissant à l'adoption des standards internationaux dans le renouvellement du cadre de gouvernance de l'Ecole, ont été douchés.De cette rencontre a résulté, naturellement sans aucune concertation avec les enseignants permanents de l'Ecole, une procédure manœuvrière pour combler le vide de direction: des appels à candidatures entachés d'irrégularités, pour les postes de directeur, de directeur des études et des stages et des chefs de département. Des appels à candidatures publiés uniquement sur les sites de l'Université de Carthage et de l'EPT en avril 2017 avec des critères d'évaluation des dossiers dissimulés au public. Ces irrégularités ont poussé neuf enseignants permanents de l'EPT (sur 13) à écrire au Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique en date du 19 juin, afin d’exprimer leur inquiétude quant à l’aggravation des défaillances dans la gestion des différents dossiers de l’Ecole et leur stupéfaction de les voir exclus de la démarche démocratique, maintenant acquise depuis 2011, en terme de candidature et de vote dans le processus du choix de la direction
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Présidentde l'Assemblée des Représentants du Peuple,
Monsieur le Président du Gouvernement,
L'économie du savoir et le capital scientifique et technique sont aujourd'hui des enjeux majeurs dans la compétition économique d'un monde globalisé. L'Ecole Polytechnique de Tunisie a montré, malgré les difficultés, qu'elle est une composante performante dans notre dispositif national d'enseignement et de recherche scientifiques. Il serait dommage de voir se dilapider ce capital.
Aussi, nous avons espoir et confiance dans vos hautes bienveillances pour donner à ce dossier l'intérêt qu'il mérite et délivrer les orientations qui garantissent le redressement de cette grande Ecole, la libération de son énergie et le développement de son potentiel.
Manel Thabet
Diplômée de l'Ecole Polytechnique de Tunisie
Présidente de l'Association des Diplômés de l’Ecole Polytechnique de Tunisie (ADEPT)
Tahar Abdessalm
Ancien élève de l'Ecole Polytechnique et de l'ENSAE, Paris,
Docteur d'Etat en Sciences Economiques,
Membre de l'équipe fondatrice et ancien professeur à l'Ecole Polytechnique de Tunisie,
Ancien directeur du Laboratoire d'Economie et de Gestion Industrielle (LEGI), EPT.
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Et si l'on proposait une issue dans le cadre dUn partenariiat public privé "EPT-Time Université". Time à toute l'infrastructure requise pour libérer l'EPT de la prison bureaucratique et de ses freins subjectifs. Pour un positionnement à l'international, permettant d'opérer un raccourci intelligent, nous avons fortement besoin D'autonomiser ce PPP. Cette démarche nous ferait gagner du temps pour une contribution à un rayonnement manifeste de notre système d'enseignement et de recherche. Nous aurions peut être une entrée à l'ère du savoir de notre siècle d'appartenance.