News - 03.08.2017

A propos du fondamentalisme religieux et de ses antécédents

A propos du fondamentalisme religieux et de ses antécédents

Au départ, mais sans remonter au-delà des temps qui firent de Rome la métropole du monde antique, les religions étaient dans notre pays polythéistes et communautaires. Elles n’exigeaient aucun acte de foi exclusif et ne comprenaient, sauf exception, aucune doctrine. Les préceptes se résumaient au calendrier liturgique et au rituel prescrit. A la religion civique, qui liait l’adoration de Rome et des dieux du capitole au culte impérial, s’ajoutaient les cultes rendus aux divinités du panthéon gréco-romain, à celles des religions orientales ainsi qu’à une foule de dieux secondaires. Ba’al-Hammon, le parèdre de Tanit à l’époque punique, avait cependant conservé tout son ascendant et était devenu, après son assimilation au gréco-romain Saturne, le grand dieu de la province romaine d’Afrique. Et dans chaque province de l’Empire abondaient également les dieux ethniques et les déités protectrices de chaque cité. Tout acte collectif ou individuel, public ou privé, accompli pendant une cérémonie officielle, ou dans l’intimité du logis, était également placé sous la protection d’un dieu; et il était par ailleurs nécessaire que les magistrats, les citoyens de l’Empire et l’ensemble de ses habitants fussent unis en communiant dans la religion officielle, par un acte politique autant que religieux, celui de l’adoration d’Auguste et de la triade capitoline tutélaire de Rome, Jupiter, Junon et Minerve.

Mais, que ce soient les institutions sacrées de Rome, répandues dans l’ensemble de l’Empire par le culte officiel et public, ou bien les religions et dévotions particulières à chaque province et à chaque cité, toutes les pratiques étaient tolérées par les autorités, à la seule exception de ne point susciter de dissensions ni de désordres. L’hérésie, l’intolérance n’étaient pas des catégories connues et il ne fut jamais question, avant la propagation du christianisme, d’une persécution générale de quelque pratique religieuse illicite. Par contre, dès que cette pratique devenait exclusive, dès que chez ses adeptes pointait l’intention de jeter l’interdit sur toute autre dévotion, sur toute autre observance religieuse, elle ne manquait pas d‘engendrer, dans la population, des réactions plus ou moins violentes.

L’empire romain s’accommoda, pourtant, des particularités religieuses de la communauté juive, qui professait une foi monothéiste exclusive. Certes, Titus, sous le règne de son père, l’empereur Vespasien, avait au cours de l’année 70 mis fin à l’état de Judée et détruit le Temple de Jérusalem; mais c’était pour en finir avec les révoltes incessantes des Zélotes, ces patriotes juifs dont le messianisme temporel visait à l’expulsion de l’étranger et à la restauration du royaume davidique. Depuis, les Juifs bénéficièrent  d’une égalité des droits et d’une autonomie protégée par la loi publique. En retour, ils manifestèrent respect et déférence pour l’ordre romain et leur prosélytisme, les rares fois où il s’exerçait, restait des plus discrets.

Par contre, les progrès du christianisme ne tardèrent pas à constituer un grave danger pour l’Empire. Refusant de participer à la vie de la cité, adorant un dieu exclusif et manifestant ostensiblement leur incroyance et leur impiété envers les autres dieux, les chrétiens furent vite considérés par les autorités comme un élément subversif et délétère. A juste titre, pour l’opinion publique de l’époque, l’historien Tacite les traita d’ « ennemis du genre humain ». Car à l’instar de cette « communauté internationale » qu’on invoque aujourd’hui, et qui est censée représenter l’ensemble des nations, alors qu’elle se réduit, en réalité, aux nations occidentales, l’Empire romain était censé représenter, dans l’antiquité, l’ensemble du « genre humain »ou, du moins, sa composante civilisée. Lequel  « genre humain » n’admettait pas le refus par les chrétiens du culte impérial et de la religion civique, éléments essentiels d’unification et de cohésion politique et morale de l’Empire.

Mais tout changea au Ve siècle, après la dernière vague de persécutions ordonnées par l’empereur Dioclétien. L’avènement de Constantin, à la tête de l’Empire, mit fin aux épreuves des chrétiens et inaugura en 313, par l’édit de Milan, une ère de  faveurs ininterrompues envers leurs églises; il commença par leur garantir une tolérance qui aboutit en définitive à faire du christianisme, vers la fin du siècle, la religion officielle du monde romain. En échange des avantages considérables accordés par l’Etat et de l’adhésion des classes dirigeantes, les autorités chrétiennes accomplirent, de leur côté, un ralliement spectaculaire et comptèrent, désormais, parmi les plus fermes soutiens du régime impérial. On en arriva même, bientôt, à trouver inconcevable toute mise à l’écart de la sphère religieuse, toute distinction tranchée entre un domaine civil et un domaine religieux dominé par l’Eglise.

Cette union étroite avec l’état romain amena l’Eglise à renoncer, très largement, à ce qui était son rôle prophétique. De plus en plus manifeste fut sa collusion avec le pouvoir et l’argent, ainsi que sa tendance à admettre, et bientôt même à bénir, l’ensemble de la réalité politique et sociale de l’Empire, y compris les ordonnances et les pratiques les plus contestables au regard de la morale chrétienne. Devenue une grande propriétaire terrienne et considérablement enrichie, l’Eglise consentit aux inégalités sociales, tout en s’efforçant de soulager les misères par la pratique de la bienfaisance. Au début du Ve siècle, la compromission du christianisme avec l’ordre établi était devenue telle qu’on relève, dans la « Cité de Dieu » de Saint Augustin, une sorte de justification théologique de l’esclavage.

« Ah ! Constantin, de quels maux fut la mère Non pas ta conversion mais cette dot Que reçut de toi le premier pape riche! »

écrit Dante au XIXe chant de l’Enfer où il place les papes d’une Eglise prostituée à l’argent.

Alors apparurent, sous des formes diverses, les contestations et les mises en cause de l’Eglise par les chrétiens; avec bientôt la constitution d’églises schismatiques. Ce fut le cas notamment, mais beaucoup plus tard en Occident, où les Cathares se dressèrent contre les pouvoirs et les richesses de l’Eglise, nourris des enseignements d’une secte gnostique musulmane d’Egypte et de ceux du manichéisme iranien ; ils enflammèrent, au XIIe siècle, toute l’Occitanie. Cette « hérésie » des « Purs » (les Cathares) de la chrétienté fut noyée dans le sang et les derniers « hérétiques » furent brûlés sur le bûcher. Dans la province romaine d’Afrique, c’est-à-dire sur le territoire actuel de la Tunisie, s’était développée beaucoup plus tôt, depuis la fin du IIe siècle et bien avant les autres provinces, une abondante littérature chrétienne d’expression latine, avec les précurseurs Tertullien et Minucius Felix. L’exemple le plus éloquent de cette contestation de l’Eglise, dans notre pays fut, dès le Ve siècle, l’apparition de « l’hérésie» donatiste. A ses origines, cette secte rigoriste reprochait à certains clercs leurs faiblesses lors de la persécution de Dioclétien. Mais lorsque les autorités décidèrent, de 317 à 320, de condamner les donatistes puis de les persécuter, leur hostilité à l’église officielle comme à son allié, le pouvoir impérial, devint irréductible. L’appui qu’ils reçurent des paysans révoltés, les circoncellions, a été perçu, par certains historiens, comme l’expression religieuse d’un mouvement social contre les autorités romaines et contre les riches; mais en fait, l’alliance entre le mouvement donatiste et la Jacquerie paysanne fut seulement circonstancielle. D’autres historiens ont relevé l’adhésion au donatisme de nombre d’évêques numides et ont privilégié, dans cette hérésie purement africaine, l’attitude ethnique « berbériste ». Si ces explications n’ont pas résisté, finalement, à l’analyse criticiste, il n’en demeure pas moins que les manifestations religieuses plus ou moins violentes trahissent souvent, à toutes les époques et de façon générale, les fêlures qui traversent les sociétés.

Pour les donatistes, en simplifiant un tant soit peu leurs thèses, l’église devait veiller surtout à sa pureté. Menacée par la persécution puis par la compromission avec le pouvoir, elle se devait de rester l’église des « Justes » et des « Saints ». Elle devait mettre la société en face d’une alternative: demeurer en dehors de l’église, ou accepter l’obligation de pureté rituelle et de souffrance méritoire. L’importance de cette notion de « pureté » était telle que le simple contact avec « l’impur », qu’il fût personne ou objet, ne pouvait qu’entraîner la perte de la puissance spirituelle. Ainsi convaincus de la justesse de leurs opinions, les donatistes en arrivèrent à regretter le temps des persécutions. Certains multipliaient même les provocations, pour se faire tuer par les soldats; d’autres n’hésitaient pas à se suicider, lorsque la répression du schisme devenait intolérable, afin d’obtenir plus facilement, pensaient-ils, la palme du martyr. Mais malgré la violence de la répression, celle du pouvoir comme celle de l’Eglise catholique, le donatisme se répandit dans toute la province où, dans chaque cité, une église donatiste fut érigée et imposa sa présence à côté de l’église officielle.

Il faut relever, cependant, que le rigorisme fondamentaliste du donatisme n’était, en quelque sorte, que le prolongement d’une orientation, sinon d’une position adoptée, dès la fin du deuxième siècle à Carthage, par Tertullien. Le célèbre polémiste africain avait réussi à associer une solide culture juridique à sa formation de parfait rhéteur. Connaissant admirablement le latin et le grec, il possédait en outre une érudition des plus étendues et était promu à une brillante situation d’avocat. Mais dès qu’il se convertit au christianisme, sa carrière tourna court et il se lança corps et âme, sans ménagements et sans aucune compromission, dans la défense et la glorification d’un christianisme qu’il ne concevait que d’un point  de vue rigoriste. Théologien subtil, mais également rhéteur rompu aux disciplines philosophiques, il considérait les philosophes comme des précurseurs, tout en estimant qu’ils auraient trahi leur véritable vocation.

Alors qu’il appartenait encore à l’église officielle, il invitait déjà les fidèles, dans un style puissant et imagé, vibrant, direct et même brutal, à renoncer aux jeux publics, fustigeant la violence et la «folie impudique du cirque(*)», l’«impudicité du théâtre», la «cruauté de l’arène» et la «vanité du stade». Multipliant les exigences d’une morale intransigeante, il blâmait la légèreté et la coquetterie des femmes, encensait le voile strict des jeunes filles et prônait la chasteté. Son esprit sectaire ne tarda pas à se manifester, dévoilant son rigorisme outrancier lorsqu’il passa à l’hérésie montaniste, venue d’Asie Mineure, puis, surtout, quand il fonda sa propre secte des Tertullianistes. Il retourna alors contre l’Eglise les armes dont il s’était servi pour la défendre. Ses terribles pamphlets s’acharnaient à flétrir la lâcheté de ceux qui avaient faibli pendant les persécutions, bannissaient de la communauté chrétienne les fornicateurs et les adultères, rejetaient les secondes noces et préconisaient la pratique des jeûnes les plus rigoureux. Il en arriva même à écarter des habitudes et des usages qui étaient plus ou moins indispensables pour vivre en société.

C’est ce sectarisme rigoriste qui se développa, puis connut une sorte de survie, grâce au schisme donatiste. Pourtant, grâce à l’extension de la citoyenneté romaine à l’ensemble ou presque des hommes libres, par l’édit promulgué en 212 par Caracalla, Rome visait à créer, au delà des particularismes, un nivellement juridique et une sorte de consensus, d’unanimité morale au sein de l’Empire. A l’opposé de cette politique, Tertullien, avant les donatistes, se fondait sur les références évangéliques pour affirmer, à l’instar de tous les fondamentalistes, juifs, chrétiens, et plus tard musulmans, qu’« il n’y a pas d’accord possible entre le serment divin et le serment humain … une âme ne peut se vouer à deux maîtres, à Dieu et à César». Affirmation à laquelle pourrait répondre, comme en écho à travers les siècles, la devise des ‘‘Frères Musulmans’’ en Egypte: هو الحلّ الاسلام (L’Islam, c’est la solution).

Dans l’« Apologétique » de Tertullien, on  décèle déjà  la manifestation très nette de l’hostilité des chrétiens envers les Juifs; plus tard, il entendit démontrer, dans un traité, que les Juifs n’étaient pas le peuple élu, car égarés et opiniâtres dans leur aveuglement, ils étaient réduits à ne rechercher que les biens terrestres. La même dureté caractérisa, à la fin de l’Antiquité, les écrits chrétiens contre les Juifs, Augustin lui-même fut amené à les prendre à partie. Mais c’est principalement sur les donatistes que s’acharna sa vindicte ; sûr de la justesse de sa position dans la lutte engagée contre le fondamentalisme, le grand penseur du Maghreb antique mena le combat contre le donatisme jusqu’à sa fin. En ramenant la querelle à son niveau théologique, il affirma que l’Eglise n’était pas, comme les hérétiques le prétendaient, la communauté des «Saints» et des «Purs», mais une réalité terrestre et transitoire, une réalité humaine faite du juste et du pêcheur. Ne pouvant être sans tâche ni ride, sans errements et sans péchés, l’Eglise «telle qu’elle est» ne peut être « telle qu’elle sera », lors de l’avènement de la cité de Dieu. Puis, lorsque la violence fit rage entre l’église catholique et le fondamentalisme de l’église dissidente, l’autorité d’Augustin devint véhémence et sa fermeté une opiniâtreté déterminée à mener à son terme une destruction réfléchie du donatisme, sans aucune hésitation et sans même reculer devant les mesures policières les plus implacables et les plus contestables.

Puis-je m’aventurer, maintenant, bien qu’historien de l’Antiquité classique, sur le terrain des médiévistes et des modernistes? Grâce aux études de ces derniers et, surtout, aux travaux  éminents  des islamologues et des sociologues sur l’orthodoxie sunnite et le sunnisme, je m’aperçois, de plus en plus, que les thèses du salafisme musulman ne sont pas sans rappeler celles du fondamentalisme chrétien, par-delà la diversité des situations historiques et des particularités sociologiques. Il faut d’abord préciser que le salafisme n’est pas tant un fait récent, né des vicissitudes sociales et politiques de l’histoire contemporaine, mais tout également une constante, une réminiscence historique propre à la pensée sunnite, cramponnée à la tradition des temps prophétiques. Car le tri sélectif opéré par la mémoire du sunnisme n’a jamais rechigné à opposer le règne de la vertu, prétendument répandue autrefois, à la corruption et à la dépravation qui sévissent au présent. A cet égard il faut rappeler que, de façon générale, les Anciens, Athéniens et Romains, avaient, leur racontaient les historiographes et annalistes, des dirigeants pieux et vertueux; les pères de l’Eglise l’étaient tout autant, de même que les premières générations des bons et pieux musulmans des temps bénis du prophète et de ses compagnons, à commencer par les premiers califes (الخلفاء الرّاشدون) et toute la lignée exemplaire des ancêtres الصّالح) السّلف). Attaché à la pure orthodoxie et à l’imitation, jusqu’à la caricature, des faits et gestes de ces ancêtres, prétendument vertueux, avec même souvent un surcroît de rigorisme, le salafisme sunnite n’a cessé de se cramponner à la loi originelle, la sunna du Prophète et de ses Compagnons. Attachement qui ne peut composer ni avec les évolutions introduites par l’Histoire, ni avec les changements intervenus dans les normes. Bien au contraire, clament les sunnites les plus intransigeants, l’orthodoxie doit être sacralisée, rester en dehors du Temps et rétablie, à chaque fois, dans la plénitude de son intégrité.

Cet acharnement n’est pas le fait de tous les sunnites certes, ni celui de l’immense majorité des croyants, mais il caractérise, parmi eux, ceux qui ne cessent de s’en tenir au fondamentalisme et à son système global. Loin d’être récent, celui-ci remonterait au milieu du IX éme  siècle de l’ère chrétienne, vers l’année 234 de l’Hégire, lorsque le calife abbasside al-Mutawakkil mit fin à l’adoption, par l’Etat, du rationalisme mu’tazilite. Auparavant, le règne d’al-Maâmoun, de 819 à 833, avait imposé ce système philosophique et théologique, qui faisait appel à la raison (al’aql), en tant que source de connaissances religieuses. Les préceptes légués par le Prophète et les Compagnons étaient certes respectés, mais les « gens de libre opinion »( أهل الرّأي)  pouvaient discuter, faire preuve d’esprit critique, aussi bien pour la résolution des questions juridiques, que pour l’examen des situations particulières et des cas d’espèce. L’empire islamique foisonnait alors d’idées, de projets, de recherches dans tous les domaines de l’activité intellectuelle. La conquête lui avait livré les textes des meilleures bibliothèques du monde gréco-romain et de l’empire perse, que la vaste bibliothèque de Beit el Hikma mettait à disposition des astronomes, médecins, mathématiciens, géomètres, philosophes, lettrés et traducteurs venus de toutes les provinces. Tous ces savants, musulmans, juifs et chrétiens parlaient, pensaient et écrivaient en arabe, langue liturgique et administrative, qui ne tarda pas à véhiculer les savoirs les plus avancés de l’époque. Riche et séduisante de surcroît, la dernière née des langues sémitiques bénéficia, dans sa diffusion, de l’avènement du papier qui, venu de Chine à la fin du VIII éme siècle, avait permis le développement d’un véritable marché du livre. De Baghdad à Bukhara et du Caire à Cordoue, émirs et sultans adoptaient et poursuivaient la politique exemplaire d’al Maâmoun. Baghdad et Cordoue, surtout, furent les grands centres de rayonnement d’un savoir avancé, préfiguration de la culture moderne. Depuis la science expérimentale et mathématique, jusqu’aux méditations les plus élevées de la spiritualité et de la mystique, s’y développait la réflexion sur les motivations et les fins de la philosophie et de la science.

Mais dans les domaines de la théologie et du droit, le rationalisme mu’tazilite rencontrait nombre de résistances ; en particulier à propos de la nature du Coran. Ce groupe d’intellectuels, qui avaient adopté le surnom qualificatif de "solitaires" (المعتزلة) considérait, en effet, que ce texte, tout comme le genre humain lui-même, avait été créé, était une créature (مخلوق), ouvrant ainsi la voie à un questionnement des plus délicats: celui d’un examen critique du texte coranique. L’homme, créature dotée de raison, n’était-il pas en droit de se poser des questions, de discuter le Coran? Dialectique subtile que l’homme du commun, et à plus forte raison la foule inculte, ne pouvait accepter. Ainsi pensées, édictées et imposées d’en haut au peuple des croyants, non sans violence systématique contre les opposants, les thèses du rationalisme mu’tazilite devinrent de plus en plus impopulaires. A cette époque, en effet, le rationalisme des élites et, surtout, les limites de sa diffusion ne pouvaient être en mesure d’entraîner l’adhésion des masses, dont les mentalités étaient tributaires d’une culture ancestrale traditionnelle. Le désaveu grandit, puis la contestation s’étendit et entraîna une répression féroce, dont le symbole souffrant fut l’Imam Ahmed Ibn Hanbal, qui acquit une célébrité posthume sous al Mutawakkil, à l’issue de la « grande épreuve »(المحنة) ainsi que les sunnites qualifient la période d’imposition du mu’tazilisme. Ce qui fit du Hanbalisme le plus rigoriste des quatre rites de l’islam sunnite, qui rejette l’Ijtihad, c’est-à-dire le raisonnement et la recherche en théologie et en droit musulman, et prône une observance stricte de la tradition (النّقل).

L’ensemble des rites sunnites élevèrent aussi les Hadith - c’est à dire les dits et paroles prêtés au prophète, apocryphes pour la plupart - au rang du Coran, et en firent une source supérieure irrécusable d’un droit immuable, placé au dessus des évolutions du temps et des adaptations dues aux modifications de l’espace. Avec le hanbalisme, le conservatisme sunnite devint raidissement et se mua en rigorisme; et à l’instar du Montanisme et du Tertullianisme, prolongés jusqu’au Ve siècle par le Donatisme, le fondamentalisme des partis et des états théocratiques a prolongé ici et là dans le monde musulman, depuis le Moyen Age et jusqu’à l’époque contemporaine, la postérité du hanbalisme. Depuis Ahmed Ibn Hanbal et son fils Abdallah, dans son « Kitab as-sunna », puis Ibn Taymiyya, et son disciple Ibn Qayyim al Jawziyya aux XIII-XIVe siècles, et Ibn ’Abd al Wahhab au XVIIIe, jusqu’à Hassan al Banna, Sayyid Qutb et les Frères Musulmans égyptiens, ce fondamentalisme n’a cessé de prôner l’observance stricte de la chariâ, la séparation rigoureuse des sexes et l’application minutieuse des peines coraniques; avec un puritanisme rigide, récusant certes les traditions associationnistes d’origine païenne, telles que les talismans et le culte des saints, mais aussi prônant le voile couvrant totalement les femmes, rejetant parures, musique et divertissements, manifestant une consternante indigence de l’esprit, une absence effarante de toute trace de spiritualité et de culture.

(*)Le circus, c'est-à-dire, ici, l’amphithéâtre des cités romaines offrait des spectacles violents : combats de gladiateurs, chasses dans l’arène et affrontements de fauves. Mais le terme peut signifier aussi, selon le contexte, l’hippodrome.

Ammar Mahjoubi

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3 Commentaires
Les Commentaires
Touhami Bennour - 04-08-2017 01:34

Trés interessant historique du fondamentalisme, nous avons l´impression,nous les Magrebins de vivres les mêmes évènements deux fois, une fois pendant l´Antiquité et une fois au temps modernes. Les Europeens commencent par l´actualité des évènements et ne voient que des arabes et des musulmans, alors que ca date depuis la nuit des temps, et ca été un combat entre le "pûr et l´impûr". On voit le même problème en politique moderne en Europe: la debandade des partis politiques et le phenomène "emmanuel Macron" est une rechrerche à une solution á ce phenomène. Mais je pense cependant qu´on fait des confusions. Le combat entre "juste et (le pêcher) l´avidité et le gloutonnement son plus legitimes á être defendus que des categories abstraites comme "pûr et impûr", Il parait que les masses partout est dans son droit de voir les partis politiques rectifier leur politique vers une ligne plus juste. C´est que "Macron" compte faire. Bien la tâche soit trés difficile. En effet en ce qui concerne, la "Globalisation"" il semble que les masses europeennes sont devenues autant reactionnaire que les partis europeens, Il ya je pense une xenophobie là dedans.

Jean Fontaine - 04-08-2017 16:04

Excellente analyse. Bravo et merci !

Mamun - 05-08-2017 05:54

Bonjour. Texte très intéressant en effet. Juste quelques précisions. Les mutazilites n'ont pas tenté d'imposer leur doctrine au peuple. Ils ont tenté d'imposer un point précis (la création du Coran) aux juges (qudhat) et aux imams du temps. Les chiites, les kharijites et les mutazilites partagent tous cette croyance. En outre, les 30 coups de fouet que reçut Ibn Hanbal ont été compensés par la persécution généralisée des mutazilites et par la destruction systématique de leur oeuvre. En Tunisie, le fameux qadi Sahnoun, qui ne connaissait pas Ibn Hanbal, bien qu'il soit son contemporain fit emprisonné et tué son prédécesseur hanafi et mutazilite le qadi Ibn Jawad. Pour info, les aghlabides adopteront le mutazilisme (et le 5hanafisme) vers 833 et y resteront fidèles jusqu'à leur chute en 909. Cela ne les empêcha pas d'alterner les qadi al qudat hanafi (et donc mutazilites pour l'époque) et sunnites malikites, comme la majorité du peuple l'était. Merci à vous

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