Une violence insuffisamment réprimée au quotidien
Je reprends la plume (ou le clavier) après deux mois de vacances estivales qui finalement n’ont pas été de tout repos avec cette canicule qui sévit et s’éternise dans toute la région .Le risque d’insolation est grand cet été et ça n’a pas raté encore cette fois avec les incendies de forêts en sus .Les corps et les esprits s’échauffent, la vue se brouille et le cerveau comme liquéfié tente de sauver ce qui reste de lucidité.
Dans une Tunisie qui déprime à juste titre face aux difficultés économiques, une Tunisie qui doute d’aujourd’hui et de demain, ce ne sont pas les sujets de réflexion qui manquent, je note, toutefois et avec un immense plaisir, l’incroyable appétit de gagner de nos sportifs dans tous les sports: Foot, basket, hand, athlétisme, handisport, escrime …
J’ai vu une belle jeunesse voulant gagner et porter haut les couleurs de la TUNISIE: Bravo à nos sportifs (dont un certain nombre de militaires)! La Tunisie peut être fière de vous car vous redonnez de l’espoir en étant courageux, travailleurs, collectifs, déterminés à obtenir le succès par l’effort; en bref, exemplaires.
Loin de ces compétitions pacifiques, notre pays connait malheureusement une autre «compétition» de genre très particulier; je veux disserter, cette fois sur cette vague de violence sociale sans précédent. Une violence sourde et quotidienne, inhérente à une frustration systématique qui s’est installée en maîtresse au sein de notre société .Pour un regard de travers, un éclat de voix ou la moindre contrariété: on s’insulte, on se bat, on se tue, sans grande cause apparente.
C’est devenu un code de conduite quasiment irréversible; un habitus national.
Cette forme de violence immédiate, irrationnelle et autodestructrice, où les émotions fortes nesont pas maîtrisées et les pulsions fondamentales de l’agressivité ne sont pas contrôlées, est devenue un aspect banal de la vie sociale, une pure praxis; la violence pour la violence.
On a du mal à saisir ses origines, à comprendre sa signification et son fonctionnement.
Cette forme de violence querelleuse et contagieuse, qui marque les gestes quotidiens et où les rivalités sont souvent sanglantes et parfois meurtrières, est-elle le résultat d’un «tempérament national» plus ou moins passionné et fougueux qui tire ses origines d’un passé lointain? Correspond – t–elle à un trait culturel particulier de la personnalité des gens du Sud ? S’agit–il d’un mal profond et mystérieux, qui ronge les sociétés humaines souffrant de tensions latentes diverses ? Est –ce l’aboutissement d’un type de fonctionnement politique archaïque, impulsif, désordonné et peu rationalisé, qui a fini par produire un système durable de comportements antisociaux et violents?
Bien que toutes ces questions puissent être formulées et posées autrement, il n’est pas facile de démêler les divers facteurs sociaux,culturels, économiques et politiques, qui sont à l’origine de ce fléau moyenâgeux.
Cette violence primitive est, aujourd’hui, présente dans la famille comme à l’école, dans les stades comme sur les routes, dans les rues comme dans les hôpitaux.
Les crimes passionnels et crapuleux ont augmenté de façon tout à fait exceptionnelle. Ils sont devenus monnaie courante : on assiste à des actes de cruauté pratiqués sur les corps des enfants en bas âge ; on viole les jeunes filles; on brûle la femme; etc. C’est le brusque retour à la sauvagerie animale .L’épée, le sabre, la hache et le couteau sont devenus les armes emblématiques de la fureur populaire.
Cette violence mal domestiquée, si elle est venue à triompher et à nous dominer, la faute en est à notre seule ignorance. C’est un mal qui est le nôtre: nous l’avons fabriqué nous-même, nous en sommes responsables et nous le méritons .Il provient de nous-même et reflète une culture et une réalité sociale fondée sur la crainte de l’autre. Il exprime le degré de perversion et de déviance de notre société en panne de grands projets .Chaque citoyen porte une part de responsabilité morale dans la manière dont ce mal s’est incrusté au sein de notre société .Par notre paresse, notre aveuglement, notre laxisme, notre complicité et notre lâcheté, nous avons facilité la tâche aux ratés, aux sectaires et aux prédateurs.
Dans une société où règnent diverses formes de violence collective, il n’y a plus d’échange, de dialogue, de coopération,d’entraide,de solidarité,d’empathie, d’effort de penser pour construire et produire ensemble, de débats critiques, de fraternité, de concertation, de responsabilité ,de médiation; il n’y a que des «loups à forme humaine», des «prédateurs»;c’est-à-dire une série d’hommes préoccupés à s’enrichir en appauvrissant les autres .une bande de sangsues qui s’adonnent à une entreprise gigantesque de rapine, à un immense brigandage, à une razzia organisée à ciel ouvert. Ils démolissent et éliminent tout ce qui leur barre la route pour faire main basse sur les ressources, contrôler les marchés, spolier les biens d’autrui et amasser ainsi des fortunes immenses.
Une société qui ne sait plus consciemment d’où elle vient et surtout où elle va, qui a perdu toute confiance en elle-même et en ses dirigeants et qui a fini peu à peu par renoncer à agir, cette société ne peut enfanter que des prédateurs qui oppriment la vie et empêchent la créativité sociale.
L’Etat avec ses bras que sont la justice et la police ne peut agir efficacement contre ces différentes formes de violence qui menacent les personnes dans leur vie, qu’en mettant en place un dispositif global de prévention sociale reposant sur les institutions de base de la communauté: la famille, l’école, la mosquée, l’association de quartier, etc. Ila, certes, mis en place de multiples institutions à vocation de prévention, mais elles sont trop incomplètes, trop bureaucratisées, trop autistes et souvent sans prise réelle sur les problèmes qu’elles sont sensées résoudre.
La confiance dans la justice s’effrite. Le soupçon et la peur entre les membres d’une même famille se répandent. On assiste à des débauches d’expression dans le langage et la gestualité.
L’école tunisienne connait, quant à elle, une crise profonde qui requiert un gros effort d’analyse et de pédagogie pour débusquer le mal qui gangrène notre système éducatif .On note seulement que depuis une soixantaine d’années ,on a enchainé le peuple tunisien à une «école moyenâgeuse» pour en faire une masse de créatures manipulables.
Pour terminer, il me vient à l’idée l’histoire d’un vieux Sioux, Cherokee, ou Apache, qu’importe la tribu, l’important est qu’un de ces chefs parlait à son petit-fils du combat de la vie qui se déployait à l’intérieur même de la personne humaine.
Il lui disait: Mon petit, il y a une lutte acharnée entre deux loups à l’intérieur de chacun de nous.
- L’un est le mal: c’est la colère, la violence, l’envie, la jalousie, le chagrin, l’arrogance,la cupidité, l’amertume,le regret,l’apitoiement,la culpabilité, le mensonge, l’orgueil, la supériorité et l’égo.
- L’autre est le bien: c’est la joie, l’amour, la sérénité, l’humilité,la paix, l’espoir, la vérité, la générosité, la bienveillance, l’empathie, la bonté, la foi et la compassion
Le petit-fils de la tribu indienne réfléchit pendant un moment, puis il demanda à son grand-père:
Quel est le loup qui va gagner?
Le vieux sage grand-père a simplement répondu: C’est celui que tu nourris.
Merci à toi, grand-père apache, de ta formidable sagesse.
Mohamed Kasdallah
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Mon Colonel Merci pour cette analyse parfaite et pertinente qui reflète une image sombre mais exhaustive et réelle de notre société.C'est un échec total sur tous les plans de tous les gouvernements successifs et represente une future menace plus grave que le terrorisme . La peur au sein des familles s'installe et l'incapacité de trouver une solution efficace préoccupe les tunisiens .J'espere que les autorités prennent conscience de ce danger qui représente une menace réelle au quotidien.