Riadh Zghal: Un «idéaltype» de leadership en Tunisie

En ces moments de troubles politiques, de défiance à l’égard de la classe politique, tous partis et institutions confondus, il y a lieu de s’interroger sur le leadership susceptible de donner confiance aux Tunisiens en ceux qui les gouvernent.
Lorsque Max Weber a entrepris d’analyser les différentes sources de légitimation du pouvoir, il a établi une typologie qu’il a définie comme étant des idéaltypes. Ces idéaltypes constituent une construction théorique qui sert à identifier les sources de légitimation d’un pouvoir réel d’influence du cours des évènements et des comportements des hommes. Weber a ainsi distingué trois types de domination légitime reposant chacun sur une croyance particulière:
La domination légale reposant sur la croyance en la légalité des règlements et du droit; la domination traditionnelle basée sur la croyance en la sainteté des traditions, et la domination charismatique reposant sur la croyance en la valeur exemplaire, voire le caractère sacré de celui qui commande.

Le soulèvement de décembre 2010-janvier 2011 a été porté par des jeunes. Plusieurs observateurs ont noté qu’il s’est produit en l’absence de leadership. C’est ce qui a permis la récupération d’un mouvement social appelant au respect de la liberté et de la dignité des citoyens, par des politiciens venant d’autres sphères que celle des jeunes protestataires. Depuis, voilà bientôt huit ans que ces politiques sont engagés dans une guerre de position alors que les conditions de vie du citoyen vont de dégradation en dégradation.

Parallèlement, la confiance dans les politiques et les institutions n’a cessé de chuter et se trouve aujourd’hui au plus bas. Alors on se pose la question si l’émergence d’un leadership national comme on l’a connu à l’aube de l’indépendance demeure encore possible. Et si c’est le cas, quel serait l’idéaltype d’un leadership qui bénéficierait de la confiance du plus grand nombre qui soit capable de cimenter les forces vives de la nation, de les mobiliser pour sortir de la crise politique, économique et sociale qui ronge le pays ? Un leadership qui soit capable de tout cela, tout en reconnaissant la diversité sociale et en se soumettant aux exigences du processus de démocratisation. Un leadership qui bénéficie surtout de confiance et qui soit perçu comme légitime.

Dans un contexte démocratique, le leadership est par essence pluriel. Contrairement à l’idéaltype de la domination charismatique tel que défini par Weber, le leadership ne repose ni sur le caractère sacré ni sur le caractère exceptionnel d’une personne. Les qualités du leadership sont en partie partagées et en partie complémentaires entre plusieurs personnes en position de définir des stratégies, de fixer les orientations, de commander aux processus de changement.

Pour cela, de nombreuses qualités sont à considérer en rapport avec le contexte actuel. Osons dresser les contours de l’idéaltype du leadership dont la Tunisie a besoin pour sortir des zones de turbulences de la transition démocratique! Ce serait:

• Un leadership dont les comportements ne sont programmés ni par la routine administrative ni par les certitudes des organismes internationaux, ni par les principes du profit à court terme.
• Un leadership qui a le sens de la négociation, qui plie et ne rompt pas parce qu’il a une vision et un sens fort de l’intérêt général.
• Un leadership qui se perçoit non comme un sultan mais comme un militant au service d’une noble cause.
• Un leadership qui a une connaissance de comment va le monde et qui n’est pas tenté par le repli sur soi générateur de régression.
• Un leadership qui dispose d’une culture suffisante lui permettant d’appréhender le système économique et social dans son ensemble, de reconnaître les forces qui le gouvernent et de capter les signaux faibles annonciateurs de changement pour agir à temps.
• Un leadership qui a suffisamment de bon sens et d’esprit critique pour ne pas céder aveuglément à l’hyperrationalisme, aux idéologies désuètes ni aux théories et paradigmes en vogue.
• Un leadership qui dispose du bon jugement pour choisir le bon angle  d’attaque et réussir dans les réformes qu’il entreprend.
• Un leadership qui dispose de capacités de communication pédagogique car il doit aider la société à accepter et à gérer le changement ainsi qu’à traiter les maux dont elle souffre.
• Un leadership qui sait insuffler l’ambition à ses collaborateurs et à son peuple.
• Un leadership qui a la capacité de souder l’effort de ses équipes autour d’objectifs précis au service de l’intérêt général bien pensé.
• Un leadership qui reconnaît ses erreurs s’il se trompe et en tire les  leçons.
• Un leadership qui n’a pas peur, le cas échéant, de déclarer sa fortune,  car il en a toujours disposé honnêtement et sans complexe.
• Un leadership qui n’a pas le regard fixé sur le nombril de son ego mais porté vers l’horizon, découvrant sans cesse de nouvelles perspectives  et imaginant des politiques porteuses de bien-être                 pour la collectivité.
• Un leadership qui croit profondément en la démocratie et mise sur la coopération entre Etat-société civile-secteur privé pour la conduite  du changement et un développement durable qui profite à toutes les composantes de la société.

Cette liste peut paraître longue sans pour autant être exhaustive. Tout un chacun guidé par des valeurs d’équité et de progrès pourrait la prolonger. Et comme il ne s’agit pas de qualités réunies chez une seule personne mais plutôt de normes qui guident l’action d’un leadership collectif, partagé à plus d’un niveau de la sphère sociale, alors la soumission à de telles normes rendrait visibles les orientations, générerait la confiance dans les dirigeants et, par la suite, réduirait le caractère chaotique du chemin qui mène vers la démocratie.

Riadh Zghal