Retour de Pékin: Le futur est-il déjà chinois?
Pékin —De l’envoyé spécial de Leaders, Taoufik Habaieb. Sur la grande avenue qui borde le Jing Guang Centre, dans ce quartier résidentiel et d’affaires Hujialou, Chaoyang District, de la capitale chinoise s’élèvent de part et d’autre d’imposants édifices comme à Manhattan. Y trônent majestueusement de hautes tours de la cité financière, de grands hôtels flambant neufs, des magasins de prestigieuses marques de luxe et le nouveau siège à l’architecture futuriste de la télévision publique. En bas des immeubles, des jardins fleuris poussent ici et là. Exceptionnellement, la circulation est fluide, les voitures de diverses marques sont au design soigné, les motos aussi, pour la plupart électriques, donc silencieuses. Au Silk Market, vous n’aurez que l’embarras du choix pour faire emplette d’articles de bonne qualité à des prix abordables.
La propreté est partout. Vous ne vous croirez pas dans le pays de Mao, si ce n’est l’application attentive des policiers en uniforme vert qui règlent la circulation et la discipline légendaire des Chinois.
Le soir, dans les cafés, restaurants et clubs huppés, des jeunes branchés, qui n’ont plus rien à envier à leurs pairs en Occident, croquent la vie à pleines dents. Comme à Georgetown (Washington DC), Times Square (New York), Soho (Londres) ou au Quartier Latin (Paris). Même look, mêmes codes, même joie de vivre. Sacrée jeunesse universelle.
GAFA contre BATX
Partout des caméras de surveillance gèrent le trafic et veillent au grain contre la criminalité. Pas moins de 170 millions de caméras dans le pays et bientôt 600 millions en 2020. Interconnectées, dotées pour la plupart de système de reconnaissance faciale, elles jouent désormais un rôle de plus en plus important. L’intelligence artificielle, déclinée dans tous les domaines, devient le levier de la performance. La démonétisation gagne du terrain. Tout se paye à partir du téléphone mobile par WeChat ou Alipay. Même pour donner votre obole. Plus besoin d’avoir sur vous un portefeuille gonflé de billets de banque et alourdi de cartes bancaires, d’identité et d’assurance ainsi que d’autres permis. Tout est dans le cloud, tout est interconnecté. Face aux GAFA américains (Google, Apple, Facebook et Amazon), la Chine aligne les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) en compétition entre géants. La bataille du nouveau siècle.
A elle seule, la Chine consent 23% des investissements mondiaux en recherche et développement. Les résultats sont là en avancée technologique poussée.
Le prix de la croissance
Dans les quartiers généraux des grandes compagnies d’Etat ou privées sont affichées sur les murs les cartes du monde où des drapeaux chinois sont épinglés sur les cinq continents. Ports et zones logistiques, parcs photovoltaïques, compagnies d’énergie, champs pétroliers, gaziers et miniers, opérateurs de télécoms, ponts et barrages, réseaux routiers et ferrés, banques, hôpitaux, usines, universités, laboratoires et centres de recherche et de développement : un véritable catalogue illimité de projets réalisés ou en cours. Dans le registre de l’immatériel, on retrouve la biotechnologie, la médecine, les logiciels, la sécurité avec sa nouvelle composante (la cyber sécurité), les intelligences artificielles, l’I-Armement, voire l’espace. La robotique s’installe tous azimuts, jusque dans les vaisseaux spatiaux, et évidemment dans les engins de guerre.
Tout n’est pas aussi rose qu’on veuille le dépeindre. Le revers de la médaille affiche des fragilités. Mais, l’élan général est pris. Le prix de la croissance est la discipline rigoureuse, l’acharnement continu au travail et le respect total des institutions. Suivez mon regard.
Puissance économique et puissance militaire, la Chine s’érige en superpuissance technologique, creusant davantage le gap avec ses compétiteurs.
Bienvenue dans l’univers du futur... qui a déjà commencé.
Cap sur l’Afrique
La superpuissance de la Chine trouve son premier terrain de prédilection sur le continent africain. En accueillant les 3 et 4 septembre dernier à Pékin les chefs d’Etat et de gouvernement de 53 pays africains (sur un total de 54, seul l’ancien royaume du Swaziland a fait défaut), le président Xi Jinping réunissait le plus grand sommet jamais tenu hors du continent. Il célébrait un nouveau partenariat doté de la mirobolante somme de 60 milliards de dollars consentie sur trois ans. Aides sans contrepartie (15 Md$), lignes de crédit (20 Md$), fonds d’investissement (10 Md$), importation en Chine de produits africains (5 Md$), constituent la manne de base. S’y ajoutent 10 Md$ d’investissements directs par des entreprises chinoises.
A quoi servira tout ce trésor ? Le président Xi Jinping a fixé huit grandes initiatives : innovation industrielle, interconnexion des infrastructures, facilitation du commerce, développement vert, renforcement des capacités, santé, échanges humains et culturels et paix et sécurité. Bourses d’études, centres de recherche, centrales énergétiques, télécoms, hôpitaux et cliniques... tout y passe. Les anciennes puissances coloniales cèdent sous le rouleau compresseur de la déferlante chinoise. Effrayé, l’Occident crie à ‘’une nouvelle hégémonie chinoise’’ et met en garde contre ‘’le surendettement excessif qui a va hypothéquer des générations entières’’. D’un revers de la main, le président sénégalais Macky Sall, qui assure désormais la présidence du Forum sur la coopération sino-africain, balaie toutes ces « avanies ». « Nous n’avons rien à se reprocher sur la conscience, dira-t-il lors de la clôture du Sommet. Pourrions-nous refuser la main qui nous est tendue ? C’est un partenariat qui a déjà fait ses preuves et se donne aujourd’hui une nouvelle dimension au profit de nos pays !»
Et la Tunisie?
Entre Tunis et Pékin, c’est 8 247 km qu’un vol direct peut parcourir en 11 heures d’affilée. Le décalage horaire est de 7 heures d’avance en faveur de la Chine. Malgré cet éloignement et la nette avancée chinoise, beaucoup de choses peuvent nous rapprocher, si nous savons nous y prendre. Chargé par le président Caïd Essebsi de conduire la délégation tunisienne au Sommet de Pékin, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a alterné entretiens de haut niveau avec la direction chinoise - et à sa tête le président Xi Jinping - et rencontres avec dirigeants de grands groupes. La Chine officielle a réitéré son ‘’engagement déterminé à renforcer la coopération bilatérale dans divers secteurs’’. A nous cependant d’imaginer de nouveaux projets porteurs. La communauté d’affaires a de son côté manifesté son intérêt pour l’exécution de grands projets en Tunisie, mais aussi explorer des opportunités de PPP. A nos opérateurs de s’ériger en partenaires. Mais ce n’est pas tout.
Au lieu de nous disperser, nous devons nous concentrer sur deux ou trois grands axes majeurs : l’innovation scientifique et technologique, les énergies renouvelables et les intelligences artificielles. Point de saupoudrage, concentration sur l’essentiel. A vouloir ratisser large, on rate le fondamental. Youssef Chahed a promis, dans une déclaration à Leaders, de créer au sein de son cabinet une unité spéciale pour le suivi du Sommet de Pékin, en étroite collaboration avec les Affaires étrangères et les autres départements et organismes concernés.
Outre l’Utica, le Conseil d’affaires et la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-chinoise, le concours des ambassades dans les deux pays —tunisienne à Pékin, dirigée par l’ambassadeur Dhia Khaled, et chinoise à Tunis, sous la houlette de l’ambassadeur Wang Wenbin— sera crucial. La volonté politique fortement réaffirmée, plus de pertinence et mieux de suivi sont indispensables.
Taoufik Habaieb
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