Faouzia Charfi – Ramadan : La fatwa de Bourguiba
En cette veille du mois de ramadan, j’aimerais m’adresser à un certain nombre d’homme politiques tunisiens pour leur rappeler un bout d’histoire de la Tunisie indépendante dont ils pourraient s’inspirer en ces temps de retour de l’obscurantisme.
Au cours de l’hiver 1960, Bourguiba prononce trois discours sur la question du jeûne du mois de ramadan les 5, 18 et 26 février pour appeler au jihad pour le développement. Il demande au Mufti de la Tunisie, Abdelaziz Djaïet, présent lors du discours historique du 5 février 1960, d’autoriser le travailleur à rompre le jeûne. Sont présents également les cadres du pays, représentant les organisations nationales et toutes les branches de l’Administration. Bourguiba veut provoquer un choc psychologique dans l’opinion, il veut que son discours soit « écouté par tous les Tunisiens, dans tous les foyers ». Il veut faire « en sorte qu’il reste gravé dans tous les esprits ». Le jihad économique auquel appelait Bourguiba ne s’est pas produit, loin s’en faut. Le Mufti Aziz Djaïet refusa d’émettre la fatwa que lui demandait le Président et fut démis de ses fonctions.
Le 18 février 1960, Bourguiba revient sur la question du Ramadan et la possibilité de dérogation en faveur des travailleurs :
« Il appartient à chacun de tendre vers le bien par ses propres moyens, sans se préoccuper des doctes références. Dans l’immédiat, nous avons intérêt à travailler. Dans la mesure où le jeûne se révèlera incompatible avec l’effort, il ne faut pas se priver du bénéfice des tolérances. On pourra alors rompre le jeûne, la conscience tranquille. C’est ma « fatwa »… Pour que l’Afrique puisse atteindre le niveau de puissance, de culture et de prospérité de l’Europe ou de l’Amérique, il nous faut travailler, vaincre les appréhensions, les superstitions et la contrainte sociale. »
Bourguiba réagissait à l’explosion de la bombe atomique française dans le désert du Sahara, le 13 février 1960. Ce premier essai nucléaire français, désigné par le nom de code Gerboise bleue a été effectué sur ordre du président de Gaulle, dans la région de Reggane, zone désertique de l’Algérie alors en guerre pour son indépendance. L’explosion quatre fois plus importante que celle d’Hiroshima, a permis à la France de devenir une puissance nucléaire, la quatrième dans le « club atomique ». Une explosion nucléaire que, ni les protestations, ni la réprobation exprimée par les Nations Unies, par les peuples d’Afrique, d’Asie et du monde entier n’ont pu empêcher. Le leader de l’indépendance tunisienne appelle dans son discours à relever le défi français en s’attaquant aux causes de notre faiblesse et de notre impuissance et non par une réaction superficielle et épidermique. Connaissant bien l’histoire de son pays, Bourguiba revient sur un moment de grande humiliation de la part de la France. Il s’agit du Congrès Eucharistique qui s’est réuni en mai 1930 à Tunis et qui « eut vite fait de se muer en croisade…, la neuvième croisade par allusion à la huitième, conduite par Saint Louis, qui avait échoué devant Carthage ». Mais, précise Bourguiba, une telle humiliation n’est plus possible en Tunisie, devenu un Etat indépendant et respecté. Et voilà que la Tunisie subit un autre choc psychologique avec l’essai nucléaire du Sahara, un choc aussi profond que celui provoqué par le Congrès Eucharistique.
Alors, comment faire face au rêve de grandeur de la France ?
Pour Bourguiba, la réponse est claire : « il faut vaincre le sous-développement, le chômage et la misère pour nous arracher à la condition d’impuissance qui nous vaut le mépris de la France ». Et cela ne doit pas être qu’un vœu pieux. Il faut en avoir les moyens, ou plutôt, s’en donner les moyens, grâce à l’intelligence, le savoir et le travail organisé :« C’est dans cette perspective qu’il faut envisager le Ramadan. L’obligation du jeûne n’exclut pas les dérogations. Celles-ci, selon certains cheikhs, seraient limitées aux cas de voyage ou de maladie. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ils admettent, par référence à des fatwas isolées, d’étendre cette tolérance au « Jihad ». Ils se déclarent prêts à en prendre la responsabilité, s'il se révèle que l’Islam est en danger. Mais dès qu’il s’agit de cette autre forme de « Jihad » qu’est la lutte contre le sous-développement et l’amélioration de la condition de l’homme, ils deviennent plus réticents, ils se dérobent. Ils ne voient pas le lien entre la force, la grandeur et le développement économique. Apparemment, ils croient qu’il n’y a pas d’antagonisme entre le sous-développement et le respect. Il y a un enchaînement rigoureux des causes et des effets qui leur échappe. »
Bourguiba ose, « au risque de bousculer certaines personnes », s’attaquer « aux causes profondes de notre régression, aux routines souvent drapées du voile de la religion, aux traditions néfastes, à l’insouciance et à la résignation ». Dans le fameux discours du 18 février 1960, il remet en cause le pouvoir des hommes de religion, les « professeurs », qui appartiennent « à une catégorie d’esprits qui se refusent à raisonner et à se faire un jugement propre à la lumière des enseignements du Coran et de la tradition », compte tenu de leur formation « scholastique qui se borne à enregistrer l’apport des ancêtres et ne prépare guère à faire face à des situations nouvelles. L’intelligence est frappée d’un complexe stérilisant. »
Comme une génération de modernistes tunisiens dont faisaient partie mes grands-pères et mon père, Bourguiba avait une toute autre conception de la religion et mettait l’accent sur le rôle primordial de la raison. Tous partageaient le souci d’être à la hauteur, de contribuer au mieux au développement de notre pays, ils avaient la conviction que l’on allait rattraper le train en marche par l’intelligence et le savoir.
A la lumière de cet épisode de la vie politique tunisienne des toutes premières années de l’indépendance lorsque Bourguiba, jouissant d’une grande popularité, engageait courageusement les grandes réformes qui allaient faire de la Tunisie un Etat moderne, on comprend l’hostilité des islamistes tunisiens à son égard. Ils sont en tout point à l’opposé de Bourguiba qui prônait la raison, s’attaquait au conformisme et à l’héritage encombrant du passé face à ceux qui ont une autre lecture de l’islam, immuable, ne permettant aucune critique ni esprit d’initiative.
Alors, pour ceux qui se réclament de Bourguiba, peut-être que le mois d’abstinence qui commence sera propice à la lecture de ses fameux discours de l’hiver 1960.
Faouzia Charfi
Tunis, 5 mai 2019
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Je suis bourguibiste et de ceux qui ont observé rigoureusement ses idées et recommandations pour rester dévoué à son pays et le servir sansl réserve,pour avoir vécu le joug de la colonisation.Mais Bourguiba avait ses défauts et n'était pas le guide parfait dans tous les domaines notamment lorsqu'il s'agissait de fatwas.Mme Charfi tente de nous faire revivre celle ayant trait au lien étroit entre la rupture du jeûne et le travail à l'effet de sortir le pays du sous développement,à un moment où nous assistons au retour de l'obscurantisme
Mme Charfi, "rattraper le train en marche par l’intelligence et le savoir", certes mais n'oubliez pas le cœur, tout peuple est capable de vrais miracles si ses décideurs savent utiliser les leviers de l'affectif, du psychologique, de l'émotionnel pour l'associer aux grands desseins. Des ouvriers qui font le ramadhan en croyant fermement en un idéal patriote travailleront 10 fois mieux que des non jeûneurs abrutis par des politiciens déracinés et illégitimes... Le coup du jeûne était malheureusement un des errements du grand leader...
C'est comme si le tunisien a la conscience et la tradition de travailler, pour s'en sortir de son sous-développement
Bourguiba voulait une Tunisie forte, affranchie de la pauvreté et réceptive aux Lumières. En cette période de jeûne, d'introspection et de recadrage des existences, l'article de Faouzia Charfi encourage à point nommé à relire le grand homme politique et à se nourrir de sa pensée.
le jeûne n’a jamais était une entrave au développement il ne faut pas faire l’amalgame avec la nonchalance des paresseux dont le remède n’est pas la rupture du jeûne
;La Religion et la politique sont deux choses differentes. En Europe il ya eu une expansion economique enorme dans les 30 dernières années mais ca n´a pas beneficié aux travailleurs et l´inégalté des revenus n´a jamais aussi grande. Il ya la fiscalité qui peut remedier au travail, et la conviction de chacun peut contribuer,
C tjrs dommage pour ce pauvre pays ; beau , riche et attirante que ses intellectuels continuent a exhumer le passer pour en finir par accuser l islam d handicape a l evolution et le developpement du ays et qu il faut agir en invitant les citoyens a abandonner qlq unes de ses instructions et precepts tel que le jeune comme sim pendant les 11 autres mois de l annee le citoyen produisait av productivite tope et se begnait ds l espace des diffetents domaine du savoir et C le mois du ramadon qui lui fait perdre ses exploits. Alors qu on oublie que le mode de fonctionnement de la societe et les mefaits des decisions politiques et econo. ( denaturation des citoyens par le colon, programmes de l education, politique socio economique en dephasage / a la realite du pays et l environnement exterieur , mode de gouvernance importe et tordue apuye sur le regionalisme , les proches et les amis .. ), tt ca fait qu on ira pas trop loin av ou ss le jeune. Par consequent je pense qu il faut chercher la solution ailleurs et s abstenir a accuser l islam, ses idees ne font que diviser davantage la societe. Nos ichers intellectuels , priere regarder l avenir et les questions du devenir de la ste.
Sa "fatwa" et son geste, pour retirer le foulard d'une dame, sont arrogance et agression. Et, c'est bien sa nature quand il s'agit de s'adresser à sa poignée de poussière". ces 2 sujets, religion et tradition, ne sont pas l'affaire d'un président mais bien l'intimité de chaque individu. Il aurait été mieux inspiré de nous respecter, de nous écouter, d'encourager notre élite, de permettre une belle qualité de vie à TOUS LES TUNISIENS, d'installer le pluralisme, de lutter pour l'égalité sociale, de faire fructifier les ressources de SON PAYS pour le bénéfice de ses compatrioyes et non pour son seul profit (palais, anniversaires, soins à l'étranger sans compter les frasques de la Majda). NON, ce n'est pas le jeûn ni le manque de compétence qui place le pays en dessous du sous-développement mais bien la gouvernance par la frayeur d'un côté et la servitude volontaire de l'autre.