News - 23.04.2020

La pandémie Covid-19 sera-t-elle à l’origine de la relance de la recherche scientifique?

Ridha Bergaoui: La pandémie Covid-19 sera-t-elle à l’origine de la relance de la recherche scientifique?

La pandémie mondiale Covid-19, qui a figé la terre entière et a décimé des milliers de personnes, nous a révélé, entre autre, l’importance de la recherche pour affronter une telle catastrophe planétaire. Depuis l’apparition de ce virus, on ne cesse de parler de la recherche scientifique et de nombreuses équipes dans le monde travaillent d’arrache pied pour lutter contre ce fléau. La Tunisie, essaye de contribuer à cet effort de recherche et de nombreuses initiatives ont vu le jour menées par des équipes d’enseignants-chercheurs. En effet, la Tunisie dispose d’un  système national de recherche bien structuré et capable de contribuer à l’acquisition de nouvelles connaissances et au progrès scientifique.

Un Système National de Recherche et d’Innovation bien structuré

Le système national de recherche (SNRI), mis en place progressivement depuis une cinquantaine d’années, englobe les différentes étapes de la recherche scientifique : identification des domaines prioritaires, mise en place des structures de recherche (Laboratoires et Unités de Recherche), financement des projets de recherche, évaluation et enfin diffusion et valorisation des résultats de recherche. Les structures et organes relevant de ce SNRI s’appuient sur une réglementation et des textes législatifs (lois et décrets d’application) réglant le fonctionnement de ces différents organes et procédures. Les intervenants sont en premier les chercheurs : enseignants-chercheurs et doctorants des Etablissements de l’Enseignement Supérieur, chercheurs des centres et Instituts de recherche et cadres hospitalo-universitaire des Etablissements Publics de Santé. Il y a également le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS), l’Agence Nationale de Promotion de la Recherche (ANPR), la Commission Nationale d’Evaluation des Activités de la Recherche Scientifique (CNEARS) et enfin les technopoles et pôles de compétitivité.

C’est à partir de 1990 que les établissements de recherche ont été placés sous la tutelle d’un Secrétariat d’Etat à la Recherche Scientifique (SERS) rattaché au Premier Ministère. Ce SERS devint en 2004 le Ministère de la Recherche Scientifique, de la Technologie et du Développement des Compétences (MRSTDC). En 2007, ce ministère est de nouveau Secrétariat d’Etat et rattaché au MESRS. Depuis 2011, la recherche scientifique est gérée au sein du MESRS par deux directions générales : Direction Générale de la Recherche Scientifique et la Direction Générale de la Valorisation de la Recherche.

Il faut signaler que la recherche en Tunisie est surtout une recherche publique, financée par l’Etat. La recherche menée ou financée par les privés reste très marginale. La recherche est essentiellement une recherche appliquée orientée vers les problèmes liés au développement national. La recherche fondamentale, menée à titre individuel par quelques enseignants-chercheurs à l’université, reste limitée.

La recherche a été toujours associée à l’enseignement supérieur. Depuis 1973, le statut de l’enseignant du supérieur exige pour le passage de grade du corps enseignant du supérieur des travaux de recherche et des publications scientifiques régulièrs. Le troisième cycle (doctorat et master de recherche) est une formation à la recherche par la recherche. Le classement mondial des universités et des établissements d’enseignement supérieur se base sur le nombre et la qualité des publications scientifiques.

Le SNRI présente néanmoins quelques faiblesses

Parmi ces faiblesses : le financement, le départ des scientifiques, la valorisation des résultats de la recherche et le cloisonnement au sein des établissements.

Un très faible financement

Il est bien connu que la recherche surtout dans le domaine scientifique et technique nécessite du matériel sophistiqué, du personnel spécialisé et des consommables en quantité. La Tunisie consacre à la recherche environ 0,6% de son Produit Intérieur Brut (PIB). Moyennant un PIB de 115 milliards de dinars (estimation pour 2019), le budget réservé à la recherche serait à peine de 0,6 milliards de DT. La moyenne mondiale est de 2,22 (banque mondiale). La plupart des pays développés réservent des financements beaucoup plus importants allant jusqu’à 4 à 4,3 % de leur PIB (Corée du Sud). Il faut souligner qu’en Tunisie la recherche est financée essentiellement par l’Etat et parfois à travers  la coopération bilatérale ou internationale. Le privé ne contribue nullement à cet effort national de financement de la recherche.

Ce financement est très faible et limite les ambitions des équipes de recherche qui ne disposent pas de suffisamment de moyens pour concrétiser leurs projets. S’ajoutent souvent à ce faible financement des difficultés de consommer ces budgets pour des complications administratives (démarches longues et fastidieuses) qui peuvent aboutir à des blocages et à la non consommation de la totalité des crédits alloués déjà très limités.

L’exode des scientifiques

Le manque de moyens pour la recherche, l’ambiance générale maussade et déprimante vécue ces dernières années associée à un pouvoir d’achat qui ne cesse de se détériorer poussent de nombreux scientifiques à partir à l’étranger où on leur propose des conditions de travail beaucoup plus avantageuses.

Ainsi de nombreuses compétences ont quitté le pays ces dernières années aussi bien des personnes expérimentées que de jeunes (surtout médecins et ingénieurs) fraichement diplômés. Ces départs représentent une perte pour le pays qui a besoin de ses compétences pour sortir du marasme et de la crise économique que nous traversons et à venir. Des enseignants-chercheurs, des doyens et même le Ministre de l’Enseignement Supérieur lui-même sont partis ainsi au beau milieu de l’année universitaire, en abandonnant carrément leurs étudiants, bureaux et laboratoires, à la recherche d’une ambiance de travail plus confortable. 

Une carence en matière de valorisation des résultats des recherches

A part la publication des résultats dans les revues scientifiques, les recherches, surtout universitaires, sont peu valorisées et ne trouvent pratiquement aucune application pratique qui pourrait mener à  l’innovation ou au développement. Dans les établissements de l’enseignement supérieur, les travaux, sous forme de documents de thèses de doctorats et de masters de recherche, finissent par prendre place dans la bibliothèque de l’établissement sans suite.

Cette recherche académique, diplômante, n’aurait pas servi les secteurs productifs, comme cela devait être la finalité d’une recherche pratique orientée. Il faut souligner que l’université tunisienne a été toujours coupée des professionnels. Malgré les nombreuses tentatives du MESRS, qui a essayé de pousser les professionnels à participer à la vie active des établissements et créer des courants d’échange entre les deux secteurs (représentation de la profession dans les divers conseils des établissements, filières de formation en co-construction, projets VRR…), la contribution de la profession reste timide, inexistante même. Le secteur productif ne se manifeste pas ou très rarement. Il est occupé à résoudre les problèmes quotidiens (intrants et commercialisation des produits finis). Ceci peut s’expliquer par le fait qu’une grande partie de l’industrie tunisienne est une industrie de sous-traitance et de délocalisation à forte intensité en main-d’œuvre et faible besoin en recherche/développement et innovation.

Le cloisonnement au sein des établissements

Il arrive très souvent que les collègues d’un même établissement ne soient nullement au courant de l’activité de recherche du voisin ni des publications réalisées. C’est généralement tout à fait par hasard ou lors de discussions fortuites qu’on apprend que le collègue travaille sur tel problème et qu’on tombe par accident sur une publication (parfois dans la même spécialité) dans une revue internationale. Plus grave encore certains considèrent que le matériel et les moyens achetés dans le cadre de leurs projets de recherche sont acquis à titre personnel. De ce fait, ils ont l’utilisation exclusive de ces moyens et les interdisent aux collègues. Plus grave encore certains se permettent d’utiliser ces moyens, acquis par le biais d’un financement public ou à travers la coopération, à titre purement personnel. Ces équipements sont sensés figurer sur les cahiers des inventaires des établissements et mis à la disposition de tous avec la priorité pour l’enseignant à l’origine de cette acquisition.

Pour une relance de la recherche

Malgré nos faibles ressources et nos difficultés économiques, l’Etat doit accorder à la recherche un budget conséquent et les moyens nécessaires pour réaliser les objectifs fixés. Il faut augmenter le taux de financement de la recherche et passer du taux actuel de 0,6% à au moins 1,0% du PIB. En 2008, le budget de recherche était de 1,2% du PIB avec l’objectif d’atteindre 1,29% pour l’année 2019. Il a été démontré que les pays les plus développés sont ceux qui investissent le plus dans la recherche, publient le plus et déposent le plus de brevets d’invention. Les retombés en matière de développement et d’innovations et de croissance économique sont incontestablement plus conséquents. La Corée du Sud et l’Allemagne, qui investissent beaucoup dans la recherche-développement, subissent beaucoup moins de dégâts par le Covit-19 que d’autres pays semblables qui dépensent moins dans la recherche.

Le chercheur subit actuellement, comme tous ses concitoyens, la hausse du cout de la vie et la dégradation de son pouvoir d’achat. Il ne s’agit nullement de soulever ici la question de l’augmentation salariale des chercheurs (c’est la tache des syndicats), toutefois il y a lieu d’accorder plus d’importance à ces scientifiques qui représentent l’élite du pays. Il faut leur attribuer plus de considération sociétale et de respect pour les efforts qu’ils déploient afin de  produire de nouvelles connaissances et faire avancer la science. Cette considération peut être morale en instaurant par exemple chaque année une journée du chercheur ou de la recherche, un prix de la meilleure publication… où les autorités politiques honorent, au nom de la société, les chercheurs, leurs travaux et leurs équipes de recherche. Cette distinction peut être portée sur les CV des chercheurs et prise en considération lors des cessions de promotion de grade.

Il faut également faciliter la gestion des crédits de recherche. Ces crédits pourraient être gérés non pas par les directeurs des établissements mais confiés par exemple à l’ANPR dont la gestion est plus simple du fait qu’il s’agit d’un EPST et non d’un EPA, sans pour autant écarter le directeur de l’établissement. Par ailleurs, les chercheurs doivent être encouragés à participer et assister aux colloques, congrès et séminaires internationaux pour côtoyer des scientifiques étrangers et présenter leurs recherches et tisser ainsi de nouveaux liens de coopération.

L’instauration de la prime à la production scientifique est une excellente initiative de la part du MESRS pour encourager et motiver les chercheurs à la publication de documents scientifiques et de brevets toutefois il ne faut pas exclure de cette prime les enseignants-chercheurs des établissements sous le régime de la double tutelle (agriculture, santé…).

Des efforts doivent être déployés pour convaincre et faire participer les professionnels privés à la vie des établissements aussi bien au niveau de la formation et aux stages des étudiants qu’au niveau de la recherche et sa valorisation. Il faut sensibiliser les privés à l’impact de la recherche sur la prospérité de l’entreprise et son rendement. Ailleurs, la recherche est essentiellement demandée et financée par les privées. Des formules diverses peuvent être proposées : parrainage, sponsoring, contrats de collaboration, conventions… La valorisation des travaux de recherche ne doit pas se limiter aux publications scientifiques dans les revues spécialisées. Des bureaux  de VRR doivent être installés au niveau des établissements ou des universités. Ils doivent identifier et rapprocher les professionnels des chercheurs pour examiner les possibilités d’exploitation en pratique des acquis de la recherche. Ces bureaux doivent collaborer intimement avec les technopoles et pôles de compétitivité installés dans le pays.

Il est nécessaire de garder le contact avec nos chercheurs partis à l’étranger (surtout les chercheurs titulaires partis en coopération technique à travers l’ATCT). Les inviter à assister  régulièrement à des manifestations scientifiques nationales et participer à des expertises dans leurs domaines de compétence.

Après la phase de mise en place et de rodage, le SNRI est actuellement en pleine maturité. Moyennant du soutien et de la volonté politique, il est capable de fonctionner à plein régime et de donner le meilleur pour atteindre les objectifs nationaux de recherche et contribuer au développement économique et social du pays. Le secteur de la recherche doit être réellement considéré comme prioritaire. « Pour une recherche scientifique prioritaire» ne doit pas être un slogan que les politiques exhibent en période électorale mais une volonté politique et une ligne de conduite permanentes.

Ridha Bergaoui


 

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