Lu pour vous - 26.04.2020

Hot Maroc ; un témoignage captivant sur le Maroc des années 80

Hot Maroc ; un témoignage captivant sur le Maroc des années 80

Le titre, ‘Hot Maroc’ de ce roman, volumineux (458 pages), n’est pas tout à fait anodin; comme d’autres brûlots, il annonce la couleur. Son auteur, né en 1970 à Safi, ville côtière, proche de Marrakech, Yassin Adnan est poète, nouvelliste et journaliste, animateur d’émissions culturelles télévisées, fortement impliqué dans la scène culturelle marocaine depuis les années 1990. Son ouvrage, ‘Hot Maroc’ nominé en 2016 pour le Prix international du roman arabe a été chaleureusement salué par la critique.

«Humour, c’est amour; ironie, c’est mépris», écrivait Dominique Noguez. Comme bon nombre d’auteurs arabes, Yassin Adnan a recours à l’humour et à la dérision pour dénoncer avec verve ce qu’il appelle ‘La Comédie animale’ qui se déroule dans les quartiers misérables de Marrakech, cette ville rouge légendaire, par ailleurs paradis de la ‘High Society’ européenne.

N’ayant guère été gâté physiquement par la nature, traité par certains de singe et par d’autres de rat, de parents très pauvres, le personnage principal, Rahhal Laaouina, est un anti-héros, fourbe et lâche, un introverti avéré, réduit à réinventer les événements réels dans ses rêves à sa façon. Usant d’un système de classement original, il prit l’habitude de transposer invariablement de manière rigoureuse, les caractéristiques fondamentales des êtres humains de son entourage à un animal précis, dans la mesure où :

«Toute la différence réside dans le comportement, les mœurs, et le mode de vie, ainsi que dans les aspirations, profondes de l’animal, et dans ce qui affecte inconsciemment le comportement de son homologue humain et sa performance au travail et dans la vie» (p.21),

Aussi, pour diverses raisons, Rahhal se sent-il «plus proche de l’écureuil que de tout autre animal.» (p.21) N’a-t-il pas comme l’écureuil, à la fois l’odorat aigu et la mémoire exceptionnelle ?  Par contre, son père, Abdessalem, est la Taupe, sa mère, Halima le Pélican, ses camarades d’université Hassaniya Le Hérisson (elle sera plus tard sa femme !), Aziz le Sloughi, Atiqa la Vache ou encore Ahmed la Hyène, que Rahhal « appréciait particulièrement lors des débats à l’université :

«Ce que Rahhal aimait le plus dans les interventions d’Ahmed, c’était qu’il citait toujours de célèbres disparus comme Marx, Lénine, Engels ou Mao Zedong, ainsi que les deux martyrs Mahdi Amel et Mehdi ben Barka, ce qui selon la théorie signée Rahhal Laaouina, collait parfaitement avec la fascination instinctive de la hyène pour les cimetières». (24)

Quant à Mokhtar le Rat-taupe et Mourad la Gerboise, deux étudiants aussi introvertis que Rahhal, le rapprochement avec eux, au départ « fut naturel, d’ordre animal pour être précis, du fait qu’ils appartenaient tous trois à l’espèce des rongeurs…on ne pouvait s’y tromper » (p.52).

Rahhal, l’Écureuil, commence très tôt à actualiser scrupuleusement les virtualités qu’il découvre petit à petit en lui. Admis à l’université in extremis, il transforme, avec subtilité et parfois dérision, sa passivité en une prise de conscience lucide qui s’apparente à un réquisitoire féroce, mettant peu à peu à nu une réalité sociale effrayante. Plus que le douar natal, ou encore son microcosme, le milieu familial, son point de mire fut d’abord, l’université alors en effervescence, puis Massira, une banlieue de Marrakech, en proie à la haine, aux conflits et à la violence. Rahhal y a atterri à la suite de la nomination de sa femme, Hassaniya l’Hérisson, comme sous-directrice d’une école primaire privée. N’ayant pas été admis au concours d’entrée à l’école normale supérieure, il accepte de s’occuper d’un cybercafé. Quoi de mieux pour développer cette infinie capacité de nuisance qui bouillonne en lui, et pouvoir, enfin, régler ses comptes à travers les réseaux sociaux avec ses «ennemis intimes», c’est-à-dire, toute personne jouissant d’une bonne réputation:

«Seigneurdegloire@hotmail.com
L’adresse mail était bizarre. Quant à l’entête, elle était précédée et suivie par des points de suspension: …  car le Rappel… Avertis les hommes car le Rappel est utile aux croyants. Allons, dis Bismillah et ouvre ce mail, Abou Qatada.

Sa main tremblait. Il ne savait pas pourquoi, ni comment. Mais elle tremblait. Et dès la première phrase, il comprit que l’heure était grave ».(p.337)

Evidemment, les services de renseignement ne tardent pas à repérer Rahhal, puis, moyennant finance, à le ‘récupérer’. Mettant alors à profit ses talents de blogueur, Rahhal se lie avec les taupes du gouvernement, et répand sur la puissante revue électronique Hot Maroc les rumeurs assassines et les fake news. Autant de clins d’œil à l’humour décapant, stimulant sans arrêt l’intelligence, tissant, au passage, une complicité extraordinaire avec le lecteur en l’invitant sans cesse à faire les rapprochements nécessaires. 

Hot Maroc est un roman captivant qui bouscule la tradition littéraire arabe. Avec subtilité, l’auteur y multiplie les événements des personnages et transforme souvent leurs désopilantes péripéties en une prise de conscience lucide et positive. Tissé d’humour et d’ironie mais également d’innombrables références religieuses et littéraires, il possède toutefois, sa portée idéologique dans la mesure où il nous livre une tout autre réalité marocaine. Certes, l’esprit de dérision y court en filigrane, mais le roman reste néanmoins un réel témoignage sur le Maroc des années 1980, lorsque la marche vers une démocratie moderne s’est trouvée bloquée, à l’ombre du pouvoir, par les bourgeois affairistes, les prédicateurs islamistes démagogues, les gauchistes verbeux ou encore la presse à scandale.

Yassin Adnan, Hot Maroc, traduit de l’arabe (Maroc) par France Myer, Sindbad/ACTES SUD, Paris, mars 2020, 464 pages/24 €/ 17,99 € numérique.

Rafik Darragi










 

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