Dr Sofiane Zribi - Confiner - Déconfiner : En l’absence de tests massifs, le gouvernement est-il acculé à naviguer à vue ?
Le ton haut et le verbe ferme, le chef du gouvernement, lors de deux allocutions télévisées, annonce coup sur coup, le début du confinement le 20 mars 2020, puis et le début du confinement ciblé (entendez par là le début du déconfinement) à partir de ce lundi 4 mai 2020. Au vu des chiffres relatifs à la contamination à la veille du 20 mars, 75 cas au total, rien ne justifiait pas une telle mesure générale alarmiste. Mais, Elyès Fakhfakh connaissant l’état alarmant des structures sanitaires du pays, le délabrement des hôpitaux publics, et le manque de lits de réanimation, a préféré prendre par anticipation une mesure rapide et totale afin d’éviter aux services sanitaires d’être submergés par les malades.
Il va de soi, que le coût économique d’une telle décision est énorme pour un pays endetté et en crise comme la Tunisie, sauf que la santé des Tunisiens est à ce prix, rappelle Fakhfakh.
Des mesures sociales pour alléger le poids de la décision au profit de ceux aux revenus les plus modestes ont été décidées et rapidement mises en application alors que l’armée et la police sont chargées de faire respecter le couvre-feu la nuit et le confinement général le jour.
Les chiffres énoncés chaque jour par le ministère de la Santé viennent corroborer la pertinence de la décision. Au jour d’aujourd’hui, mardi 28 avril, la Tunisie n’a enregistré, heureusement que 967 cas d’infection officiellement déclarés et déploré que seulement 39 décès. Sur le tableau de bord du Chef du gouvernement, l’ensemble des paramètres parait rassurant, même si la réalité serait loin d’être aussi réconfortante qu’on l’aurait voulu.
Un confinement à géométrie variable
Passés les premiers jours de la décision du confinement, les Tunisiens notamment dans les quartiers populaires, semblent complètement libérés de toute contrainte. Les rues redeviennent bondées à leur habitude. Seuls les commerçants semblent obéir à la discipline exigée. Les vendeurs à la sauvette sont légion, les queues interminables et sans distanciation correcte s’allongent devant les bureaux de poste, les banques, les superettes, les boulangeries ou les administrations encore ouvertes. La situation devient critique lors de la distribution des aides sociales, frisant le ridicule. On voit même à la télévision, le ministre de la Santé, le yeux rougis, implorant la population à se conformer au confinement et le ministère de l’Intérieur rappelant les peines encourues en cas d’infraction. Mais la situation semble totalement échapper des mains du gouvernement.e confinement, avec son coût économique et social ne semble pas maintenir à la maison les jeunes et les moins jeunes, à l’exemple de ce député filmé jouer au foot en plein jour.
Il appartient aux sociologues, aux psychologues et aux spécialistes de la communication d’analyser un tel phénomène. Mais d’ores et déjà, on peut penser que l’absence de débat, le fait de maintenir les principaux concernés éloignés de la conception de la décision et de ne pas tenir compte de la réalité vécue de la majorité de la population, dans son vécu économique, son habitat et sa manière de percevoir la pandémie ont été pour beaucoup dans l’inobservance que relative du confinement imposé. En d’autres termes, Elyès Fakhfakh, a édicté des décisions, certes fondées sur le plan scientifique, mais inopérantes sur le plan social et en plus très mal communiquées à la population.
Le déconfinement doit tenir compte des erreurs du confinement
Aujourd’hui, le citoyen est à bout. Le confinement avec ses bons et ses mauvais côtés ne peut plus durer. Les citoyens, mêmes les plus observants au 22 mars sont de moins en moins enclins à suivre la décision du gouvernement Avec le ramadhan, les familles se réunissent comme si rien n’était, on s’invite et on mange à la va vite avant le couvre-feu. Les marchés sont noirs de monde et les embouteillages ont repris dans les rues de Tunis. Submergée, la police ne peut faire que de son mieux.
Les chiffres semblent rassurants, pour le moment. On n’est pas en train d’assister à cette épidémie mortelle et terrifiante que subissent l’Europe et les Etats-Unis. Devant le très peu de tests de dépistage effectués, on reste perplexes et on se tourne plus vers le nombre de patients en réanimation qui semble aussi très modeste, à la portée de la prise en charge par notre système de santé.
Se pose de manière aigue la question du déconfinement. La pierre angulaire de ce processus est le port obligatoire du masque en public, la distanciation sociale, la limitation des mouvements entre les gouvernerats et surtout le dépistage massif partout afin d’identifier rapidement les personnes atteintes de la population et de les isoler, pour briser la chaine de transmission.
Pour ce qui est port du masque, le gouvernement a très mal entamé la question avec sa décision de faire fabriquer des masques selon des critères bien déterminés par une entreprise appartenant à un député et ce en contradiction avec la réglementation en vigueur. Il aurait été bien plus simple de demander à tous les opérateurs du secteur de la confection de fabriquer des masques simples pour monsieur tout le monde. La population générale n’a pas besoin de masques chirurgicaux (qui retiennent les bactéries mais pas les virus) mais juste de masques barrière aux projections de postillons de salive ou d’éternuement.
Un temps précieux a été perdu avec en plus une affaire en suspicion de malversation dont on connait peu les tenants et les aboutissements à l’heure actuelle. Notons, que sur le marché parallèle, des masques artisanaux ont fait leur apparition et beaucoup de citoyens, faute de mieux, les utilisent. La date du 4 mai approchant, on ne sait pas encore s’il y a suffisamment de masques sur le marché pour obliger tous à en porter un, alors qu’aucun programme national de communication ne demande à la population de fabriquer ses propres masques.
Quant à la distanciation sociale, qui doit être une distanciation physique et non psychique, là aussi on communique peu, on éduque peu et on ne donne pas la parole aux plus concernés. Plutôt que de présenter le problème et d’organiser en groupes de réflexion par écrans, afin de déconstruire librement les mesures déjà en vigueur pour reconstruire toujours en groupe, une amélioration de ces mesures ou bien même de nouvelles mesures qui pourraient être plus adaptée et mieux applicable au champ social qu’ils habitent et qui les habite) le gouvernement continue user de la méthode autoritaire si économe en énergie, mais près peu efficace.
Alors même que les membres qui constituent les groupes de parole auraient activement participé à l’explicitation et à l’application de ces mesures reconstruites (qui ne sont jamais figées peuvent se prêter à être de nouveau réfléchies en groupe et réadaptées en tenant compte des contraintes de terrain, qui n’avaient pas été prévues ou qui ne pouvaient pas être prévues).
De tels groupes de parole et de débats mettent en œuvre un processus participatif pour la formulation de mesures plus adaptées et donc mieux acceptées car mieux ressenties comme source de sécurité pour tout un chacun. Dans les quartiers populaires, elles ne seront pas vécues comme un processus dicté sur un mode autoritaire et pour un besoin sécuritaire singulier.
Sans une participation active de la population à la décision qu’on semble vouloir lui imposer, ou du moins par le truchement de débats télévisées avec des leaders d’opinion, il est fort à parier que les mesures que l’on voudra édicter pour le déconfinement trouveront le même écho que celles énoncées lors du confinement.
Concernant les tests, que ce soient les tests rapides peu sensibles ou les tests PCR coûteux, depuis le début de la crise, la Tunisie navigue à vue. Les chiffres sont loin de refléter une réalité virologique mais juste une réalité économique. La Tunisie, malgré le paradoxe de la richesse de ses moyens humains, reste un pays démuni. A peine quelques centaines de test PCR sont effectuées chaque jour et la très mauvaise communication qui entouré la prise en charge des patients Covid-19 a fini par décourager quiconque présentant des symptômes de se rendre dans les centres de soins qui sont identifiés pour le commun des mortels comme un lieu de détention arbitraire.
Or, sans la possibilité d’effectuer des tests à une large échelle, rapidement, là où la situation l’exige, il n’est pas possible de déconfiner. La population semble avoir entendu le message : le gouvernement ne peut rien pour nous, merci pour les deux cents dinars qu’il verse aux plus démunis, pour le reste on fera appel au génie tunisien : mi-confinement, mi-déconfinement, débrouillardise et solidarité dans les quartiers. Si on essaye d’énumérer les conceptions mentales en vogue dans les quartiers populaires on trouvera les expressions suivantes :
1. Le confinement sert à protéger les nantis
2. La maladie ne frappe que les plus favorisés
3. Seuls les vieux et les malades tombent malades, un jeune en bonne santé n’a rien à craindre
4. Dieu est là pour ne protéger
5. Nous sommes déjà morts et cette maladie ne nous concerne pas
6. Ils ont pensé aux fonctionnaires qui continuent à perçevoir leurs salaires mais ils n’ont pas pensé à nous
7. Leur problème est de ne pas attraper la maladie mais cela leur est égal si on meurt de faim…
Le gouvernement est-il acculé au bricolage, sans vrais moyens, sans possibilité de tests à grande échelle, sans aucun ancrage dans la population, sans politique de communication efficace et sans capacité à maintenir le confinement plus longtemps. Il avance la peur au ventre vers le déconfinement. Sans visibilité et sans possibilité de retour en arrière, personne ne souhaiterait être à la place du soldat Elyès Fakhfakh à la fois sympathique et têtu. Nous avançons, comme ce fut le cas le 14 Janvier 2011 vers un futur incertain et angoissant. Mais le génie tunisien nous a habitué à sortir le pays des situations les plus désespérées.
Croisons les doigts pour que toutes les théories qui disent le pays immunisé par sa génétique, sa position géographique, la vaccination BCG obligatoire ou le taux effrayant de fumeurs, soient justes.
Croisons les doigts que Dieu et Sidi Mahrez sauveront ce pays de la situation où il se trouve et que la médecine ait fait un bon considérable ces derniers mois pour la prise en charge des patients covid-19 gravement atteints.
Dr Sofiane Zribi
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