Hakim El Karoui : Européens, n’oubliez pas l’étranger proche !
Par Hakim El Karoui - Au terme de débats houleux et d’une rupture majeure dans la doctrine qui prévalait jusqu’alors de refus de l’endettement en commun, les Européens ont décidé au prix de négociations harassantes d’emprunter sur les marchés financiers via la Commission européenne de lancer un gigantesque plan de relance continental, réparti à part à peu près égale entre les subventions (non remboursables) et les prêts à taux bonifiés. Cette décision qui fut difficile à prendre, a été saluée de toute part. Reste néanmoins les grands oubliés de cet effort de relance : l’étranger proche, et notamment le Maghreb qu’il faut aider. Pourquoi ?
Parce que les pays du Maghreb sont trop pauvres pour pouvoir faire ce qu’a fait l’Union européenne, les États-Unis et la Chine : créer de la monnaie pour soutenir leur économie, augmenter de façon très forte l’endettement public de façon coordonnée en pariant sur le fait que la valeur d’une monnaie est relative et qu’un effort concomitant à peu près égal des grandes monnaies du monde n’aurait finalement pas d’incidence sur leur valeur. C’est d’ailleurs pour l’instant ce qui se produit, même si l’on note une baisse du dollar par rapport à l’euro, les différents plans américains ayant été plus massifs que les plans européens dans un contexte où les États-Unis sont plus affectés que l’Europe par le Covid-19.
Les pays du Maghreb sont par ailleurs trop riches pour bénéficier des initiatives de réduction de la dette ou de la récente décision prise à l’initiative de la France de repousser le remboursement de la dette de certains pays pauvres. C’est le drame des pays à revenus intermédiaires : trop pauvres pour être vraiment autonomes, trop riches pour être aidés.
Pourtant, pour eux aussi, l’addition va être très lourde : baisse au minimum de 6 % du PIB en Tunisie, de 4 % au Maroc, de plus de 7 % en Ukraine. Rien pourtant n’est prévu pour leur venir en aide de façon massive. C’est néanmoins essentiel. Prenons l’exemple de la Tunisie : jeune démocratie dont les institutions ont été conçues pour empêcher le retour de la dictature, la Tunisie peine à se gouverner. Depuis le début de l’année, trois premiers ministres se sont succédés et le régime des partis qui domine à Tunis semble incapable de donner un gouvernement stable au pays. Avant l’épidémie, le chômage endémique qui a augmenté depuis la Révolution, la dérive des comptes publics (75 % de dette/PIB), le poids de la fonction publique dans l’économie rendait l’équilibre général du pays très incertain. Aujourd’hui, avec la mise à l'arrêt quasi-totale de l’économie pendant deux mois, une saison touristique annulée, la production et l’exportation de phosphates à l’arrêt, le premier marché de la Tunisie - l’Union européenne - en récession historique, c’est la stabilité du pays qui est en jeu.
C’est un problème pour le gouvernement tunisien mais c’est aussi un problème pour l’Europe. Car une nouvelle révolution pourrait ouvrir la voie à une vague massive d’émigration et, à un pouvoir islamiste ou pan-arabiste anti-occidental - allié de notre ennemi en Libye, la Turquie, voire à la Chine, et un système de sécurité à nouveau désorganisé. Le PIB du Maroc et de la Tunisie représente environ 1 % du PIB des Vingt-Sept. Pourquoi ne pas leur fournir une aide équivalente à 1 % du plan de relance européen, soit 7,5 milliards d’euros, à répartir au prorata de leur poids économique, soit 2,5 milliards pour la Tunisie et 5 milliards pour le Maroc ? Ce serait de l’argent bien investi dans la sécurité européenne.
H.E.K
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