Taoufik Habaieb: Face au désarroi
Personne n’est rassuré ! Le chef de l’État exprime sa propre inquiétude par des harangues audiovisuelles et se lance dans une chasse aux sorcières. Le chef du gouvernement cache à peine sa souffrance, subissant stoïquement les assauts manipulateurs des uns et les appétits insatiables des autres. Le président du Parlement ne sait pas encore comment il pourra reprendre en main ses troupes, à commencer par celles de son parti. Les Tunisiens sont en butte à d’autres angoisses. Insécurité, terrorisme, violence, précarité et pandémie étouffent la moindre quiétude.
Au pays de la démocratie promise et de la prospérité annoncée s’installe le désarroi ! Les troubles politiques n’épargnent ni l’économie, ni le revenu du ménage, ni même la santé de la population. La reprise, encore plus forte, du Covid-19, ajoute à l’anxiété, la peur de l’incertain. L’indécision des pouvoirs publics pour faire face à la crise sanitaire ravageuse et ses suites économiques et sociales désastreuses attise toutes les craintes.
Nous voilà en plein dans l’impensable. En hors sol! Ni la loi de finances complémentaire pour réajuster l’année 2020, ni celle pour 2021, devant être soumises ces-jours-ci au Parlement, ne seront faciles à boucler. Alors que les caisses se vident et la création de valeur s’érode, les revendications d’augmentation de salaires se durcissent, poussant le gouvernement à acheter la paix sociale à coups de concessions. Les querelles publiques au sommet de l’État dissuadent tout investisseur tunisien ou étranger… L’unique son audible est celui fallacieux et hypnotiseur des démagogues.
Le populisme, toxique, gagne du terrain. Plus ils tapent sur les institutions, sapent les fondements de l’État, dénigrent les leaders artisans de l’indépendance et ceux qui ont concouru aux avancées du pays, plus ils sont applaudis par la plèbe. Dans son inconscience désinvolte, la foule se trémousse à l’écoute des admonestations publiques, au spectacle navrant de l’humiliation des serviteurs du pays. Et voilà que le tissu social se disloque permettant au séparatisme de se s›exprimer librement.
De ce cercle vicieux où les populistes se nourrissent de l’ivresse de leurs publics, immanquablement la spirale du totalitarisme et de la dictature se déclenchera.
Le pire danger qui guette la Tunisie est l’exclusion. S’ériger en sauveur unique du pays en rouvrant les plaies encore saignantes, et en attisant le ressentiment populaire contre les élites pour promouvoir les clivages et la stigmatisation ouvre la voie au despotisme. Toutes les révolutions naissent de nobles sentiments, pour s’étouffer, finalement, se muant en dictature. Le réveil sera dur, très dur et trop tard.
La démocratie est en péril. Avant d’être participation au vote et à la prise décision, elle est d’abord une exigence de transparence, d’intégrité, de redevabilité et de gouvernance… L’accès à l’information est verrouillé, hormis quelques étroites fenêtres. La liberté d’expression, de plus en plus encadrée. Les débats pluriels se font très rares. La presse indépendante est poussée à l’agonie. Les conseils municipaux, espaces citoyens par excellence, peinent à drainer les habitants à leurs sessions.
D’où proviendra alors une lueur d’espoir ? Des dirigeants au pouvoir ? Des partis politiques ? Des grandes organisations nationales, Ugtt et Utica notamment ? De la communauté des affaires ? Des élites intellectuelles ? Soyons francs ! Tous ont fait la preuve de leur ineptie. Gesticuler, buzzer, s’affronter : oui ! Conduire un vrai projet commun à même de redresser le pays et mobiliser les Tunisiens pour l’accomplir: ils n’en ont pas été capables.
Peut-on compter sur la société civile ? Encore naissante, fragilisée, éparpillée, sans liant qui la scelle et la coalise, elle est pourtant investie de la grande mission qui doit être la sienne : exercer tout son poids sur les pouvoirs qui s’affrontent. Force d’équilibre, force de rappel aux devoirs. La voix citoyenne, sage et éclairée, véhiculée à travers des mouvements indépendants et patriotiques, est la seule en mesure d’endiguer les flots de démagogues et populistes. Par sa vigilance, sa puissance d’interpellation et sa détermination à faire valoir la démocratie, la société civile constituera le levier puissant de la Tunisie.
Ils veulent nous faire abhorrer la démocratie et regretter la dictature. Ils n’y parviendront pas. Face au désarroi envahissant, le sursaut en commun des Tunisiens attachés à la démocratie sera la planche de salut.
Taoufik Habaieb
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