Dr Chadli Dziri: Il y a un an, Lorand Gaspar nous quittait
Par Chadli Dziri - J’ai connu Monsieur Lorand Gaspar en octobre 1974, j’étais externe en médecine dans le service de chirurgie à l’hôpital Charles Nicolle de notre maître Feu Zouhair Essafi. M. Gaspar comme on l’appelait dans le service, était calme, humain, attentionné avec les malades. A côté de son activité opératoire, il s’occupait de l’unité de réanimation chirurgicale qui était la fierté du service. Il avait à gérer les patients opérés qui avaient des soucis de défaillance viscérale associée. Il n’était jamais pressé pour expliquer la problématique posée par le malade et comment trouver la solution. En salle d’opération, il nous aidait en tant que résidents en nous mettant à l’aise. Ce qui frappait chez lui, c'était le savoir-être. Les malades étaient ravis de l’écouter et de discuter avec lui. Son comportement psycho affectif avec les malades était un modèle pour nous étudiants puis résidents.
"Connaissez-vous M Lorand Gaspar le grand poète ?" C'est la question que me posa un jour mon ami Hédi Béhi. Ma première réaction a été de l'incrédulité. J'étais à mille lieux de penser que notre confrère faisait de la poésie. Le lendemain, je suis chez Lorand Gaspar dans sa villa nichée sur le versant de la colline de Sidi Bousaïd qui fait face à la mer donnant l’impression d’être dans l’avion en train de décoller. Deux heures de temps au minimum à discuter et c’est alors que je découvre un géant de la poésie (par la suite Prix Goncourt de la poésie en 1998),photographe, un arpenteur de paysages, un philosophe des sciences en dehors bien évidemment de ses compétences chirurgicales que j’ai connues dans le service de chirurgie.
« j’aimerais, avant de laisser la place aux bulldozers qui vont démolir cette maisonnette sans éclat, lézardée de tous côtés pour y construire des appartements de « grand standing »….., effacer toute amertume du cœur et de l’esprit.(livre saison tunisienne : Quitter sidi Bou Said Edition Actes Sud 1995 : pages 111-112).
Lorand Gaspar a laissé de nombreux écrits dans la poésie, de la prose, ses traductions.Il m’a dédicacé son livre « Feuilles d’observation » où il a retracé son parcours de 1960 à 1983. Il a préfacé lui-même son livre « La médecine tend à prendre toute la place dans mon quotidien, elle s’insinue jusque dans le sommeil. On ne négocie pas avec l’urgence. Mais plus on est bousculé, plus il est impérieux de s’arrêter, de regarder, de s’aérer. Le temps de noter une idée, un étonnement. Ces feuilles me sont une façon de respirer »
En 1998, la société tunisienne de chirurgie m’a confié la tâche de diriger une monographie sur les pancréatites aiguës, une étude nationale multicentrique. Je n’ai pas hésité à lui demander de faire la préface de cette monographie. Il a accepté de me faire cet honneur.
Je retrouve de nouveau le philosophe avec son côté psycho-affectif :
« Chaque jour, à chaque instant il nous faut laver notre regard de cette distance qu’une rationalisation de plus en plus bornée, réduisant la maladie à un ensemble de données sans sujet, à une affaire de comptabilité, interpose entre celui qui est couché là, sans force, tiraillé entre l’angoisse et l’espoir, et nous qui passons avec nos questions et réponses toutes faites, armés de notre science. Il ne s’agit pas de rejeter ce savoir, bien au contraire, c’est de l’étendre et de l’approfondir que nous avons besoin pour mieux comprendre celui qui vient chercher de l’aide auprès de nous. »
Je retrouve aussi en lui le maître qui était ravi d’encourager ses élèves :
« La transmission du savoir et des gestes actuels de ce métier est une tâche à la fois lourde, heureuse et émouvante. Et c’est une joie particulière de voir un jour quelques-uns de ceux dont on a eu à guider, avec d’autres, l’apprentissage, nous faire part de leur propre expérience de cet art en déploiement constant, nous apprendre du nouveau. A côté d’un savoir et d’un savoir-faire toujours en mouvement, j’eusse aimé pouvoir transmettre quelque chose de ma conviction progressivement acquise que la disponibilité de l’attention, de l’écoute du médecin vis à vis de la personne humaine qui se trouve au centre du " malade " que nous soignons joue un rôle indéniable dans le processus de guérison. »
Ces paragraphes sont extraits d’un ouvrage intitulé « feuilles d’hôpital » encore inédit à cette date.
Chadli Dziri
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Permettez-moi de compléter ce bel hommage par un autre aspect de la personnalité du regretté Loránd Gáspár. Il était un historien militant et a consacré en 1968 dans "la petite collection Maspéro" un ouvrage "Histoire de la Palestine" qui a beaucoup servi aux partisans de la cause palestinienne. Par ces temps de mutisme international et d'impuissance arabe, la reconnaissance de ce Loránd Gáspár là me semble nécessaire.